Après une longue ascension et jusqu’au sommet de novembre 2021, les monnaies numériques se sont effondrées de façon spectaculaire. Rien qu’au premier semestre de 2022, la plus connue d’entre elles, Bitcoin, a perdu plus de la moitié de sa valeur. Et ce n’est pas un cas isolé. Les autres monnaies numériques ont elles aussi beaucoup souffert.
Ces dernières années, les invitations à investir dans les chaînes de blocs et les cryptomonnaies se sont multipliées dans les médias sociaux. Difficile donc pour l’investisseur moyen de ne pas se demander s’il passait à côté d’un placement qui semblait rapporter gros à tout un chacun. Toutefois, pour savoir si ce secteur est un bon choix pour votre portefeuille, il faut en comprendre les risques, surtout étant donnée la récente dégringolade. Avant de décider si les cryptomonnaies peuvent faire partie de votre stratégie de placement diversifiée, pourquoi ne pas profiter du repli actuel pour mieux comprendre le fonctionnement des cryptomonnaies?
Voici donc quelques questions que vous n’osez peut-être pas poser, et leur réponse.
J’ai entendu parler du Bitcoin, du Dogecoin et de l’Ethereum, mais qu’est-ce que c’est exactement la cryptomonnaie?
Beaucoup de gens se le demandent. Les cryptomonnaies donnent l’impression d’être une chimère, une créature à la fois monnaie, produits de base et actions. D’ailleurs, les organismes de réglementation ne s’entendent pas tous sur la définition (nous y reviendrons plus bas).
La cryptomonnaie est essentiellement un instrument qui permet de payer des biens et des services. En cela, elle ressemble à toute devise classique, comme le dollar canadien ou la roupie indienne. Mais il y a plusieurs différences. D’abord, vous pouvez avoir des billets de banque dans votre poche, alors que les cryptomonnaies n’existent que sous forme numérique. Ensuite, les monnaies physiques sont émises par une banque centrale, comme la Banque du Canada ou la Réserve fédérale des États-Unis. Partout dans le monde, ce sont des institutions gouvernementales qui contrôlent l’émission des pièces de monnaie et des billets de leur pays. Mais ce n’est pas le cas pour les cryptomonnaies. Elles sont vérifiées et conservées dans un système décentralisé qui utilise la cryptographie pour valider les opérations. C’est une technique qui protège les données numériques en les convertissant dans un format qui ne peut pas être lu par les personnes non autorisées.
En gros, il n’y a pas d’autorité unique, une sorte de Banque des cryptomonnaies, pour réglementer la cryptomonnaie. Pour beaucoup d’investisseurs, c’est précisément cette absence de surveillance centrale qui rend les cryptomonnaies très attrayantes; mais c’est aussi ce qui les rend très risquées.
La cryptomonnaie et la chaîne de blocs, est-ce que c’est pareil?
Non, ce n’est pas la même chose. Par contre, il n’y aurait pas de cryptomonnaie sans chaîne de blocs. Ces deux termes sont parfois utilisés sans distinction, peut-être parce que la première utilisation connue de technologie de chaîne de blocs a été la base de données de la première cryptomonnaie : le fameux Bitcoin. (Le Bitcoin est aux cryptomonnaies ce que le Kleenex est aux mouchoirs en papier. Même s’il y a plus de 10 000 cryptomonnaies en circulation, la marque la plus célèbre est souvent utilisée comme générique.)
Sous sa forme la plus simple, la chaîne de blocs est une sorte de registre comptable numérique : quand une personne paie des biens ou services avec une monnaie numérique, l’échange est enregistré dans un vaste réseau d’ordinateurs décentralisé. C’est ce réseau qu’on appelle la chaîne de blocs. Cette technologie aide à empêcher les propriétaires de cryptomonnaie de dépenser illicitement la même « pièce » deux fois, un problème qui ne se pose pas avec l’argent sonnant. Par exemple, si vous payez chez le dépanneur avec un billet de 20 $, il vous est physiquement impossible de réutiliser ce même billet pour faire d’autres achats dans le magasin voisin. Dans le monde des cryptomonnaies, la chaîne de blocs enregistre donc le retrait de ces 20 $ de votre portefeuille numérique, et vous ne pouvez plus le réutiliser.
Si les cryptomonnaies ne peuvent pas fonctionner sans la technologie des chaînes de blocs, cette dernière a beaucoup d’autres applications possibles. Elle peut en effet servir à chiffrer, stocker et vérifier tout type de contenu numérique. Voilà pourquoi cette technologie a le potentiel d’être un perturbateur. Ses applications comprennent les contrats intelligents et la gestion des chaînes d’approvisionnement. Le secteur des soins de santé explore actuellement comment utiliser les chaînes de blocs pour stocker de façon sécuritaire les renseignements confidentiels sur les patients, et les artistes cherchent des moyens de monétiser leur travail. Lorsqu’elle est exécutée sur un réseau de chaîne de blocs, toute opération peut devenir traçable, transparente et irréversible. Autre attrait pour les propriétaires d’entreprise : une automatisation qui a le potentiel de stimuler la productivité et de réduire les coûts d’exploitation.
