La Dr Notisha Massaquoi a consacré les 30 dernières années à contribuer à l’élaboration de programmes de soins de santé communautaires qui ont touché des milliers de Noirs et de personnes racisées au Canada. Cette année, elle reçoit le Prix Femmes de mérite de la YWCA de Toronto. Elle discute avec Kim Parlee de son parcours de carrière en matière d’équité en santé.
Tout d’abord, félicitations pour ce prix.
Merci beaucoup.
Oui. Vous l’avez amplement mérité. Et quand on s’attarde au travail que vous avez accompli, on se rend compte que vous faites ça depuis très longtemps. Je crois que j’ai lu que ça fait 30 ans que vous travaillez dans le domaine de l’équité en santé. Revenons aux touts débuts. Qu’est-ce qui vous a amenée à travailler dans ce domaine?
Ce qui m’a vraiment amenée à travailler dans le domaine de l’équité en santé, c’est le mouvement de lutte contre la violence faite aux femmes. L’un de mes premiers emplois à la fin de mes études, ça a été de travailler dans un refuge pour femmes battues, et c’est le terme qu’on utilisait à l’époque, et de voir les besoins en matière de services offerts aux femmes, mais aussi la façon dont les femmes étaient traitées dans le système de soins de santé lorsqu’elles étaient victimes de violence conjugale.
Pour accélérer un peu les choses, je me suis fait une bonne idée des expériences différentes que vivaient les femmes par rapport à leurs homologues masculins. Mais les femmes noires dans toute cette dimension-là et les femmes racisées vivaient une expérience encore plus différente. Lorsque j’ai commencé à travailler dans le secteur des soins de santé, et de la santé mentale en particulier, je voyais que les femmes racisées n’obtenaient pas le même niveau de service que les autres femmes.
Et quand je suis arrivée à Toronto pour faire mes études supérieures, on était au plus fort de la pandémie de sida. Et c’est là que j’ai vraiment vu comment les disparités raciales se manifestaient. J’ai vu des Noirs ne pas être en mesure d’obtenir des soins de santé. Les personnes qui vivaient avec le VIH... les médecins ne voulaient pas les traiter, et elles ne pouvaient pas obtenir d’assurance maladie ni de prestations. Et la première année où j’ai travaillé pour pour une organisation de personnes atteintes du sida, en particulier des Africains, toute ma clientèle est décédée...
Oh mon Dieu.
... simplement en raison du manque d’accès à du soutien et à des soins, et du niveau de stigmatisation et de honte ressenti par les personnes infectées par le VIH, et en particulier si elles étaient noires. Les Canadiens ont souvent blâmé les Africains et les Haïtiens d’avoir amené le VIH au Canada. Et c’est ce qui m’a réellement poussée à vraiment réfléchir : à quoi ressemblerait un système de soins de santé réellement équitable?
C’est difficile à entendre. Et je suis certaine qu’il est incroyablement difficile de travailler dans votre domaine. Puis-je vous poser une question? Et j’espère que vous ne m’en voudrez pas de vous la poser. Mais quand on discutait plus tôt, vous avez mentionné que vous pensiez prendre votre retraite. Puis vous vous êtes ravisée. Peut-être pourriez-vous nous en parler un peu, simplement nous raconter le travail que vous avez fait et de ce qui vous a fait revenir pour vraiment aller de l’avant.
Absolument. Après 30 ans à faire ce travail, dont 22 ans à titre de directrice générale du centre de santé communautaire La santé des femmes entre les mains des femmes, qui se consacre entièrement à accroître l’accès aux services de soins de santé pour les femmes noires et racisées, je me suis dit qu’il était temps de laisser la place à une génération plus jeune. C’était en 2018... en décembre 2018, pour être précise.
Puis, en 2019, la pandémie de COVID-19 a frappé de plein fouet. Et puis il y a eu le meurtre de George Floyd. Et puis mon téléphone a littéralement commencé à sonner. D’anciens collègues me disaient que, pendant tout ce temps et compte tenu de tout ce que je leur avais dit au sujet des inégalités dans les soins de santé, eh bien ils le comprenaient maintenant.
