On dirait que quelqu’un mentionne le pétrole dans chaque courriel que j’ouvre ces jours-ci. Qu’est-ce qui se passe?
Le pétrole, c’est un peu comme la météo au Canada : les gens adorent en parler, que ce soit pour dire que le prix est trop haut ou trop bas. À l’heure actuelle, les prix montent en flèche. Depuis février 2021, le prix du baril de pétrole brut West Texas Intermediate, l’un des types de pétrole les plus courants, a grimpé de 113 %, passant d’environ 52 $ à 111 $ CA. Au début du conflit Russie-Ukraine cette année, il est passé à 123 $ le baril. Il n’avait pas été aussi cher depuis août 2014, quand l’agression de la Russie à l’égard de l’Ukraine avait suscité des craintes pour l’approvisionnement en pétrole. Après la chute spectaculaire observée durant la pandémie de COVID-19, le choc est d’autant plus rude. Pendant une courte période, en avril 2020, plus personne ne prenait la voiture, et le baril de pétrole coûtait moins de 52 $.
Et il y a aussi le gaz naturel. On n’en parle pas autant que du pétrole, et pourtant il chauffe la plupart des maisons. Il a augmenté de plus de 100 % au cours de la dernière année : à environ 6,64 $ par million d’unités thermiques britanniques (MBTU); il n’avait plus été aussi élevé depuis 2008.
Qu’est-ce qui explique ces hausses vertigineuses?
Vous avez combien de temps devant vous? L’évolution des prix du pétrole et du gaz est un sujet complexe. Le Canada est certes depuis longtemps un chef de file du secteur de l’énergie, mais ce sont des produits de base partout dans le monde, et leurs prix augmentent et baissent donc en fonction de l’actualité à l’échelle du globe, qu’il s’agisse de la météo, des politiques et même des lois environnementales. Les prix des produits de base sont fondés sur l’offre et la demande : si les gens veulent une chose, mais qu’il n’y en a pas assez pour tout le monde, son prix va monter. Certains spécialistes affirment que les décisions politiques visant à réduire les émissions de carbone, comme la fermeture des centrales au charbon et l’investissement dans l’énergie verte, font en sorte qu’il est plus difficile de répondre à la demande d’énergie. Même si l’abandon progressif des combustibles fossiles est une bonne chose pour l’environnement, il n’y a pas encore assez d’énergie renouvelable pour combler la différence, ce qui contribue au déséquilibre entre l’offre et la demande.
Est-ce qu’il faut comprendre que la demande de pétrole et de gaz a augmenté?
C’est en grande partie ce qui explique que les prix augmentent. Ces 18 derniers mois, nous avons surtout été en confinement. Mais les gens ont désormais commencé à reprendre la voiture pour retourner au bureau, aller au restaurant, partir en escapade et refaire tout ce qu’ils faisaient avant. Aux États-Unis, l’Administration fédérale des autoroutes a constaté que les déplacements routiers étaient 11,5 % plus élevés en juillet 2021 qu’à la même période l’année précédente. L’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) estime qu’en 2022, la demande mondiale de pétrole atteindra 100,8 millions de barils par jour, ce qui dépasse la demande de 100,3 millions de barils par jour en 2019.
C’est la même chose pour le gaz naturel. Depuis le début de la pandémie, la consommation d’électricité a augmenté dans les foyers et baissé dans les autres immeubles, comme les bureaux, les centres commerciaux, les restaurants et les autres bâtiments non résidentiels, qui ne fonctionnent pas à pleine capacité. Mais ça a commencé à changer. L’hémisphère nord a connu les températures estivales les plus chaudes jamais enregistrées, ce qui a entraîné une plus grande utilisation des climatiseurs, et donc une hausse de la consommation d’électricité.
Pourquoi les producteurs ne fournissent-ils pas tout simplement plus?
