Faut-il s’y intéresser et investir? Pourquoi toute cette agitation autour des psychédéliques ces derniers temps?
Des études menées sur plusieurs décennies montrent que la prise de drogues psychédéliques – drogues autrefois associées aux hallucinogènes à usage récréatif – pourrait être efficace pour traiter certains troubles mentaux, notamment la dépression, les pensées suicidaires et le trouble de stress post-traumatique (TSPT). Puisque les percées médicales liées à des maladies comme le diabète ou le cancer se sont révélées profitables pour les sociétés pharmaceutiques, les investisseurs se disent que la découverte de traitements efficaces pour les troubles de santé mentale pourrait rapporter gros. Certains observateurs aux États-Unis pensent que le marché des traitements psychédéliques pourrait passer d’environ 2,8 milliards de dollars américains aujourd’hui à 6,85 milliards d’ici 2027.
D’où vient l’idée d’halluciner pour la santé?
Les hallucinogènes n’ont rien de nouveau. Les humains ont recours aux psychotropes depuis des milliers d’années, et l’archéologie le prouve. Trois bols servant à inhaler des hallucinogènes datant d’environ 400 avant J.-C. ont été découverts dans les Caraïbes. En Amérique du Sud, les hallucinogènes font partie intégrante des rituels spirituels autochtones. Dans les années 1960, des chercheurs médicaux américains, dont le professeur de Harvard Timothy Leary, ont commencé à étudier les avantages des drogues comme le LSD dans les traitements psychiatriques. À l’époque, l’administration américaine croyait que ces drogues constituaient une menace pour la santé publique et criminalisait leur consommation. Le président Richard Nixon a même déclaré que le professeur Leary était « l’homme le plus dangereux d’Amérique ». En raison de la guerre contre les drogues menée à l’échelle nationale, les scientifiques ont eu de la difficulté à maintenir leur crédibilité et à obtenir du financement. Par conséquent, bon nombre ont abandonné leurs recherches.
Les drogues psychédéliques étaient manifestement mal perçues. Qu’est-ce qui a changé?
En 2017, la Federal Drug Administration (FDA) des États-Unis a accordé le statut de « thérapie innovante » aux traitements basés sur les psychédéliques, en particulier ceux contre le TSPT. Cette désignation permet d’accélérer la mise au point et l’examen des médicaments qui traitent une pathologie grave ou potentiellement mortelle lorsque les données cliniques indiquent que le médicament peut offrir une amélioration substantielle par rapport aux thérapies disponibles. Depuis, les organismes de réglementation de la santé au Canada et aux États-Unis ont modifié leur réglementation pour autoriser la recherche sur l’efficacité de cette catégorie de médicaments.
Le retour des soldats canadiens et américains d’Afghanistan avec beaucoup de cas de TSPT a été un important catalyseur pour le soutien – dont les millions de dollars octroyés à la recherche – des avantages potentiels de la psychothérapie assistée par les psychédéliques (PAP). Le Centre de toxicomanie et de santé mentale (CAMH) du Canada estime que les maladies mentales coûtent 51 milliards de dollars par année à l’économie. Chaque semaine, 500 000 personnes au Canada ne sont pas en mesure de travailler en raison de problèmes de santé mentale. C’est plus que la population entière d’Halifax.
Nous assistons aujourd’hui à une transition : l’usage récréatif des psychédéliques fait place au développement d’applications médicales par de jeunes entreprises biotechnologiques.
Quels types de drogues les chercheurs étudient-ils?
Les composés psychédéliques se divisent en deux grandes catégories : les composés à base de plantes et les composés chimiques. Du côté des plantes, la psilocybine est une substance hallucinogène qu’on trouve dans certains types de champignons. Ce composé est le point de mire de plusieurs entreprises biopharmaceutiques qui cherchent à mettre au point des traitements. En 2020, Santé Canada a approuvé l’usage thérapeutique de la psilocybine pour certains patients en phase terminale. Il n’est pas surprenant que les entreprises biopharmaceutiques qui cherchent à lever des capitaux importants ne veuillent pas que leur travail souffre de la mauvaise réputation des drogues festives. Alors ne les appelez pas « champignons magiques », mais plutôt « psilocybine ».