Ils comprenaient parfaitement les expériences des Noirs qui sont complètement différentes de celles du reste de la société, simplement en raison du racisme envers les Noirs qu’ils vivent. Et c’est ce qui m’a vraiment fait penser, OK, j’ai une bonne idée de ce que je veux faire maintenant. Ça tourne beaucoup autour de l’enseignement à la prochaine génération et de l’influence qu’on peut avoir sur cette génération, en particulier la prochaine génération de chercheurs en santé, qui vont vraiment étudier ce problème en profondeur et qui vont élaborer des systèmes qui vont changer la vie des Noirs et des personnes racisées.
C’est un travail incroyable. Et on a seulement un peu de temps aujourd’hui, mais je sais deux choses dont vous avez parlé, soit le premier programme de lutte contre le VIH pour les collectivités noires de l’Ontario, et aussi le Black Health Equity Lab. Je sais qu’on peut parler pendant deux heures de chacun de ces sujets-là. Mais pouvez-vous simplement nous donner un aperçu pour que les gens sachent de quoi on parle?
Bien sûr. Je suis vraiment emballée par le Black Health Equity Lab. Je l’ai fondé l’an dernier, littéralement. L’objectif de cet organisme est d’offrir aux étudiants des occasions d’apprendre comment travailler efficacement avec les collectivités noires et comment élaborer des programmes et des services de santé qui vont réellement répondre aux besoins des Noirs, et comment travailler en partenariat avec les collectivités noires pour élaborer des programmes qui vont leur être utiles.
Ça donne une occasion aux étudiants, et pas seulement les étudiants noirs. Tout étudiant qui souhaite aborder les problèmes liés au racisme envers les Noirs grâce à la recherche et aux soins de santé est le bienvenu au sein de l’organisme. On est donc très, très heureux des occasions qu’on offre aux étudiants.
Notre premier projet d’envergure, c’est l’élaboration du premier programme clinique sur le VIH pour les Noirs de l’Ontario. C’est le centre de santé communautaire TAIBU qui s’en charge. Le programme a commencé. On a commencé il y a environ trois semaines.
On fournit des services cliniques, en particulier aux personnes qui vivent avec le VIH qui ont récemment été diagnostiquées, et qui s’identifient comme des membres de la communauté noire. En raison du racisme envers les Noirs, des déterminants sociaux de la santé, et on l’a vu pendant la pandémie de COVID, les taux élevés de maladies chroniques en sont l’un des résultats pour les Noirs, et le VIH est l’une de ces maladies chroniques où il y a une surreprésentation en ce qui a trait aux nouvelles infections au VIH.
Alors à quoi ressembleraient les services dans une collectivité s’ils étaient appropriés sur le plan racial et culturel et si les gens étaient traités avec dignité et respect? Le centre de santé va donc fournir ces services. On va étudier l’efficacité de la prestation de services adaptés à la culture et à la race.
Ça va donner de meilleurs résultats. De meilleurs résultats, en effet.
Absolument. Peaufiner le tout pour pouvoir présenter un modèle qui pourrait être reproduit à l’échelle de la province et examiner d’autres maladies chroniques... comment mieux travailler, plus efficacement et avec respect avec les Noirs.
Je m’excuse pour ça. Il nous reste environ 30 secondes. Mais si j’avais à vous demander... vous avez accompli tellement de travail. Vous faites ce travail depuis longtemps, et vous avez vu l’évolution de la situation. Quelle quantité de travail reste-t-il à faire?
Je n’arrête pas de dire aux gens que je fais beaucoup de travail de consultation : aujourd’hui, vous commencez, mais ça signifie que vous allez le faire pour le reste de votre carrière. Il faut comprendre qu’on a environ 400 ans à corriger au Canada, c’est-à-dire depuis que les Noirs vivent dans ce pays. Et on ne peut pas commencer aujourd’hui et à espérer du succès du jour au lendemain. C’est un engagement à long terme qu’on va poursuivre pour le reste de notre vie.
Il faut comprendre que tout le monde doit participer. Tout le monde doit mettre la main à la pâte. Tout le monde doit être indigné par le niveau d’injustice dont sont victimes les Noirs, les Autochtones et les communautés racisées au Canada, et tout le monde doit participer à ce changement.
Eh bien, votre témoignage est incroyablement inspirant, et troublant à la fois, mais c’est inspirant de voir le travail qui a été accompli. Merci beaucoup pour votre temps aujourd’hui.
Merci beaucoup. [LOGO AUDIO] [MUSIQUE]