C’est en grande partie dû au fonctionnement de l’OPEP, qui regroupe 15 grands pays producteurs de pétrole. L’organisation est censée coordonner les politiques pétrolières pour assurer la stabilité des marchés. Elle peut donc décider d’ouvrir les robinets lorsque les prix sont élevés et de limiter l’offre lorsqu’ils sont trop bas. En 2019, ces pays ont convenu de réduire la production de plus de 800 000 barils par jour pour les faire remonter. En juillet 2021, l’OPEP a déclaré qu’elle allait commencer à augmenter graduellement la production (mais pas aussi vite que les États-Unis l’auraient voulu), mais elle a eu de la difficulté à atteindre ses cibles, en partie parce que des pays comme l’Angola, le Nigeria et l’Azerbaïdjan, qui ont sous-investi dans la production de pétrole et les capacités d’exploration, ne pouvaient pas augmenter leur production.
Au même moment, de nombreuses entreprises partout dans le monde ont soit fait faillite, soit arrêté leur production, parce qu’avec la récession les prix étaient trop bas pour qu’elles puissent gagner de l’argent. Le redémarrage vient tout juste de commencer, et il va falloir un certain temps pour reprendre le rythme. En octobre, l’offre de pétrole brut aux États-Unis était à son plus bas depuis novembre 2019.
Qu’en est-il du gaz naturel?
C’est à peu près la même histoire. Les prix sont bas depuis très longtemps. Vers 2008, les États-Unis ont découvert comment extraire le gaz du schiste, ce qui a fait augmenter l’offre. Durant la pandémie de COVD-19, la baisse de la demande a fait chuter les prix à un niveau si bas que de nombreuses compagnies américaines ont interrompu la production. Autre problème : une fois liquéfié, le gaz naturel peut être transporté par bateau vers d’autres pays. Les exportations américaines de ce qu’on appelle le gaz naturel liquéfié (GNL) ont déjà atteint des sommets en 2021, et la croissance devrait se poursuivre l’année prochaine. Selon l’agence fédérale américaine Energy Information Administration (EIA), les exportations de GNL des États-Unis augmentent plus rapidement que la production intérieure, ce qui épuise les stocks.

Donc c’est pour ça que les prix à la pompe sont beaucoup plus élevés?
Oui. Comme vous le savez probablement, les prix du pétrole et de l’essence ont tendance à augmenter et à diminuer en même temps. En octobre, le prix moyen de l’essence au Canada a atteint un nouveau record de 1,45 $ le litre. Ça ne vous avait jamais coûté aussi cher de faire le plein.
C’est donc ça qui va faire le plus mal à mes finances personnelles?
C’est probablement ce que vous allez le plus remarquer, mais vos coûts de chauffage risquent aussi augmenter. En septembre, Enbridge, qui chauffe plus de 75 % des maisons en Ontario, a déclaré qu’elle allait augmenter le prix de son gaz, ce qui va se traduire par une hausse de 7 $ à 44 $ par année sur les factures de sa clientèle. Les prix d’autres produits pourraient aussi augmenter. Si la hausse du prix du gaz fait monter les frais d’expédition ou la facture de chauffage d’un magasin, il est fort probable que l’entreprise qui la subit cherche à la répercuter sur le prix des produits qu’elle vend.
J’ai quelques actions du secteur de l’énergie. Est-ce que ça peut compenser cette hausse?
On aime votre façon de penser. Au cours des 12 derniers mois, l’indice plafonné de l’énergie S&P/TSX, qui suit le secteur canadien de l’énergie, a enregistré une hausse incroyable de 134 %, alors que l’indice composé S&P/TSX dans son ensemble a grimpé de 30 %. Il est donc probable que les sociétés présentes dans votre portefeuille aient enregistré des gains solides. Si vous préférez détenir des parts de fonds négociés en bourse ou de fonds communs de placement, il pourrait aussi y avoir certains avantages. Avec 13,1 %, l’énergie est le deuxième secteur le plus important de l’indice composé S&P/TSX après les services financiers, ce qui signifie que quiconque détient un fonds d’actions canadiennes diversifiées aura probablement tiré profit des gains du secteur. (En 2020, l’indice S&P/TSX n’avait progressé que de 2,2 %, en partie parce que les actions du secteur de l’énergie avaient reculé de 37 % cette année-là.)
Est-ce que ces actions sont désormais trop chères maintenant que tout le monde a sauté dessus?
