Si votre fortune s’élève à plusieurs millions de dollars et que vous souhaitez la léguer à une ou des personnes vivant aux États-Unis, vous devriez recourir à des services de planification successorale; autrement, l’IRS pourrait réserver une mauvaise surprise à vos héritiers. Kim Parlee et Chris Gandhu, planificateur pour les clients à valeur nette élevée, Gestion de patrimoine TD, discutent des fiducies dynastiques, utilisées dans la planification successorale transfrontalière.
Les lois fiscales canadiennes et américaines sont très différentes. Chris Gandhu, planificateur, Valeur nette élevée, Gestion de patrimoine TD, a généreusement accepté de nous expliquer ce qu’il faut faire et prendre en compte pour pouvoir transmettre une somme en héritage et faire en sorte qu’elle profite principalement au bénéficiaire désigné.
Dans toute situation d’échanges transfrontaliers, Kim, il faut tenir compte non seulement de l’incidence fiscale au Canada, mais aussi aux États-Unis. Les conséquences ne sont pas toujours les mêmes. C’est d’ailleurs le nœud du problème.
Hmm. Expliquez-nous en quoi consistent essentiellement ces différences.
Chaque pays applique son propre régime fiscal. Les États-Unis puisent à deux sources de recettes fiscales : l’impôt sur le revenu et l’impôt sur les transferts.
Le Canada n’impose pas les transferts, seulement le revenu.
Euh.
Voilà un exemple.
Dites-moi… Je sais que la question repose aussi en partie sur le statut accordé par les États-Unis, à savoir si vous êtes ou non citoyen américain. Qui est considéré comme citoyen des États-Unis aux yeux du fisc américain, l’IRS?
Bonne question. Au Canada, l’impôt est basé sur la résidence. Dans la mesure où vous êtes résident canadien, le fait d’être ou non citoyen canadien ne joue pas dans l’équation. Vous payez vos impôts au Canada.
Par contre, aux États-Unis, l’impôt est fondé sur la citoyenneté et la résidence permanente. Si vous êtes citoyen américain ou détenteur d’une carte verte, vous payez des impôts aux États-Unis sur votre revenu mondial.
Hmm.
Vous comprenez? Voilà un autre exemple de la différence entre les deux formes d’imposition.
Dites-moi, si vous vivez au Canada et – c’est un heureux problème –
que vous disposez de cinq millions de dollars en argent, de placements ou d’une propriété que vous voulez transférer à quelqu’un aux États-Unis, que faut-il faire?
Si vous n’en avez pas un besoin immédiat, il vaut mieux effectuer le transfert tout de suite. Les citoyens américains profitent d’une généreuse exemption de 5,49 millions de dollars. Par conséquent, dans la mesure où le bien est entre leurs mains, ils peuvent en faire don ou le transférer aux enfants, par exemple. Par contre, il faut que le patrimoine mondial soit inférieur à ce seuil pour éviter de payer un impôt supplémentaire sur le transfert aux États-Unis.
Vous parlez du patrimoine des bénéficiaires, n’est-ce pas?
C’est exact.
Parfait. Mes recherches m’ont appris que le dépassement de ce seuil entraîne d’autres conséquences. Qu’arrive-t-il, alors?
En dépassant le seuil de 5,49 millions, vous payez un impôt de 40 %. Ce taux s’applique aux transferts supérieurs à un million de dollars. Cet impôt peut faire mal parce qu’il n’est pas lié au revenu et qu’il fait abstraction de la perte ou du gain déclaré sur le bien transféré. On vous ponctionne de 40 % dès le départ.
Ça alors!
Oui, le patrimoine familial peut être sérieusement amputé.
Vous avez un exemple à nous montrer pour illustrer la chose. Si quelqu’un possède un patrimoine mondial évalué à dix millions de dollars et bénéficie de l’exemption de 5,49 millions, il devra payer au fisc environ 1,8 million de dollars. L’exemple ne comporte aucun fiducie spéciale ou mécanisme en place, n’est-ce pas?
C’est exact. La propriété à part entière exonère d’impôt le bien sur la première tranche de cinq millions et demi, et le reste est imposé au taux d’environ 40 %.
L’idée de vous recevoir aujourd’hui n’est pas simplement de parler du problème et de la douloureuse ponction fiscale qu’il entraîne, mais aussi de voir comment s’en tirer à meilleur compte. Et il y a pour cela ce que l’on appelle la fiducie dynastie. De quoi s’agit-il exactement?
Il s’agit d’un outil de planification assez complexe pour la succession aux États-Unis. En gros, c’est une fiducie irrévocable qui permet de transmettre le patrimoine familial d’une génération à l’autre sans déclencher l’impôt américain sur les transferts dont nous venons de parler.
Hmm. Comment cela fonctionne-t-il? Ou comment l’optimiser?
D’accord. Pour mieux comprendre, on en revient à parler des modalités du régime d’imposition des transferts aux États-Unis et à se demander de quoi il s’agit exactement.
Cette information permet de saisir comment la fiducie dynastie fonctionne. L’impôt américain sur les transferts, souvent mal connu des Canadiens, comporte trois volets. Par contre, vous connaissez peut-être l’impôt américain sur les successions, qui frappe les transferts au décès.
