Pour bon nombre d’entre nous, la possibilité de travailler de la maison pendant la pandémie a été l’un des rares aspects positifs d’une période à oublier. La souplesse du travail hybride a été d’un grand secours pour les travailleurs fatigués à un moment où ils en avaient le plus besoin.
Cela peut être tentant de croire que le secteur des immeubles de bureaux revient à la normale, mais le contexte de travail hybride a créé de grands défis pour le secteur de l’immobilier commercial… et pour les investisseurs qui détiennent des avoirs dans les fiducies de placement immobilier (FPI) cotées en bourse qui possèdent ces immeubles. Dans un rapport portant sur neuf villes aux États-Unis publié par McKinsey and Company, une société d’experts-conseils qui préconise des stratégies d’affaires à long terme, on estime à 800 milliards de dollars américains la valeur qui pourrait se volatiliser d’ici 2030 dans la foulée de la baisse de la demande d’immobilier commercial1. Au Canada, CBRE, une société mondiale de placement immobilier, a constaté que le taux d’inoccupation des immeubles de bureaux dans les centres-villes du Canada avait atteint un sommet record de 19,5 % au premier trimestre de 2024, soit près du double du taux habituel de 10 %2.
Par ailleurs, un nombre croissant de sociétés canadiennes exigent un retour complet ou partiel au bureau. Naturellement, tout le monde n’est pas emballé : selon une étude sur la productivité effectuée par l’Integrated Benefits Institute, 47 % des employés quitteraient leur emploi ou commenceraient à en chercher un nouveau si leur employeur les obligeait à retourner au bureau3.
Même si l’on ne sait pas encore quel équilibre finira par se créer entre le personnel en télétravail et les dirigeants prônant un retour au bureau, on peut décerner dans l’incertitude des occasions d’investissement à saisir. En effet, les locataires constatent bien que les bureaux sont à moitié vides et envisagent donc de conserver moins d’espace au renouvellement de leur bail, ou encore de déménager dans un immeuble moins cher.
Ainsi, pour avoir une meilleure idée de la portée de ce phénomène, nous avons discuté avec Colin Lynch, chef, Placements alternatifs, Gestion de Placements TD. Il souligne notamment que si on cherche des occasions intéressantes, on doit songer à la distance à parcourir pour se rendre au travail.
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1 minute supplémentaire de temps de déplacement = 12 minutes de moins en milieu de travail
»
Qu’est-ce que la distance a à voir avec les investissements dans l’immobilier commercial?
Des recherches intéressantes montrent que les villes où les déplacements sont plus courts ont des taux d’inoccupation plus faibles que les villes où les déplacements sont plus longs. Un rapport récent de la société immobilière commerciale Colliers Canada a révélé que les employés des villes de Saskatoon, de Regina et de Winnipeg dans les Prairies passent en moyenne 35 heures par semaine (soit environ 4,5 jours) au bureau, alors que ceux de Calgary et d’Edmonton y passent 31 heures et 28 heures, respectivement4. Les villes plus grandes et plus congestionnées où le temps de déplacement est plus long, comme Toronto et Montréal, se situaient à l’autre bout du spectre, soit 24 heures et 23 heures (soit environ trois jours par semaine), respectivement. Pour chaque minute supplémentaire ajoutée à un déplacement, un employé passe 12 minutes de moins en milieu de travail.
Du point de vue du taux d’inoccupation et de la location, « la confiance à l’égard des immeubles de bureaux est beaucoup plus élevée dans certaines de ces petites villes que dans les plus grandes, comme Toronto, Ottawa ou Montréal, affirme M. Lynch. À Vancouver, le travail hybride persiste encore un peu, mais nous comptons beaucoup plus de gens qui vivent à proximité des tours de bureaux et qui ne font pas de longs déplacements. Nous observons aussi qu’un peu plus d’employés retournent au bureau. »
Vous conseillez donc d’acheter des biens immobiliers commerciaux à Winnipeg?
Eh bien, pas exactement, mais les taux d’inoccupation dans différentes villes peuvent être un facteur à prendre en considération. Vous pourriez aussi envisager d’investir dans des portefeuilles comprenant des immeubles plus neufs avec de nouvelles commodités situés près d’un réseau de transport en commun et entourés d’endroits où magasiner et manger. M. Lynch souligne qu’à Toronto, la zone des rues Yonge et St. Clair affiche des taux d’inoccupation en baisse, en partie parce que c’est une zone bien nantie qui est bien desservie par le transport en commun et où plusieurs nouveaux restaurants s’installent.
Il y a aussi une demande plus forte pour les immeubles plus écologiques, poursuit-il. « Supposons que vous êtes un locataire dans un immeuble de bureaux de catégorie B qui est un peu plus vieux, pas bien desservi par le transport en commun et qui n’est pas aussi attrayant d’un point de vue environnemental, social et de gouvernance, explique-t-il. Si vous avez l’occasion d’emménager dans un immeuble flambant neuf offrant d’excellentes commodités et relié à une station de métro, vous savez quoi? Vous allez le faire. »
Pourquoi voudrait-on ajouter l’immobilier commercial à son portefeuille?
Investir dans l’immobilier commercial, ce que beaucoup de gens font par l’intermédiaire des FPI, donne une exposition à des actifs qui ont normalement une corrélation plus faible avec l’ensemble du marché boursier. En effet, les locataires stables qui paient des loyers permettent aux FPI de générer un revenu, dont une partie est transmise aux porteurs de parts du FPI au moyen de dividendes.
