Le premier test des compétences de négociation de Georgia Swan fut aussi le plus difficile, le plus mémorable et le plus instructif. Cette planificatrice spécialiste de la fiscalité et des successions qui travaille à Gestion de patrimoine TD venait d’être appelée au Barreau de l’Ontario : elle travaillait pour une cliente qui venait d’hériter de la succession complète de sa mère. Un jour, cette cliente l’a appelée pour lui dire que son frère comptait contester le testament. Mme Swan lui a expliqué que, dans ce cas, elle allait devoir faire appel à un avocat plaidant – elle ne se sentait pas prête à s’occuper elle-même de ce type de dossier. Peu après, elle a reçu un autre appel. Cette fois, c’était l’avocat de la partie adverse – l’un des plus grands spécialistes du droit successoral en Ontario – qui lui proposait d’organiser une rencontre pour essayer de trouver un terrain d’entente.

Elle a accepté. Par contre, elle savait que pour avoir une chance d’éviter une procédure judiciaire pour trancher le litige, il lui faudrait se préparer parfaitement et négocier âprement. Pour compenser son manque d’expérience, elle s’est donc plongée dans les textes de loi et elle a étudié la cause jusqu’à la connaître par cœur.

« Malgré tout, j’avais quand même un peu peur qu’il ne fasse qu’une bouchée de moi », se souvient-elle.

Ça n’a pas été le cas. Au contraire, ils ont réussi à s’entendre sur un règlement avantageux pour les deux parties. Aujourd’hui encore, Mme Swan est convaincue que c’est sa préparation qui lui a permis de réussir. Elle y a puisé la confiance nécessaire pour refuser les propositions qui n’étaient pas dans l’intérêt de sa cliente et elle a gagné un mentor professionnel et un ami, en la personne de l’avocat de la partie adverse dans cette affaire, dont elle est restée proche pendant de nombreuses années, jusqu’à ce qu’il décède.

Autrefois, si une femme voulait négocier un meilleur prix pour une voiture, elle se tournait vers un homme de sa famille pour l’aider à marchander. On avait l’impression (et c’est encore parfois le cas) que les femmes ne savaient pas négocier parce qu’elles ne voulaient pas paraître agressives ou donner l’impression d’être trop sûres d’elles. 1 Et pourtant, au moins un examen portant sur 51 études montre que, si les femmes peuvent avoir du mal à défendre leurs propres intérêts, elles connaissent souvent autant de succès que les hommes quand elles mènent une négociation pour le compte de quelqu’un d’autre. 2  Ce pourrait donc être une question de perception et non de compétences.

Maîtriser l’art de la négociation peut-être l’un des nombreux atouts pouvant aider les femmes à réussir. « Ma mère a pu s’épanouir dans un monde d’hommes parce qu’elle a appris très tôt qu’elle devait se débrouiller elle-même, explique Ingrid Macintosh, vice-présidente, Gestion de patrimoine, Gestion de placementsTD, et dirigeante responsable de l’initiative Les femmes et le patrimoine de la TD. On dit aux femmes de se défendre, mais il ne faut pas confondre ça avec être “agressives ou insistantes”. Ça signifie apprendre et perfectionner des techniques qui peuvent favoriser le succès dans le monde des affaires. »

Elle ajoute : « Prendre le temps de perfectionner votre technique de négociation peut vous aider à progresser dans votre carrière et dans votre vie. »

Ryann Manning, professeure adjointe en comportement organisationnel à la Rotman School of Management de Toronto, affirme que de nombreuses femmes – et probablement autant d’hommes – évitent les négociations parce qu’elles les voient comme un rapport de force où tous les coups sont permis. La perspective d’affronter un adversaire, avec le risque de se faire humilier – et de faire une mauvaise affaire en prime – incite beaucoup de gens à éviter ces situations, même si elles font partie de la vie.

Mme Manning, qui enseigne la négociation et qui est également sociologue, souligne pourtant que les études montrent qu’en pratiquant, les femmes peuvent surmonter les obstacles qu’elles imaginent rencontrer. 3 Selon elle, notre environnement nous façonne, parfois à notre détriment. Quand elles manquent d’expérience dans une activité en particulier, comme la négociation ou la mécanique, les femmes peuvent se convaincre que ce n’est tout simplement pas fait pour elles.

« Je pense que l’éducation que beaucoup d’entre nous ont reçue et l’environnement social dans lequel nous avons grandi nous dissuadent de négocier et nous rendent mal à l’aise dans ces situations. En Occident, on a tendance à encourager les hommes et les garçons à être de bons négociateurs ».

Pourtant, ce n’est pas réservé aux hommes. Les femmes sont tout aussi capables de bien négocier une augmentation, un bail ou une entente commerciale. Comme pour la plupart des choses, il faut de la pratique. Et l’utilité des compétences en négociation ne se limite pas aux opérations financières : la négociation fait partie intégrante de toute relation fructueuse avec nos collègues, nos amis, les membres de notre famille, et même avec les vendeurs d’automobiles. Quelques pistes de réflexion :

Faites-en un effort commun

Mme Manning affirme que l’idée que les négociations doivent être conflictuelles est un mythe et que l’une des clés du succès consiste à réaliser qu’il n’est pas nécessaire qu’une négociation soit une situation où le vainqueur rafle tout. Selon elle, redéfinir la négociation comme un effort commun où deux personnes interdépendantes tentent d’atteindre un même objectif donne un ton plus positif et moins agressif au processus pour tout le monde. Après tout, il est fréquent que les deux parties aient tout intérêt à collaborer.