Les jetons non tangibles – mieux connus sous le sigle NFT (non fungible token) – sont une autre utilisation de la technologie des chaînes de blocs. Un jeton n’est autre qu’un titre de propriété, qu’il s’agisse d’une vidéo ou d’une carte Pokémon. Pour l’instant, ils sont principalement utilisés pour acheter, vendre et valider l’authenticité des œuvres d’art numériques. Même si une œuvre est librement accessible sur Internet, le NFT en sera le titre de propriété officiel. C’est la même différence qu’il y a entre posséder l’original d’un tableau ou une affiche. Et comme pour les œuvres d’art ou les cartes Pokémon, la valeur d’un jeton n’est pas fixe. Un jeton acheté aujourd’hui pourrait donc, dans cinq ans, valoir une petite fortune… ou rien du tout!

Pertes déclarées pour fraude associée aux cryptomonnaies (2018-2020)

Pertes pour fraude associée aux cryptomonnaies – Déclarations au Centre antifraude du Canada en 2021
Source : Gendarmerie royale du Canada
Revenons à nos devises. Comme les Bitcoins ne sont pas émis par des gouvernements, d’où viennent-ils?
Le processus de mise en circulation des Bitcoins s’appelle le minage. Et comme les prospecteurs d’or qui se sont rués vers le Klondike à la fin du 19e siècle s’en sont aperçus, le processus peut être coûteux et laborieux, et rapporte seulement de façon sporadique. La différence avec les mines d’or, c’est que pour le minage des cryptomonnaies, des ordinateurs se concurrencent pour résoudre des équations mathématiques très complexes.
Pour pouvoir miner une cryptomonnaie, un prospecteur doit être le premier à résoudre le problème numérique créé par un créateur de chaîne de blocs. Pour trouver le bon code hexadécimal à 64 caractères (qui contient à la fois des chiffres de 0 à 9 et des lettres de A à F), les mineurs ont besoin d’une grosse puissance de calcul. C’est là que ça coûte cher : les mineurs doivent non seulement s’équiper d’ordinateurs puissants, donc chers, mais aussi les alimenter et refroidir les salles où ils se trouvent, ce qui coûte cher en électricité. Et selon la source d’électricité – qui peut être de sources non renouvelables, comme le charbon ou le gaz naturel, ou de sources renouvelables comme l’hydroélectricité – les coûts environnementaux peuvent être importants.
Puisqu’on mine les cryptomonnaies, est-ce que cela en fait des produits de base comme l’or?
Bonne question. Actuellement, l’Agence du revenu du Canada (ARC) et la Commodities and Futures Trading Commission (CFTC) considèrent que les monnaies numériques sont des produits de base. Toutefois, la Securities and Exchange Commission (SEC) a déclaré que les cryptomonnaies sont des contrats de placement et devraient donc être réglementées comme des placements en actions.
Ce qui complique encore plus la chose, c’est que tout fournisseur qui accepte les paiements en monnaie numérique considère la cryptomonnaie comme de l’argent physique. Quant à elles, la CFTC et la SEC se disputent l’autorité du secteur des cryptomonnaies. Les acteurs du domaine de la cryptomonnaie ne savent donc pas trop quelles règles s’appliquent à eux, ce qui pourrait accroître davantage le risque de cette catégorie de placements déjà volatile. En l’absence de réglementation claire, la protection offerte aux investisseurs est donc limitée.

Les cryptomonnaies sont-elles des placements sûrs?
Ce qu’il faut comprendre, c’est que les cryptomonnaies n’ont aucune valeur intrinsèque. Même si les monnaies numériques sont de plus en plus acceptées comme moyen d’échange, aucune réglementation gouvernementale n’établit leur cours légal. C’est là que le piège du système décentralisé peut se refermer. Sans banque centrale soutenue par un gouvernement qui s’engage à acheter des cryptomonnaies à pied levé (comme c’est le cas pour les devises régulières), leur valeur ne peut pas être garantie. Les adeptes de monnaie numérique ne seront peut-être pas d’accord, mais on peut affirmer que la valeur des cryptomonnaies dépend uniquement de la volonté des utilisateurs de l’accepter contre des biens, des services ou d’autres devises.