Qu’y a-t-il d’autre à savoir sur les FPI?
Les FPI offrent aux investisseurs un moyen courant d’accéder à l’immobilier commercial. Bien sûr, si vous avez beaucoup d’argent, vous pourriez peut-être acheter un immeuble vous-même, mais c’est beaucoup plus facile d’acheter des parts d’une FPI. Certaines FPI possèdent un large éventail d’immeubles dans plusieurs types d’actifs, tandis que d’autres se concentrent sur des secteurs précis du marché, comme les immeubles de bureaux, les entrepôts et immeubles industriels, les immeubles d’habitation ou les commerces de détail.
« Les FPI constituent pour les investisseurs un moyen liquide d’accéder à ce type de catégorie d’actif, affirme Sam Damiani, analyste à Valeurs Mobilières TD, dans un récent balado. Traditionnellement, les biens immobiliers productifs de revenus sont l’apanage des familles fortunées, des caisses de retraite, des compagnies d’assurance vie, etc. Les FPI ont été crées il y a 25 ou 30 ans pour permettre aux investisseurs du marché public d’accéder à cette catégorie d’actif tout autant que les investisseurs institutionnels. C’est donc une façon inédite et attrayante pour de nombreux investisseurs [d’obtenir une exposition à l’immobilier]. »
Quels sont les risques?
Eh bien, on en a vu quelques-uns au cours des dernières années. Si une situation quelconque fait en sorte que des gens cessent soudainement d’aller au bureau, ce qui met en péril le revenu de location, la FPI pourrait devoir réduire son dividende. La hausse des taux d’intérêt a également nui au secteur. Tout comme pour votre propre maison, les coûts hypothécaires de ces immeubles ont augmenté, tandis que les prix de vente ont diminué. Ces facteurs peuvent inciter les gestionnaires de FPI à envisager de vendre certaines propriétés à perte, ou du moins à se priver du gain qu’ils avaient prévu réaliser.
Si les taux d’intérêt commençaient à baisser, quelles pourraient être les conséquences sur l’immobilier commercial?
Une baisse des taux d’intérêt pourrait rendre les biens immobiliers commerciaux plus attrayants, car les coûts d’emprunt diminueraient, mais tout dépend de la raison de la réduction. Si les taux baissent parce que l’économie piétine et que des gens perdent leur emploi, cela pourrait peser encore davantage sur le secteur des immeubles de bureaux. Mais selon M. Lynch, une autre école de pensée affirme que les inquiétudes sur l’économie pourraient accroître l’occupation des bureaux, car les employés pourraient vouloir se montrer pendant les périodes turbulentes.
Dans le meilleur des cas, les taux baisseront sans qu’il y ait de calamité économique majeure. « Les investisseurs peuvent investir dans bien des choses, pas seulement dans l’immobilier, fait valoir M. Lynch. Si les taux baissent, le secteur immobilier retrouve en quelque sorte sa capacité de susciter l’intérêt des investisseurs. On lorgnera plus volontiers les immeubles de bureaux performants qui produisent des revenus et, par conséquent, des flux de trésorerie. »
Alors en fin de compte, qu’est-ce que cela signifie?
Les investisseurs doivent garder à l’esprit que les immeubles de bureaux ne sont pas tous égaux. « Vous devez trouver des immeubles qui présentent de bons paramètres fondamentaux et qui produisent un revenu. Quel est le taux d’occupation? Quelles sont les mesures incitatives? En période de perturbations économiques, les mesures incitatives deviennent de plus en plus importantes, ce qui signifie que même si le loyer de base est constant, le loyer réel que reçoit le propriétaire diminue » explique M. Lynch.
Malgré tout, même si l’année à venir pourrait être encore difficile pour le secteur de l’immobilier commercial, l’aplatissement des coûts de construction, la forte croissance de la population et la possibilité d’une baisse des taux d’intérêt pourraient justifier un optimisme prudent. Il semble que le travail hybride demeurera la nouvelle norme, mais les employeurs n’abandonneront pas de sitôt leurs efforts pour ramener au bureau le plus d’employés possible.
- Jan Mischke, Empty spaces and hybrid places: The pandemic’s lasting impact on real estate. McKinsey Global Institute, 13 juillet 2023, https://www.mckinsey.com/mgi/our-research/empty-spaces-and-hybrid-places, consulté le 3 avril 2024 ↩
- CBRE Research, Canada Office Figures Q1, 2024 https://www.cbre.ca/-/media/project/cbre/dotcom/americas/canada-emerald/insights/Figures/Office/Canada-Office-Figures-Q1-2024.pdf, consulté le 16 avril 2024 ↩
- Jennifer Santisi, 47 % des employés disent qu’ils démissionneraient si leur employeur ordonnait un retour au bureau à temps plein, selon l’Integrated Benefits Institute Analysis, Integrated Benefits Institute, https://news.ibiweb.org/47-of-employees-say-theyll-quit-if-employer-orders-return-to-office-full-time-according-to-integrated-benefits-institute-analysis, consulté le 3 avril 2024 ↩
- Philip Lloyd, L’équation hybride : qu’est-ce qui pousse les employés à travailler du bureau? Colliers Canada, https://www.collierscanada.com/fr-ca/recherche/rems-employee-pulse-report, consulté le 21 mars 2024 ↩