
Après avoir été presque interrompue de la mi-mars à la fin d’avril, l’activité sur le marché de l’habitation a repris en force avec le retour des acheteurs et des vendeurs. Anthony Okolie et Rishi Sondhi, économiste, Groupe Banque TD, discutent des perspectives du marché immobilier canadien.
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Rishi, dans votre récent rapport, vous notez que les ventes ont augmenté de 230 % au Canada en août. J’ai dû lire le passage deux fois par crainte de m’être trompé. Ce bond fait fi de la faiblesse de l’économie et du taux de chômage élevé. Alors, qu’est-ce qui stimule tant le marché?
Plusieurs facteurs expliquent cette augmentation des ventes. Je pense, entre autres, à la demande comprimée. Il faut se rappeler que la croissance typique des ventes au printemps ne s’est pas manifestée en raison de la pandémie de COVID-19. La demande a été fortement refoulée et a en quelque sorte explosé durant l’été.
Parmi les autres facteurs, on constate que les taux d’intérêt sont carrément anémiques, ce qui dynamise le marché. Par ailleurs, les pertes d’emplois faussent le portrait. On peut invoquer que la pandémie a entraîné des pertes d’emplois records, a gonflé le taux de chômage, etc. Cependant, il faut tenir compte des types d’emplois perdus. Le chômage observé jusqu’à maintenant touche surtout les travailleurs plus jeunes dont le salaire est plus faible. Cette tranche de la population n’est habituellement pas propriétaire de son logement et n’est pas non plus à la recherche d’une maison. Alors, en dépit des pertes d’emplois historiques, la demande sur le marché immobilier n’a pas été tellement affectée.
Parmi les autres facteurs qui entrent en jeu, on observe que l’offre immobilière progresse à peu près au même rythme que la demande. Cet aspect n’est pas à négliger, car pour acheter une maison il faut compter sur des inscriptions. Et, finalement, la période de juillet et août correspond aux vacances, généralement. Mais, en raison de la pandémie, les projets de vacances ont été mis de côté. Les gens en ont profité pour acheter et vendre durant l’été, ce qui est inhabituel. Il y a donc une multitude de facteurs qui expliquent la hausse des ventes actuelle.
Quelle est l’évolution en ce qui concerne le prix des maisons? Observez-vous des tendances?
Le prix des maisons se redresse par rapport aux creux d’avril, à l’amorce de la pandémie. La reprise est assez marquée, d’ailleurs. À tel point, que septembre a constitué un mois record du point de vue de la moyenne canadienne pour le prix des maisons. C’est donc un redressement pas mal rapide. Et ce n’est pas seulement à l’échelle nationale. Il faut savoir que six provinces sur dix enregistrent une hausse d’au moins 10 % du prix des maisons sur douze mois. Et cette croissance d’une année sur l’autre est généralisée. On a dont affaire à un phénomène largement répandu au Canada.
« Quelle est l’explication? », pourriez-vous demander. D’abord, comme je l’ai mentionné, la demande est en hausse et entraîne les ventes. Mais, aussi, les marchés sont très serrés du point de vue de l’offre et de la demande pas mal partout au pays, ce qui stimule les prix. Et, troisièmement, il faut tenir compte du type de propriété achetée. Depuis la pandémie, les ventes de maisons individuelles dépassent celles des copropriétés. En général, les maisons individuelles sont plus coûteuses, ce qui gonfle le prix moyen simplement en raison du type de propriété vendue.
À ce propos, comme les acheteurs sont à la recherche de maisons individuelles, peut-on penser que les préférences ont évolué à cet égard depuis la pandémie? En particulier, désirent-il acheter des propriétés plus spacieuses?
Je dirais que oui. C’est ce que semblent indiquer les données. En comparant les ventes de maisons individuelles avec les ventes de copropriétés dans les grandes villes du pays – et pas seulement Toronto ou Vancouver, mais aussi Montréal, la vallée du Fraser, Edmonton et Ottawa – la tendance se dégage assez nettement : les ventes de maisons individuelles excèdent celles des copropriétés.
On peut supposer que les gens veulent éviter la densité d’occupation des copropriétés et le risque de propagation de la COVID-19. Ils ne veulent peut-être pas prendre l’ascenseur – peu importe… Aussi, les copropriétés se situent dans des villes plus densément peuplées, où le nombre de cas de COVID-19 est déjà relativement élevé. On ne peut non plus ignorer l’aspect du télétravail à la maison. Nombre de propriétaires ont installé leur bureau à la maison – c’est mon cas et sans doute le vôtre – ce qui donne une autre raison d’acheter une propriété plus grande.