Avant une négociation, faites vos devoirs

Il ne sert à rien de demander une augmentation si vous n’avez pas fait de recherche sur le salaire moyen des personnes qui occupent le même poste que vous ou si vous n’avez pas d’argument pour appuyer votre demande. « Souvent, la différence entre les négociateurs chevronnés et novices réside moins dans ce qui se passe quand les gens s’assoient pour négocier que dans leur préparation », explique Mme Manning. Si vous faites vos recherches, et surtout, si vous établissez clairement vos propres objectifs et essayez d’anticiper les objectifs de la personne avec qui vous négociez, vous avez plus de chances de réussir.

Sachez ce que vous êtes prête à accepter

Elle enseigne le concept de « meilleure solution de rechange à une entente négociée » à ses étudiants. Cela signifie qu’il faut savoir à l’avance ce que vous accepterez si vous n’obtenez pas ce que vous souhaitez. En entrevue, lorsque vous négociez le salaire, par exemple, votre solution de rechange pourrait être de garder votre emploi actuel ou d’accepter une autre offre (si vous en avez une). Elle pense que si vous connaissez à l’avance la valeur de vos solutions de rechange, vous saurez quand mettre un terme à la discussion. C’est important, parce que, selon elle, vouloir à tout prix terminer une négociation une fois que nous l’avons commencée est un biais psychologique fort.

Établissez un cadre positif pour la négociation

Les femmes qui apprennent à négocier doivent se poser une question simple : « Pour qui je négocie? » Selon Mme Manning, une femme qui pense que la réussite ou l’échec aura des conséquences seulement pour elle pourrait hésiter à négocier. En revanche, elle peut changer d’état d’esprit et prendre confiance en pensant aux avantages qu’elle pourrait apporter à sa famille ou à son entreprise.

Prenons l’exemple d’une femme qui veut une augmentation. Si la perspective d’une réunion avec son gestionnaire l’intimide, penser que les revenus supplémentaires pourraient financer les études de sa fille pourrait lui donner le courage de ne pas lâcher.

Maintenez un équilibre émotionnel

Comment réagir si on vous fait une offre ridiculement basse qui fait en sorte que la discussion n’avance pas pendant plusieurs semaines? Mme Manning suggère d’en rire et de demander une offre plus raisonnable. Elle explique que lorsque la discussion prend une mauvaise tournure, c’est important de garder la maîtrise de ses émotions et de ne pas se laisser trahir par son égo. Parmi les tactiques pour désamorcer ces situations, on peut faire une pause pour reprendre ses esprits et revenir dans sa zone de confort. Après tout, il n’y a rien de mal à dire que vous voulez prendre le temps de réfléchir ou de poursuivre vos recherches. Si vous en ressentez le besoin, mettez un terme à la discussion pour y revenir mieux préparée.

Continuez de vous exercer

Comme pour la plupart des compétences, la pratique et la rétroaction peuvent vous aider à vous améliorer. Mme Manning suggère même de suivre un cours de négociation. « L’avantage d’un cours, c’est qu’on s’exerce, qu’on réfléchit à ce qu’on a fait, puis qu’on s’exerce de nouveau. On croit parfois que le sens de la négociation est inné, mais c’est plutôt quelque chose qui se travaille. »

La première négociation de Mme Swan avec un avocat bien plus expérimenté qu’elle s’est bien passée, mais ça ne s’est pas fait sans effort. Elle a passé deux semaines à étudier sans relâche tous les points de droit pertinents et elle s’est présentée parfaitement préparée le jour J. Elle a aussi fait preuve de suffisamment de souplesse pour que les deux parties y trouvent leur compte. Elle estime que si elle était allée à la confrontation, le résultat aurait pu être moins bon pour tout le monde. Ce qui l’a aidée, c’est que son adversaire voulait aussi parvenir à une entente avantageuse pour les deux camps.

DON SUTTON

PARLONS ARGENT ET VIE

ILLUSTRATION

DANESH MOHIUDDIN

  1. A Woman’s Guide to Salary Negotiation, Kristin Wong, The New York Times, 8 mai 2019, https://www.nytimes.com/guides/working-womans-handbook/salary-negotiation-woman
  2. A meta-analysis on gender differences in negotiation outcomes and their moderators, Mazei et al, American Psychological Association, 4 septembre 2014, https://www.apa.org/pubs/journals/releases/bul-a0038184.pdf
  3. A meta-analysis on gender differences in negotiation outcomes and their moderators, Mazei et al, American Psychological Association, 4 septembre 2014, https://www.apa.org/pubs/journals/releases/bul-a0038184.pdf