Sallie Krawcheck, fondatrice et chef de la direction d’Ellevest, redéfinit la notion de placements au féminin et brise le mythe voulant que le monde des placements soit exclusivement masculin. Kim Parlee et cette légende de Wall Street discutent de la façon de combler l’écart entre les hommes et les femmes dans l’univers des placements.
Je vais commencer... J’ai évoqué votre carrière. Il y a une foule de gens... vous avez commencé comme analyste de recherche, et avez gravi les échelons jusqu’au sommet. Vous êtes ensuite partie et avez fondé Ellevest. Vous n’y étiez pas obligée, je suppose que vous étiez plutôt bien rémunérée. Vous auriez pu avoir mille loisirs de détente.
J’étais mieux rémunérée quand l’action de Citigroup était dans les 50 $ que lorsqu’elle a chuté à moins de 1 $.
Juste, oui.
Oui, c’est encore... mais ce n’est pas ce qui m’a motivée. Je suis heureuse de pouvoir faire un travail qui a quelque chose d’une mission. Quand je me suis demandé : qu’est-ce que je fais maintenant? Est-ce que je retourne dans une grande entreprise, avec tout ce que ça implique, ou est-ce... est-ce important pour moi de sentir que j’accomplis une mission? Important pour moi d’être quelqu’un qui innove, qui apprend tous les jours? J’ai eu le privilège de pouvoir m’arrêter et me demander : qu’est-ce qui est important?
En fin de compte, avoir un impact, contribuer à changer les choses, aider les femmes à rattraper leur retard sur le plan financier et donc à améliorer leur existence, c’était important pour moi. Et nous avons la chance d’être aujourd’hui dans un monde où vous pouvez lancer une entreprise beaucoup plus-- ce n’est pas facile-- mais beaucoup plus facilement qu’il y a cinq ou 10 ans. Ce n’est pas bon marché, mais c’est beaucoup moins cher qu’il y a cinq ou 10 ans. Et l’on peut avoir, avec une entreprise qui démarre, un impact qu’on ne pouvait avoir avant qu’avec une très grosse entreprise, massive, peut-être bureaucratique.
J’aimerais vous demander, ça ne concerne pas le fait d’acquérir du pouvoir, mais d’utiliser le pouvoir que nous avons, qui existe bel et bien. Vous avez un paquet d’autres mythes à propos des femmes et des placements. J’aimerais bien en examiner quelques-uns.
Oui.
Mythe no un : les femmes ne sont pas bonnes comme les hommes en maths et trucs du genre.
Oh! les maths, c’est difficile! Est-ce que ce n’était pas une poupée Barbie qui disait que les maths, c’est difficile?
Oui.
Eh bien, ce n’est pas vrai! Nous, les femmes, nous adorons les hommes. Nous adorons les hommes. J’aime à dire que j’ai été marié à deux d’entre eux. Ils sont étonnants, étonnants! Nos notes en maths sont aussi bonnes, sinon meilleures que celles des hommes. Nous avons aussi de meilleures notes que les hommes dans d’autres choses. L’idée que-- et ça vaut aussi pour la technologie-- les maths ne sont pas pour les filles est fausse.
Les hommes sont de meilleurs investisseurs.
Ce n’est pas vrai non plus, je suis au regret de le dire : les femmes sont de meilleures gestionnaires de fonds spéculatifs et de fonds communs et de meilleurs investisseurs individuels que les hommes. Vous voulez savoir pourquoi?
Dites-moi.
Elles font moins de transactions, donc paient moins de frais, j’ai même vu ça à Ellevest, où j’ai toujours entendu qu’elles font moins de transactions et paniquent moins au moment des baisses, et plus tôt cette année, quand la bourse a perdu plus d’un millier de points, les sites de certains de nos concurrents se sont effondrés. Or, nos femmes, c’était fascinant! Notre taux de désabonnement-- c’est en partie comment est conçu le produit, nous envoyons un message quand vous faites fausse route, alors, même si la bourse cède un millier de points, si vous ne recevez pas de message, tout va bien; je ne pense pas que notre volume ait augmenté, mais notre taux de désabonnement n’a certainement pas augmenté.
C’est fascinant!
Fascinant!
Les femmes sont trop hostiles aux risques.
Ouais, c’en est un autre. Et nous parlons de ça depuis des années. Et puis, bien sûr, quelqu’un aux États-Unis, une entreprise d’hommes, a annoncé avoir découvert que les femmes ne sont pas à ce point hostiles aux risques. Ouais, eh bien, nous le disons depuis un bon moment!
Ce que nous observons... j’aime à dire : les femmes ne sont pas plus hostiles aux risques, elles sont plus conscientes des risques. Ça veut dire qu’avant de faire un placement nous voulons en connaître l’impact négatif possible, non pas l’écart type ou le risque de baisse, mais : jusqu’à quel point est-ce que ça peut tourner mal? Si la bourse perd mille points, vais-je quand même pouvoir prendre ma retraite à temps? Vais-je encore pouvoir acheter ma maison? Nous voulons comprendre ça en termes simples et nous voulons en comprendre la conceptualisation par opposition à—
Ce que ça veut dire pour moi.