L’un des risques dont il faut tenir compte quand on évalue des cryptomonnaies aux fins de placement, c’est la volatilité de leur cours. Durant la pandémie de COVID-19, des milliers d’investisseurs ont eu le loisir de découvrir l’euphorie que peut procurer la spéculation boursière. Comme lors de la tulipomanie dans les années 1630, les cryptomonnaies ont déchaîné les passions. Entre 2019 et début 2022, le marché mondial des cryptomonnaies a connu une croissance exponentielle. Toutefois, au deuxième trimestre de 2022, la valeur des monnaies numériques a chuté de 55 %, engendrant des pertes d’au moins 670 millions de dollars américains en l’espace de trois mois.
Y a-t-il d’autres risques à considérer?
Oui. Certaines fraudes prennent la forme d’occasions d’investir dans une cryptomonnaie. La Federal Trade Commission (FTC) rapporte que depuis le début de 2021, plus de 46 000 personnes aux États-Unis ont déclaré des pertes découlant de fraudes liées aux cryptomonnaies, ce qui représente plus d’un milliard de dollars américains. C’est 60 fois plus qu’en 2018! Au Canada, la GRC a déclaré que les placements frauduleux liés aux cryptomonnaies avaient engendré 12,6 millions de dollars de pertes entre 2018 et 2020. Et en 2021, le phénomène a pris de l’ampleur, les signalements de fraude transmis au Centre antifraude du Canada totalisant 75 millions de dollars.
L’absence d’autorité centrale à qui signaler les opérations douteuses est notamment une véritable aubaine pour toute personne mal intentionnée. C’est l’un des inconvénients d’un système décentralisé. De plus, les transferts de cryptomonnaie ne peuvent pas être annulés : une fois l’argent parti, il est parti pour de bon! La tentation est grande pour les fraudeurs.
Sous l’influence des médias sociaux, la fraude liée aux cryptomonnaies est devenue une véritable mine d’or. Selon la FTC, elle représente 40 % des fraudes sur les médias sociaux, soit nettement plus que tout autre mode de paiement. La plupart du temps, il s’agit de placements frauduleux, mais il y a de plus en plus de stratagèmes amoureux, où une personne mal intentionnée séduit la victime en ligne et gagne sa confiance sous une fausse identité. Sous le couvert d’un tutoriel sur la façon d’investir dans les cryptomonnaies, la cible envoie en fait des fonds au fraudeur. Rien qu’aux États-Unis, les pertes médianes déclarées liées aux cryptomonnaies et imputables à des stratagèmes amoureux représentent environ 10 000 $ US.
Comment investir dans les cryptomonnaies?
Pour investir dans les monnaies numériques, il y a trois options possibles. La première est d’acheter des parts d’un fonds négocié en bourse (FNB) ou d’un fonds commun de placement axé sur ce secteur. Selon la façon dont le fonds est construit, il peut comprendre des placements dans des monnaies numériques, des bourses de cryptomonnaies et des secteurs liés au minage de cryptomonnaie.
La deuxième est d’acheter des monnaies numériques directement auprès d’une bourse ou d’un courtier. Dans ce cas, vous ouvrez un compte spécialement conçu pour contenir les cryptomonnaies que vous achetez. La troisième option est d’investir dans des sociétés qui pourraient prospérer grâce au minage. C’est ce qu’on appelle parfois la stratégie de la pioche : toutes les personnes qui se sont ruées vers le Klondike n’ont pas réussi, mais les vendeurs de pioches ont prospéré, puisqu’ils n’étaient exposés ni au coût ni aux risques de l’extraction minière. Pour profiter de ce secteur à risque élevé, vous pourriez par exemple investir dans des sociétés qui fabriquent des puces informatiques à haute vitesse.
Où puis-je trouver plus de renseignements sur les cryptomonnaies?
Pour en savoir plus sur les risques et les occasions associés aux placements en cryptomonnaie, écoutez la discussion entre Brad Simpson, stratège en chef, Gestion de patrimoine TD et Kim Parlee : Investir dans le Bitcoin : du vrai ou du toc?
Nicole Ewing, directrice, Planification fiscale et successorale, Gestion de patrimoine TD, a également donné son point de vue sur les conséquences fiscales des placements en cryptomonnaie : Impôts 2022 : cryptomonnaie et déclaration de revenus
Un proverbe dit que les investisseurs avisés ne s’aventurent pas dans des affaires qu’ils ne comprennent pas. L’année a été mouvementée pour les cryptomonnaies. Étant donné que les monnaies numériques et les chaînes de blocs reviennent à leurs niveaux de 2019, c’est peut-être le moment pour se plonger dans les arcanes de ce secteur. Cela vous aidera à prendre des décisions éclairées et à savoir si ce secteur est approprié pour diversifier vos placements.