Du côté des composés chimiques, deux substances sont à l’étude : la kétamine, anesthésique approuvé qui semble avoir un effet antidépresseur, et la MDMA, aussi appelée « ecstasy ». En mai 2021, les résultats d’un essai de phase 3 parrainé par la Multidisciplinary Association for Psychedelic Studies (MAPS) ont été publiés. Ils confirment l’efficacité et la sécurité d’une thérapie assistée par la MDMA pour le TSPT dans le cadre d’un protocole MAPS.
Les organismes de réglementation ont-ils changé d’avis concernant ces drogues?
Nous avons pu voir que le public a changé d’attitude face à la marijuana ces dernières années et que celle-ci est désormais légalisée au Canada et dans certaines régions des États-Unis. C’est un peu la même chose avec les psychédéliques : le paysage réglementaire est en pleine mutation. Au Canada, les psychédéliques demeurent visés par la Loi réglementant certaines drogues et autres substances (LRCDAS), mais les chercheurs peuvent obtenir une exemption en vertu de l’article 56. Aux États-Unis, on constate une volonté croissante de financer des études sur les avantages thérapeutiques de ces drogues.
En autorisant la recherche sur les répercussions quantifiables des psychédéliques, les organismes de réglementation se sont tournés vers la science pour savoir si ces traitements étaient susceptibles d’améliorer l’état de santé mentale.
Les entreprises biotechnologiques et les grandes sociétés pharmaceutiques profitent du changement d’attitude du public et de l’État pour se lancer dans ce créneau. Beaucoup se sont déjà tournées vers le marché boursier pour obtenir des fonds. Créer de la propriété intellectuelle et faire de longs essais cliniques, ça coûte cher! Les premiers investisseurs font le pari que les entreprises qui parviendront à commercialiser leurs médicaments psychédéliques en premier profiteront d’une hausse hallucinante (!) du cours de leurs actions.
À quel point les actions psychédéliques sont-elles risquées?
Les placements dans les sociétés biopharmaceutiques psychédéliques sont spéculatifs. Autrement dit, ils sont risqués. Deux raisons expliquent ce risque :
- Absence de revenus. Les sociétés biopharmaceutiques en démarrage ont généralement d’importants frais de recherche, mais peu ou pas de revenus. Le risque, c’est que l’argent disparaisse avant que la recherche aboutisse à un produit viable.
- Obstacles réglementaires. Les psychédéliques figurent toujours parmi les substances contrôlées au Canada et aux États-Unis. Faute d’un changement majeur de politique, la disponibilité de ces drogues à des fins médicales demeure limitée. Le traitement psychédélique est voué à l’échec si les médecins ne peuvent pas prescrire ces médicaments.
Il faut avoir conscience du risque. Cela ne veut pas dire que vous devez renoncer à investir, mais plutôt que vous devez prendre en compte le risque que représente un placement spécifique dans le contexte de vos objectifs.
D’accord. Alors, comment peut-on intégrer les psychédéliques dans son portefeuille?
On peut aborder ce secteur de deux façons : en achetant un fonds négocié en bourse (FNB) sectoriel ou en achetant des actions individuelles. L’achat d’un FNB est l’un des moyens de gérer le risque d’investir dans un secteur spéculatif, car vous détenez un panier d’actions au lieu de dépendre d’une ou deux sociétés seulement pour gagner votre pari. Lorsque vous achetez des actions psychédéliques, vous devez prendre le temps de faire des recherches sur le secteur et tenir compte des progrès ou des revers auxquels l’industrie fait face.
En conclusion?
Certains investisseurs croient que les actions psychédéliques pourraient être la prochaine grosse tendance. Mais pour être un investisseur autonome avisé, il faut comprendre les risques et les occasions qui se présentent dans ce secteur avant d’y investir.