--exactement. Ce que ça veut dire dans ce portefeuille. Ce que nous avons fait à Ellevest, c’est que vous placez un montant et nous vous conseillons quant aux montants que vous devriez continuer à placer. Nous vous plaçons dans un portefeuille de titres et vous indiquons non pas si votre rendement est plus élevé ou moins élevé que celui des marchés, les femmes ne se préoccupent pas de ça, mais combien d’argent vous devriez avoir selon une probabilité de 50 %, de 70 % dans x années et un cône illustrant de quelle façon l’argent devrait croître au fil du temps. Si vous êtes dans le cône, tout va bien.
En faisant ça, nous avons constaté que les femmes non seulement prennent autant de risques que les hommes, mais qu’elles sont disposées à en prendre un peu plus-- ce que nous devrions faire, parce que nous vivons plus longtemps. Nous servir de notre plus longue espérance de vie pour prendre peut-être un niveau de risque un peu plus élevé-- censé en théorie accroître un peu le rendement-- peut être judicieux. C’est judicieux.
OK. Une autre chose que vous aimeriez faire : jouer à des jeux avec l’auditoire. J’ai entendu dire que c’est comme un Jeopardy financier : vous donnez une réponse et voyez si les gens connaissent la question qu’on devrait poser.
Personne ne la trouve.
Je ne l’ai jamais. La première est : entre six et huit ans et 80 %. Qu’est-ce?
Oui. Entre six et huit ans, c’est moi qui devrais vous demander ça. J’ai les réponses ici, c’est le nombre d’années que les femmes vivent de plus que les hommes, et 80 % est le pourcentage de femmes qui meurent seules. Vous pouvez le constater : allez dans une maison de retraite et vous verrez que les messieurs y sont les reines du bal... je ne suis pas certaine qu’un homme puisse être une reine... Les rois du bal? Ils sont les rois du bal!
Ouais. Non, c’en est une bonne! Les deux tiers.
C’est le pourcentage du patrimoine des femmes à la retraite par rapport à celui des hommes.
Le sexe.
Oh! Vous me demandez ce qu’est le sexe?
Je sais.
J’ai l’impression que vos auditeurs doivent savoir—
Ils savent.
--ce qu’est le sexe.
Oui.
Mais la bonne réponse dans le jeu est : la chose dont les femmes parlent plus que de l’argent avec leurs amies. C’est fascinant, n’est-ce pas, qu’aux États-Unis-- avec des fondateurs puritains, les pères pèlerins étaient des puritains, on trouve des articles sur l’argent dans tous les magazines populaires destinés aux femmes, des articles sur les six positions sexuelles. Nous en parlons avec nos amies. Il y a plus de chances qu’au troisième rendez-vous avec un partenaire potentiel nous fassions l’amour que nous parlions argent.
Pouvez-vous imaginer si nous parlions argent au troisième rendez-vous? Il n’y en aurait pas de quatrième, mais... Je suis mariée depuis longtemps... il semble être socialement acceptable d’avoir un rapport sexuel le troisième ou le deuxième soir. Je ne sais plus.
Nous sommes dans un tout autre ordre de conseil ici.
Permettez-moi de quitter ce sujet.
Ouais.
Mais ça montre, si vous prenez du recul et y réfléchissez, la honte qui a été associée à l’argent et le fait qu’on a dit aux femmes que ce n’est pas un sujet qu’il convient tellement qu’elles abordent.
Je vous mettrais au défi... quel est le montant que nous touchons en salaire, notre rémunération, qui ne nous ferait pas nous sentir mal à l’aise? Si nous gagnons plus que nos amies, nous sommes mal à l’aise. Vous ne voulez pas qu’elles le sachent, que ça les mette mal à l’aise et que ça les rende jalouses, mais nous ne faisons pas assez d’argent pour nos parents, parce qu’ils le mettent-- Aucun montant d’argent n’est le bon montant d’argent.
Notre société a fait de l’argent un sujet honteux pour les femmes. Comment savoir quelle augmentation demander si l’on ne vous permet pas de parler argent? Vous ne savez pas.
Il y a tellement-- chaque réponse pourrait donner lieu à un exposé d’une heure utile aux gens, mais j’aimerais, pour quelqu’un qui nous regarde, c’est un discours nouveau. Tout va bien. De quoi ont-ils besoin? Que doivent-ils retenir? Quelle est la chose la plus importante pour pouvoir opérer une transformation, avoir plus d’abondance dans la vie, aller de l’avant?
J’aime cette question. Selon les études que nous avons faites, chez Ellevest, la principale source de stress pour les femmes est l’argent. Souvent, la principale raison qui amène les femmes à quitter un emploi n’est pas : mon patron est un salaud. Ça peut être le stress lié à l’argent, la nécessité de trouver un travail mieux rémunéré ou simplement : ça me mine.
Inversement, la principale source de confiance dans leur capacité de réaliser ce qu’elles-- les choses importantes qu’elles veulent dans la vie-- ce n’est pas la quantité d’argent qu’elles font au travail, ce n’est pas les rapports avec leur patron, ni leur niveau d’instruction, c’est le fait d’investir et d’épargner.
La troisième est la quantité d’argent accumulé, mais le fait intéressant est que c’est l’acte même de placer de l’argent : j’ai placé de l’argent aujourd’hui. Je place tel pourcentage de chacune de mes paies et je vois mon épargne croître ou baisser un peu quand la bourse va mal, mais c’est le fait de faire ça qui est la principale source de confiance.
C’a été un plaisir. Merci beaucoup.
Merci de m’avoir reçue.
Sallie Krawcheck, chef de la direction et cofondatrice d’Ellevest.