Gisèle et Michel* ont emménagé ensemble pendant leurs études universitaires. Cette cohabitation n’était pas prévue. Gisèle donnait un coup de main à Michel pour son cours de chimie organique. Il passait presque toutes ses soirées chez elle et, de fil en aiguille, ils sont tombés amoureux.

La cohabitation s’est poursuivie après leurs études et leur entrée sur le marché du travail. Ils ont fait des stages, obtenu des contrats et aussi connu des périodes de chômage. Mais après deux ans, alors qu’ils avaient tous deux un emploi stable, Gisèle a voulu se marier; un mariage modeste, mais qui officialiserait leur union aux yeux de ses parents. Gisèle avait suffisamment économisé pour verser la mise de fonds sur une maison, en son nom seulement, et il restait donc à équiper la cuisine, à acheter de la literie et à se procurer tous les autres articles qu’on reçoit généralement en cadeaux de mariage.

Michel voulait bien sûr passer le reste de sa vie avec Gisèle, mais ne croyait pas avoir besoin d’un document de l’État pour « officialiser » leur relation. Même si cela n’arrivait jamais à son couple, il avait vu trop de somptueux mariages aboutir à la rupture peu de temps après. « Pourquoi se marier alors? » D’autant plus qu’en étant célibataires, disait-il, ils avaient plus de latitude dans leurs déclarations de revenus qu’ils n’en auraient s’ils étaient mariés.

Gisèle disait le contraire : il était plus avantageux sur le plan fiscal d’être un couple marié. D’ailleurs, avait-elle ajouté, une fois qu’on aura vécu ensemble comme couple, la loi nous considérera de toute manière comme étant mariés. L’union libre n’a pas d’avantages réels, si ce n’est d’économiser sur les frais d’un mariage formel et sur la location d’un smoking. (Elle pensait que Michel en smoking serait le portrait craché de James Bond.)

Incapable de trancher, Michel a pris rendez-vous avec son avocat et Gisèle, avec son conseiller financier.

Ce que les couples doivent savoir sur l’union libre

Vivre en union libre signifie habituellement que deux personnes en amour cohabitent sans certificat de mariage. C’est le cas d’environ 23 % des couples au Canada 1. Or, bon nombre d’entre eux ne connaissent pas vraiment les conséquences juridiques ou fiscales de l’union libre. Nicole Ewing, directrice, Planification fiscale et successorale, Gestion de patrimoine TD, fait le point sur l’union libre.

À de nombreux égards (mais pas tous), affirme Mme Ewing, l’Agence de revenu du Canada considère les conjoints de fait comme un couple marié après une année de vie commune; vous devez alors déclarer votre union libre dans votre déclaration de revenus. En revanche, le droit familial et successoral considère que le couple vit en union libre après deux ou trois ans de cohabitation (cela varie d’une province à l’autre; voir le tableau ci-dessus), voire moins, si le couple a un enfant ensemble.

Gisèle et Michel sont très en amour, mais ils voudraient sans doute savoir ce qui pourrait leur arriver en cas d’une improbable rupture. De plus, selon Mme Ewing, s’ils décident de conserver leur état civil actuel, ils voudront peut-être prendre d’autres dispositions juridiques pour encadrer leur relation.

La loi et l’union libre

23%

des couples vivent en union libre au Canada (source : Statistique Canada)

Et pour cause, car s’ils se séparaient en tant que conjoints de fait, et selon leur province de résidence, Michel pourrait n’avoir aucun droit sur la maison de Gisèle. Nombreux sont ceux qui croient le contraire, mais il n’en demeure pas moins qu’advenant une rupture, les conjoints non mariés risquent de n’avoir aucun droit sur la propriété de leur ex. Michel pourrait se retrouver sur la paille même s’il avait contribué aux versements hypothécaires, payé les services publics, l’épicerie et l’essence, et passé toutes ses fins de semaine à rénover la maison.

Un tribunal pourrait présumer que si les conjoints de fait avaient voulu partager les droits de propriété, ils auraient décidé en toute connaissance d’établir une copropriété ou de désigner un bénéficiaire dans un testament. Selon Mme Ewing, comme rien n’a été fait en ce sens, le tribunal pourrait considérer qu’il s’agissait d’une décision consciente de la part de Gisèle.

Si Michel se sépare, quelles sont ses options?

Michel dispose pourtant de quelques options. Il peut demander au tribunal d’imposer une « fiducie constructoire » de manière à faire reconnaître que certaines contributions faites par une personne n’ont pas été équitablement partagées selon les règles communes. Il doit démontrer au tribunal qu’il pourrait avoir droit à une compensation s’il a participé aux dépenses communes au fil des ans, car l’absence de toute compensation serait une « injustice » à son endroit. Il pourrait aussi soutenir qu’il a contribué à l’achat de la maison, même si son nom ne figure pas sur l’acte de propriété. Mais ces deux arguments pourraient donner lieu à de longues procédures judiciaires, coûteuses et souvent épuisantes sur le plan émotif.

