Tamara et son fiancé ont cru qu’il était temps de déménager lorsque le confinement lié à la pandémie leur a permis d’obtenir des modalités de travail flexibles. Le couple voulait passer d’un condo loué contenant seulement une chambre à coucher au centre-ville de Toronto à un endroit où il y avait de la place pour travailler, pour leur gros chien et possiblement pour une famille dans le futur. Lorsqu’ils ont vu ce qui se passait sur le marché de l’habitation, ils ont craint que le bon moment soit maintenant ou jamais.

Le couple s’est lancé dans la recherche d’un logement à la périphérie la plus éloignée de la région du Grand Toronto où il pourrait faire la navette, pensant qu’à cet endroit, la demande serait moins grande et que les propriétés seraient plus abordables. Tamara et son fiancé ont toutefois été ébranlés.

« Nous avons vu 15 propriétés, dit Tamara. Nous avons fait des offres sur quatre d’entre elles. La vente la plus folle que nous ayons vue était une maison beaucoup plus vieille, qui était en très mauvais état. La terrasse était brisée et les murs fissurés. La maison était affichée à 599 000 $ et elle s’est vendue pour 965 000 $. » 

Le couple a finalement trouvé une maison unifamiliale à Hamilton, en Ontario, à une distance d’environ 80 minutes de leur lieu de travail, qui était affichée à 799 000 $. Une offre précédente venait d’échouer à 975 000 $. Ils ont commencé les négociations et ont conclu l’entente à 910 000 $, soit à peine 113 % du prix demandé.

Pour beaucoup d’entre nous, une maison ne se résume pas à quatre murs et un toit. C’est notre refuge et c’est aussi là que nous créons des souvenirs. Beaucoup de gens estiment que l’achat d’une propriété est un rite de passage vers l’âge adulte. Ou qu’un emploi bien rémunéré et une maison en banlieue vont de pair. Mais la dernière décennie a été marquée par une tempête parfaite de conditions entraînant un désordre infernal sur le marché de l’habitation, ce qui remet en question nos idées préconçues à l’égard de la propriété et du « chez-soi ». Des taux d’intérêt faibles, une croissance démographique et une rareté sur le marché ont entraîné des surenchères et des ventes de propriétés souvent bien au-dessus des prix demandés. Selon l’Association canadienne de l’immeuble, la valeur moyenne d’une propriété au Canada a augmenté de 20 % par rapport à l’an dernier. 1 Il n’est pas étonnant que l’achat d’une propriété puisse faire perdre le sommeil et causer beaucoup de stress aux acheteurs d’aujourd’hui, et qu’ils craignent que, s’ils ne deviennent pas propriétaires maintenant, ils ne puissent jamais l’être.

Ces sentiments peuvent jouer des tours à notre cerveau et mener à de mauvaises décisions financières. « Les gens ont habituellement beaucoup d’idées préconçues sur ce que signifie une maison pour eux, affirme Anthony Damtsis, directeur, Finance comportementale, Gestion de patrimoine TD. On peut facilement être trop emportés et attachés émotivement à une maison qu’on voit. Ça peut entraîner de la surenchère aveugle et faire grimper la valeur des propriétés bien au-delà du prix affiché. »

Anthony Damtsis nous a parlé de ce qui se passe dans notre tête, des concepts communs de psychologie comportementale qui peuvent saboter les personnes voulant acheter une propriété, leurs achats et leurs finances. En reconnaissant que vous êtes enclin à ces comportements ou tendances, vous pourriez découvrir à quels moments vous êtes votre pire ennemi. Le fait d’avoir un professionnel des services financiers de confiance comme copilote pendant ces moments clés peut vous aider à garder le cap et à faire des choix judicieux, en vous laissant moins guider par l’anxiété. Notre cerveau peut parfois nous empêcher de prendre une bonne décision. En voici quelques exemples.

Nous avons vraiment peur de regretter une mauvaise décision

De quoi s’agit-il : Un comportement qu’on nomme « aversion aux regrets », mais qui porte un nom plus courant en anglais : FOMO (Fear of missing out) ou la peur de rater une occasion. L’aversion aux regrets se produit lorsqu’une décision est prise par crainte de se sentir triste à l’égard des choix effectués dans le futur.

Répercussions sur l’achat d’une propriété : L’aversion aux regrets peut pousser les acheteurs à paniquer et à se lancer sur le marché, à un moment peut-être inopportun. Les acheteurs peuvent craindre que les prix continuent d’augmenter et croire qu’ils regretteront d’avoir raté une occasion d’acheter alors que les prix étaient relativement abordables. Cela peut aussi assombrir notre jugement lorsque nous essayons d’acheter une propriété ou participons à une surenchère. Ce comportement peut vous amener à faire une offre trop élevée sur une propriété si vous pensez que vous regretterez de la perdre au profit d’un autre acheteur.