Mais, il y a deux autres volets. L’impôt américain sur les dons s’applique aux transferts de votre vivant, tandis que l’impôt américain sur les transferts qui sautent une génération vise la transmission du patrimoine à quelqu’un éloigné de plus d’une génération, p. ex., des parents aux petits-enfants.
Mais, les trois volets fonctionnent de la même façon. C’est-à-dire qu’ils sont assortis du même taux d’imposition. Le montant de l’exemption est le même : 5,49 millions de dollars.
Et l’impôt est calculé à la juste valeur marchande, sans tenir compte des gains ou des pertes de revenu.
L’impôt porte strictement sur les transferts; la ponction est effectuée au départ et s’applique à toute personne américaine qui détient un bien. Si vous possédez un bien et que vous en faites don, vous devez payer de l’impôt. Si vous possédez un bien transféré à vos bénéficiaires lors de votre décès, vous devez payer l’impôt.
En fait, une fiducie dynastie propose en gros un mécanisme qui permet à votre bénéficiaire de jouir des avantages associés au bien placé en fiducie sans toutefois en être le propriétaire aux fins de l’impôt.
L’idée semble excellente pour quelqu’un qui s’intéresse à la planification intergénérationnelle. Quel est l’inconvénient d’une fiducie dynastie?
La planification est complexe et exige une foule de données factuelles précises.
Par conséquent, à la création de la fiducie dont vos enfants seront les bénéficiaires, ils peuvent ne pas en être les fiduciaires parce que vous avez confié ce rôle à un fiduciaire indépendant – avec pour résultat que les bénéficiaires ne sont pas propriétaires du bien. Ou les bénéficiaires peuvent être les fiduciaires et, dans ce cas, doivent respecter certaines conditions quant au contrôle du bien placé en fiducie.
Les modalités de la fiducie doivent donc être formulées avec soin. Et toutes les parties en cause : les parents canadiens, l’enfant américain, doivent comprendre que la fiducie fonctionne, mais que le contrôle accordé est limité.
Et aussi…
D’accord…
… À propos du contrôle, si vous me permettez, à quelles fins les biens de la fiducie peuvent-ils servir? Les modalités sont-elles très strictes?
De ce point de vue, il y a généralement deux façons de procéder. Si je suis le parent canadien, je peux financer la fiducie et désigner un fiduciaire indépendant, qui détiendra alors le contrôle sur le bien et décidera à son gré du moment où le bénéficiaire recevra le bien. C’est la façon simple de faire les choses.
Mais, parfois, les bénéficiaires veulent avoir leur mot à dire. Et c’est aussi assez fréquent. Alors, si le bénéficiaire veut gérer sa fiducie, de toute évidence, il détient le contrôle sur le bien.
Mais, le fisc américain dans le code des impôts est très clair à ce sujet : si votre contrôle se limite à accéder au capital fiduciaire pour subvenir à vos besoins en matière de santé, d’éducation, de subsistance et de soutien, dans ce cas, aux fins de l’impôt américain sur les transferts, vous ne disposez pas du contrôle nécessaire ni du droit inconditionnel de vous faire des chèques et d’utiliser l’argent comme il vous plaît. Les distributions sont limitées aux critères vérifiables : la santé, l’éducation la subsistance et le soutien, qui déterminent votre contrôle sur le bien fiduciaire.
Je suis sûre que nous pourrions discuter longtemps de la question, mais je dirais que la notion de subsistance peut être très large.
Oui, « subsistance » et « soutien » sont des termes synonymes. Et je suis tout à fait d’accord avec vous. La notion est très vaste et permettrait sans doute de justifier le fait que, étant habitué à un certain train de vie, l’on puisse dire que cet argent est indispensable à la subsistance et au soutien.
Chris, il nous reste environ 30 secondes pour une dernière question. Pourquoi ne pas utiliser simplement une fiducie canadienne? Est-ce à dire que, pour un citoyen canadien désireux de laisser un héritage à quelqu’un aux États-Unis, une fiducie canadienne ne fait pas l’affaire?
Non. C’est possible. Mais, il y a certains inconvénients. Premièrement, il faut passer par un arbitrage fiscal. Le taux d’imposition maximal pour une fiducie canadienne – par exemple, si elle génère des revenus et les conserve – s’établit en Ontario à 53,5 %. Par comparaison, le taux maximal en Floride est de 39,6 %.
Les fiducies canadiennes sont aussi assujetties à la règle de disposition présumée après 21 ans. Pas les fiducies américaines. Dans le cas d’une fiducie canadienne dont le bénéficiaire est américain, les États-Unis appliquent des règles très complexes aux fiducies étrangères. Ce qui pose beaucoup de problèmes liés à la conformité.
Et, en terminant, je dirais que la plupart des provinces canadiennes continuent de suivre la règle d’interdiction de perpétuités. Donc, si vous voulez que la fiducie dynastie survive à plusieurs générations – d’où le terme « dynastie » - afin de transmettre le patrimoine des parents jusqu’aux arrière-petits-enfants, vous devez trouver un territoire où la règle d’interdiction de perpétuités ne s’applique pas ou a été modifiée. Il y en a beaucoup aux États-Unis, contrairement au Canada.
C’était Chris Gandhu, planificateur, Valeur nette élevée, Gestion de patrimoine TD, en direct de Calgary.