Comment se comporte le marché de la revente? Que prévoyez-vous au cours des prochains trimestres?
Malgré la vigueur du troisième trimestre, les choses pourraient bien se calmer un peu. Il faut se rappeler que les ventes ont augmenté d’environ 100 % au troisième trimestre par rapport à celui d’avant, une hausse sans précédent. Les ventes ont dépassé de 20 % l’ancien niveau record. Bref, le trimestre a été exceptionnel. C’est un exploit qui sera difficile à répéter, je dirais, dans les trimestres à venir.
Nous croyons que les ventes vont ralentir un peu au quatrième trimestre. Et, en 2021, les facteurs fondamentaux devraient contribuer au maintien de cette tendance. Notamment, la croissance de la population devrait diminuer en raison de la pandémie. Également, nous estimons que les taux des obligations d’État risquent de remonter légèrement par rapport aux niveaux anémiques actuels. Ce qui pourrait exercer une certaine pression à la hausse sur les taux d’intérêt.
Et, finalement, l’abordabilité sur les marchés clés, comme Toronto et même le Québec, recule passablement. L’acquisition d’une propriété devient plus difficile.
Il nous reste quelques secondes. Je voudrais vous entendre sur le programme de report des paiements hypothécaires. Il doit prendre fin bientôt. Vos prévisions vont-elles en être modifiées?
Oui. Tout à fait. L’offre sera plus abondante sur le marché, ce qui se fera sentir sur les prix, sans doute dans le sens d’un léger repli. Mais, la fin du programme de report des paiements hypothécaires ne devrait pas entraîner un recul généralisé des prix. Une foule de facteurs expliquent le phénomène. Notamment, certains emprunteurs qui ont bénéficié de ce type de programme ont commencé à rembourser.
On peut en conclure que certains propriétaires s’en sont prévalus par mesure de précaution plutôt que par nécessité. Les bénéficiaires d’un report affichent une cote de crédit relativement élevée. C’est donc une bonne chose. Comme je l’ai indiqué, les marchés sont très serrés et peuvent, dans une certaine mesure, absorber l’offre supplémentaire. Ce surplus pourrait même favoriser le marché du point de vue des prix. L’offre peut donc encore augmenter avant que les prix affichent une tendance soutenue à la baisse. Nombre de facteurs devraient atténuer l’effet provoqué par la fin des programmes de report des paiements hypothécaires.
Merci beaucoup, Rishi.
Je vous en prie, Anthony.
[TRAME MUSICALE]
Plusieurs facteurs expliquent cette augmentation des ventes. Je pense, entre autres, à la demande comprimée. Il faut se rappeler que la croissance typique des ventes au printemps ne s’est pas manifestée en raison de la pandémie de COVID-19. La demande a été fortement refoulée et a en quelque sorte explosé durant l’été.
Parmi les autres facteurs, on constate que les taux d’intérêt sont carrément anémiques, ce qui dynamise le marché. Par ailleurs, les pertes d’emplois faussent le portrait. On peut invoquer que la pandémie a entraîné des pertes d’emplois records, a gonflé le taux de chômage, etc. Cependant, il faut tenir compte des types d’emplois perdus. Le chômage observé jusqu’à maintenant touche surtout les travailleurs plus jeunes dont le salaire est plus faible. Cette tranche de la population n’est habituellement pas propriétaire de son logement et n’est pas non plus à la recherche d’une maison. Alors, en dépit des pertes d’emplois historiques, la demande sur le marché immobilier n’a pas été tellement affectée.
Parmi les autres facteurs qui entrent en jeu, on observe que l’offre immobilière progresse à peu près au même rythme que la demande. Cet aspect n’est pas à négliger, car pour acheter une maison il faut compter sur des inscriptions. Et, finalement, la période de juillet et août correspond aux vacances, généralement. Mais, en raison de la pandémie, les projets de vacances ont été mis de côté. Les gens en ont profité pour acheter et vendre durant l’été, ce qui est inhabituel. Il y a donc une multitude de facteurs qui expliquent la hausse des ventes actuelle.
Quelle est l’évolution en ce qui concerne le prix des maisons? Observez-vous des tendances?