Selon Mme Ewing, si le couple veut continuer à vivre en union libre, mais en s’assurant qu’aucun des conjoints ne se retrouve les mains vides en cas de rupture, une convention de vie commune ou un contrat de mariage, aussi appelé accord prénuptial, peut être une option intéressante. Les conventions de vie commune, les contrats de mariage et les accords prénuptiaux sont des noms différents pour désigner l’accord juridique d’un couple visant à documenter leurs obligations l’un envers l’autre lorsqu’ils s’engagent dans une relation, qu’il s’agisse d’un mariage ou d’une union libre, et à prévoir une répartition relativement équitable de leurs biens en cas de séparation.

Remarque : Les personnes qui se marient peuvent également rédiger un contrat de mariage ou un accord prénuptial, mais le droit de la famille varie selon la province, de sorte que la loi applicable peut avoir des répercussions différentes sur les droits d’une personne lorsqu’elle est officiellement mariée plutôt que si elle est restée en union libre.

Gisèle aurait peut-être besoin d’un contrat de mariage

Cependant, le contrat de mariage exige que les deux partenaires dévoilent l’état de leurs finances respectives. Par exemple, si Gisèle a des dettes que Michel ignore et que Michel a des obligations financières envers un enfant issu d’une relation antérieure, ils devront s’en informer réciproquement. Les gens qui veulent vivre leur relation amoureuse dans une union libre et conclure un accord prénuptial jugé valide par les tribunaux doivent donc accepter de révéler tous leurs renseignements financiers.

La loi et l’union libre

« Le contrat de mariage est aussi une option pour les couples qui sont établis et possèdent des avoirs considérables. »

NICOLE EWING,
DIRECTRICE,
PLANIFICATION FISCALE ET SUCCESSORALE,
GESTION DE PATRIMOINE TD

Selon Mme Ewing, un contrat de mariage ou un accord prénuptial constitue aussi une option pour les couples qui sont établis et possèdent des avoirs considérables, et qui ont peut-être aussi des obligations financières sans lien avec leur relation de couple.

Et si Michel avait rencontré Gisèle plus tard dans sa vie?

Faisons un saut de 35 ans et imaginons que Gisèle rencontre Michel plus tard dans sa vie : Gisèle, qui est maintenant âgée de 64 ans, possède une maison, une résidence secondaire et un régime d’épargne-retraite. Elle a aussi deux enfants adultes issus de deux mariages antérieurs. Si elle souhaite vivre en union libre avec son nouvel amoureux, Michel, elle peut hésiter entre divers scénarios de répartition de son actif entre ses enfants et son nouveau partenaire. Voudra-t-elle que Michel touche une part de ses actifs après une année de vie commune? Et si c’était dix années?

Avec un contrat de mariage, elle aura l’esprit tranquille puisqu’elle pourra faire connaître ses intentions. Par exemple, après un an de vie commune, elle peut souhaiter que Michel n’ait droit qu’au paiement nominal des dépenses auxquelles il a contribué pour l’entretien de la maison.

Mais disons que Michel et Gisèle vivent en union libre pendant 15 ans, jusqu’au décès de Gisèle à l’âge de 79 ans : Michel pourra alors hériter et partager avec les enfants adultes de Gisèle les actifs de cette dernière si son testament contient de telles dispositions.

Il convient de noter que si Gisèle souhaite que Michel hérite d’une partie de ses actifs, elle doit le préciser explicitement dans son testament. Contrairement aux conjoints mariés (dans la plupart des provinces), des conjoints de fait ne disposent pas automatiquement de droits sur la propriété de leur conjoint décédé. Encore une fois, pour les mêmes raisons mentionnées ci-dessus, même si le couple a vécu en union libre pendant un demi-siècle, le survivant peut ne rien hériter du tout s’il n’a pas été désigné comme bénéficiaire dans le testament du défunt.

Quiconque apporte un changement important dans sa relation ou songe à le faire devrait en discuter avec un conseiller financier et un avocat, notamment pour évaluer l’incidence du changement sur sa situation financière et déterminer si le changement l’expose à un risque juridique. Il n’est sans doute pas très romantique de se retrouver avec votre bien-aimé à signer des documents dans le bureau d’un avocat, mais cela vous donnera l’assurance d’avoir établi votre relation en connaissance de cause grâce aux conseils obtenus.

— Don Sutton, MoneyTalk Life

* Gisèle et Michel sont des noms fictifs.