Comment avoir les idées claires : Anthony Damtsis conseille d’imaginer ce que vous ressentiriez en apprenant que vous avez payé votre propriété trop cher. Il existe, de fait, de nombreux scénarios capables de provoquer tout un éventail d’émotions négatives autres que le regret, notamment, le stress financier causé par le fait d’avoir trop payé. 

Nous pensons être des diseurs de bonne aventure

De quoi s’agit-il : L’heuristique de représentativité est un raccourci mental utilisé pour envisager l’avenir. Lorsque nous essayons d’évaluer la probabilité qu’un évènement survienne, nous accordons beaucoup d’importance à l’état actuel des choses et écartons ainsi la possibilité que la situation puisse changer.

Répercussions sur l’achat d’une propriété : Nous pensons que les prix des propriétés augmentent et que cette augmentation se poursuivra indéniablement au même rythme, oubliant ainsi que la vie est pleine de surprises et qu’il est donc impossible de prédire l’avenir. Cela peut aussi s’appliquer aux faibles taux d’intérêt : il est tentant de croire que, puisqu’en ce moment les taux d’intérêt sont bas, nos versements hypothécaires mensuels resteront abordables. Mais il ne faut pas se faire d’illusions : les taux d’intérêt ne resteront pas toujours aussi bas.

Comment avoir les idées claires : L’heuristique de représentativité est un raccourci utilisé par le cerveau pour économiser de l’énergie mentale. Il est plus facile de se créer une perception du monde en faisant des classements précis. Selon Anthony Damtsis, une manière d’éviter ce raccourci est de corriger notre jugement en réfléchissant à tous les scénarios qui pourraient contredire nos hypothèses. « C’est ce qu’on appelle une analyse prémortem, affirme Anthony Damtsis. Réfléchir à tous les scénarios et imaginer leurs répercussions sur vos plans peut être un précieux exercice. »

Nous pensons être des spécialistes

De quoi s’agit-il : L’effet de Dunning-Kruger est un phénomène psychologique selon lequel les personnes surévaluent leurs capacités et s’imaginent ainsi expertes.

Répercussions sur l’achat d’une propriété : De plus en plus de gens tirent profit de leur première propriété pour acheter d’autres propriétés à revenu. Alors que les prix montent en flèche, les données récentes du Toronto Real Estate Board indiquent que les personnes possédant plus d’une propriété en Ontario représentent plus de 25 % des acheteurs de la province2. [Market Insights, Teranet, consulté le 3 avril 2022, https://financialservices.teranet.ca/acton/attachment/2216/f-637ac64b-a4b6-4ec4-a1c9-474121b4d723/1/-/-/-/-/Teranet%20Market%20Insight%20Report%20Q4%202021.pdf] Lorsque, dans nos cercles sociaux, nous voyons des personnes se ruer sur des propriétés à revenu, nous sommes poussés à croire qu’il s’agit là d’une façon infaillible d’augmenter notre revenu et d’enrichir notre patrimoine, alors qu’en réalité, gagner de l’argent sur le marché de l’immobilier peut être compliqué.

Comment avoir les idées claires : Acceptez qu’il existe de véritables spécialistes qui peuvent vous aider dans votre parcours. Parlez avec un conseiller, il vous aidera à comprendre le coût réel associé à la détention d’un actif avant que vous ne décidiez d’investir dans des biens immobiliers et des propriétés à revenu.

Anthony Damtsis affirme que, même sans la frénésie actuelle sur le marché, l’achat d’une propriété est une expérience éprouvante sur le plan émotionnel. Pour vous aider à garder le cap, un conseiller peut vous aider à avoir une vision réaliste de ce que vous pouvez vous permettre, maintenant et plus tard, et vous éviter le surendettement dans le contexte actuel. 

Tamara a fini par trouver une propriété. Elle affirme ne pas avoir tout misé sur une offre concurrentielle pour garantir l’achat, car elle s’est rendu compte que les vendeurs pouvaient aussi se laisser influencer par leurs émotions. Elle leur a écrit pour leur expliquer sa situation et leur promettre que la maison irait à une famille qui l’apprécierait, le chérirait et en prendrait soin. Le courtier immobilier leur a fait savoir que les filles du propriétaire, qui étaient chargées de la vente, avaient été émues aux larmes en lisant sa lettre. Ayant récemment perdu leur père, la lettre a grandement contribué à inspirer un sentiment de sérénité quant à la vente de la maison familiale. « Les émotions peuvent jouer un rôle important des deux côtés. Après tout, il reste peut-être encore un peu d’humanité dans ce marché, affirme Tamara. »

DENISE O'CONNELL

PARLONS ARGENT ET VIE

ILLUSTRATION

DANESH MOHIUDDIN