Bonne question! Habituellement, quand des actions augmentent aussi vite, elles deviennent chères, car en partie sous l’effet de l’enthousiasme que suscite la société, le cours de l’action finit par être plus élevé qu’il ne devrait l’être au regard de ses paramètres fondamentaux et de son potentiel de gains futurs. Les prix du pétrole et du gaz sont délicats à appréhender, car de nombreux investisseurs délaissent les titres des combustibles fossiles au profit de ceux des énergies renouvelables. C’est une autre raison pour laquelle les prix augmentent : comme les investissements étrangers et institutionnels dans la production de combustibles fossiles sont à la baisse, il est plus difficile d’introduire des technologies qui rendent l’extraction plus efficace et d’en étendre l’usage. Certains investisseurs soucieux du climat se demandent maintenant quelle est la meilleure façon de faire la transition vers une économie à faibles émissions de carbone, tout en veillant à ce qu’il y ait assez de pétrole et de gaz pour fournir de l’électricité entre-temps.
Envisageriez-vous d’investir dans une société d’un secteur en train d’être délaissé? Habituellement, la réponse est non, mais le secteur de l’énergie est-il vraiment délaissé? La production d’énergie renouvelable n’est pas sans difficulté. En raison des faibles vents en mer du Nord cet automne, les éoliennes de la région ont tourné au ralenti et peu produit. Le Royaume-Uni a alors dû mettre ses centrales au gaz et au charbon à contribution pour compenser. Tant que le monde ne disposera pas d’une source fiable d’énergie renouvelable, on aura besoin du pétrole et du gaz.
Comme ces actions ont été sous-évaluées en 2020 (et même avant), elles ont beaucoup de terrain à gagner. Un analyste de Morningstar Direct a récemment écrit que les actions du secteur de l’énergie demeurent sous-évaluées en partie parce que les gens sous-estiment à quel point la demande pour ces produits de base va être forte au cours des prochaines années. Toutefois, les actions restent des titres risqués, et les cours du secteur de l’énergie peuvent être particulièrement volatils. Des tensions entre les pays membres de l’OPEP pourraient faire fluctuer considérablement les prix du pétrole. En cas de nouveau confinement, la demande pourrait chuter drastiquement. Un ouragan pourrait paralyser la production de pétrole. De nombreux facteurs peuvent influer sur les cours boursiers.
Pourrait-il y avoir des conséquences sur mes autres placements?
Potentiellement beaucoup. Si toutes les entreprises qui dépendent du pétrole et du gaz répercutent l’augmentation des coûts sur leur clientèle, les gens pourraient consommer moins. Cela ferait alors baisser les bénéfices des sociétés et, à terme, les cours des actions. Et si les entreprises absorbent la hausse des prix, ça pourrait également faire baisser leurs bénéfices. En fait, toute l’économie mondiale pourrait pâtir de prix trop élevés, puisqu’il arrive un moment où l’augmentation est trop lourde pour les entreprises et les consommateurs. Récemment, une société mondiale d’engrais qui utilise beaucoup de gaz naturel dans son processus de production a fermé deux usines dans le nord de l’Angleterre, car le maintien de leurs activités aurait coûté trop cher. Ainsi, même si vos actions du secteur de l’énergie se portent bien, ce pourrait ne pas être le cas pour d’autres de vos titres. C’est pourquoi la diversification sectorielle et régionale des actions et des obligations de votre portefeuille peut vous protéger contre la hausse des prix : quand certains de vos titres baisseront en raison de la conjoncture, d’autres resteront stables voire monteront.
Alors, qu’est-ce que je devrais faire maintenant?
Faites le point sur vos placements pour voir quel impact les prix du secteur de l’énergie pourraient avoir sur votre portefeuille. Avez-vous une exposition importante aux actions qui dépendent fortement du pétrole et du gaz? Les coûts de production sont-ils susceptibles d’augmenter? Y a-t-il des sociétés énergétiques de grande qualité qui pourraient constituer un bon ajout à votre portefeuille? À tout le moins, économisez un peu plus pour couvrir la hausse des prix de l’essence.