Le prix des maisons se redresse par rapport aux creux d’avril, à l’amorce de la pandémie. La reprise est assez marquée, d’ailleurs. À tel point, que septembre a constitué un mois record du point de vue de la moyenne canadienne pour le prix des maisons. C’est donc un redressement pas mal rapide. Et ce n’est pas seulement à l’échelle nationale. Il faut savoir que six provinces sur dix enregistrent une hausse d’au moins 10 % du prix des maisons sur douze mois. Et cette croissance d’une année sur l’autre est généralisée. On a dont affaire à un phénomène largement répandu au Canada.
« Quelle est l’explication? », pourriez-vous demander. D’abord, comme je l’ai mentionné, la demande est en hausse et entraîne les ventes. Mais, aussi, les marchés sont très serrés du point de vue de l’offre et de la demande pas mal partout au pays, ce qui stimule les prix. Et, troisièmement, il faut tenir compte du type de propriété achetée. Depuis la pandémie, les ventes de maisons individuelles dépassent celles des copropriétés. En général, les maisons individuelles sont plus coûteuses, ce qui gonfle le prix moyen simplement en raison du type de propriété vendue.
À ce propos, comme les acheteurs sont à la recherche de maisons individuelles, peut-on penser que les préférences ont évolué à cet égard depuis la pandémie? En particulier, désirent-il acheter des propriétés plus spacieuses?
Je dirais que oui. C’est ce que semblent indiquer les données. En comparant les ventes de maisons individuelles avec les ventes de copropriétés dans les grandes villes du pays – et pas seulement Toronto ou Vancouver, mais aussi Montréal, la vallée du Fraser, Edmonton et Ottawa – la tendance se dégage assez nettement : les ventes de maisons individuelles excèdent celles des copropriétés.
On peut supposer que les gens veulent éviter la densité d’occupation des copropriétés et le risque de propagation de la COVID-19. Ils ne veulent peut-être pas prendre l’ascenseur – peu importe… Aussi, les copropriétés se situent dans des villes plus densément peuplées, où le nombre de cas de COVID-19 est déjà relativement élevé. On ne peut non plus ignorer l’aspect du télétravail à la maison. Nombre de propriétaires ont installé leur bureau à la maison – c’est mon cas et sans doute le vôtre – ce qui donne une autre raison d’acheter une propriété plus grande.
Comment se comporte le marché de la revente? Que prévoyez-vous au cours des prochains trimestres?
Malgré la vigueur du troisième trimestre, les choses pourraient bien se calmer un peu. Il faut se rappeler que les ventes ont augmenté d’environ 100 % au troisième trimestre par rapport à celui d’avant, une hausse sans précédent. Les ventes ont dépassé de 20 % l’ancien niveau record. Bref, le trimestre a été exceptionnel. C’est un exploit qui sera difficile à répéter, je dirais, dans les trimestres à venir.
Nous croyons que les ventes vont ralentir un peu au quatrième trimestre. Et, en 2021, les facteurs fondamentaux devraient contribuer au maintien de cette tendance. Notamment, la croissance de la population devrait diminuer en raison de la pandémie. Également, nous estimons que les taux des obligations d’État risquent de remonter légèrement par rapport aux niveaux anémiques actuels. Ce qui pourrait exercer une certaine pression à la hausse sur les taux d’intérêt.
Et, finalement, l’abordabilité sur les marchés clés, comme Toronto et même le Québec, recule passablement. L’acquisition d’une propriété devient plus difficile.
Il nous reste quelques secondes. Je voudrais vous entendre sur le programme de report des paiements hypothécaires. Il doit prendre fin bientôt. Vos prévisions vont-elles en être modifiées?
Oui. Tout à fait. L’offre sera plus abondante sur le marché, ce qui se fera sentir sur les prix, sans doute dans le sens d’un léger repli. Mais, la fin du programme de report des paiements hypothécaires ne devrait pas entraîner un recul généralisé des prix. Une foule de facteurs expliquent le phénomène. Notamment, certains emprunteurs qui ont bénéficié de ce type de programme ont commencé à rembourser.
On peut en conclure que certains propriétaires s’en sont prévalus par mesure de précaution plutôt que par nécessité. Les bénéficiaires d’un report affichent une cote de crédit relativement élevée. C’est donc une bonne chose. Comme je l’ai indiqué, les marchés sont très serrés et peuvent, dans une certaine mesure, absorber l’offre supplémentaire. Ce surplus pourrait même favoriser le marché du point de vue des prix. L’offre peut donc encore augmenter avant que les prix affichent une tendance soutenue à la baisse. Nombre de facteurs devraient atténuer l’effet provoqué par la fin des programmes de report des paiements hypothécaires.
Merci beaucoup, Rishi.
Je vous en prie, Anthony.
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