
L’élection américaine aura lieu dans un peu plus de deux mois et elle s’annonce pour être l’une des élections les plus controversées de l’histoire moderne. Kim Parlee et Priya Misra, chef, Stratégie mondiale liée aux taux, Valeurs Mobilières TD, discutent des scénarios électoraux possibles et des répercussions sur les marchés financiers.
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Nous ne sommes qu’à deux mois de l’une des élections les plus controversées de l’histoire des États-Unis et des répercussions qu’elle pourrait avoir sur les marchés. Pour discuter des conséquences potentielles, nous accueillons Priya Misra, chef de la stratégie mondiale des taux à Valeurs Mobilières TD. Priya, c’est un plaisir de vous avoir de nouveau parmi nous. Pour commencer, je dirais que dans n’importe quelle élection, l’économie est toujours au premier plan. Mais cette fois, il faut bien sûr aussi compter avec l’impact de la COVID sur l’économie. À votre avis, en quoi ces questions pèsent -elles sur les chances du président Trump et de Joe Biden?
Je dois dire que tout tourne autour de la COVID en ce moment. Il est clair que les deux questions, la COVID et l’économie, sont étroitement liées. Je pense que le revirement spectaculaire dans les sondages depuis mars reflète les dégâts de la COVID, le fait qu’il y ait 20 millions d’Américains au chômage, et tout cela amenuise les chances de réélection du président Trump. On a vu un nouveau pic dans l’augmentation du nombre d’infections en juin et juillet, et les chances de réélection du président Trump ont un peu diminué. Je dirais donc que la COVID occupe une place centrale.
Tout dépend des perspectives face à la COVID. Les écoles vont rouvrir à l’automne et on va entrer dans la saison de la grippe juste avant les élections. S’il y a une statistique à surveiller pour ces élections, c’est à mon avis le taux d’infection, celui de la mortalité, des hospitalisations.
Je sais que vous avez récemment participé à une table ronde où vous avez expliqué qu’à votre avis, les taux et les marchés n’ont pas vraiment tenu compte de l’élection et de son résultat. Expliquez-moi votre raisonnement.
Je pense qu’il est simplement trop tôt pour l’instant. Vous savez, si vous regardez les sondages en ce moment, Joe Biden est en avance et on pourrait décréter que l’élection sera sans surprise. Mais il reste encore 90 jours avant l’élection, c’est assez long. On ne sait pas comment les perspectives vont évoluer pour la COVID. On ne sait pas comment les réouvertures d’écoles vont se dérouler. Il y a donc encore beaucoup d’inconnues dans l’élection.
Pour que le marché tienne compte d’un résultat binaire... le marché a toujours du mal à refléter le risque politique parce que, vous savez, ce sont des résultats binaires. C’est difficile de couvrir ce risque et de le chiffrer. Mais il reste beaucoup de temps. N’oublions pas qu’en 2016, les sondages n’étaient absolument pas représentatifs du résultat. Et si on revient sur l’idée qu’on se faisait de ce qui se passerait si Trump était élu, là encore je crois que la réalité a été toute autre.
Donc quand on a aussi peu confiance dans les sondages et dans ce qu’on anticipe dans les deux cas de figure, je pense que le marché a encore plus de mal à refléter ces risques. À l’approche des élections, je pense que les sondages deviennent un peu plus fiables. Et si un raz-de-marée se profile, je crois qu’on pourrait assister à une réaction du marché juste avant l’élection et après.
Hm. C’est vrai que si on revient sur les dernières élections, les sondages se sont complètement trompés. Et aujourd’hui, les gens se fient beaucoup moins à eux. Malgré tout, la Fed reste semble-t-il très ferme sur le maintien à long terme de taux bas et des mesures actuelles.
C’est vrai, oui. Je pense que la Fed est extrêmement impartiale, elle regarde l’économie. Et c’est intéressant de constater que, malgré des données légèrement meilleures que celles des derniers mois, la Fed n’a pas du tout changé de discours. Elle parle du risque de résurgence du virus. La Fed est extrêmement préoccupée par ce scénario.
Elle parle également de dommages structurels qui sont peut-être en train de nuire à l’économie. C’est pourquoi la Fed se montre extrêmement expansionniste et laisse entendre qu’elle publiera une révision du cadre à court terme. Et on pense que ça va permettre un assouplissement sur le plan des mesures d’orientation des anticipations des taux futurs, de déclarer que les taux n’augmenteront pas tant que l’inflation dépassera la cible - ce qui constitue un obstacle très important. Et la Fed va poursuivre l’assouplissement quantitatif et continuer d’acheter des bons du Trésor, peut-être à encore plus long terme. Je crois donc que la Fed est sur une trajectoire très expansionniste, et que les taux resteront bas pendant très longtemps.
Si les taux restent si bas, ce sera peut-être positif pour les marchés boursiers. Une autre question, même si vous ne couvrez pas particulièrement les actions. Quand vous pensez au marché boursier, quel serait votre positionnement face au risque sur les trois prochains mois, personnellement?
Ce qui m’inquiète un peu, c’est que le marché boursier semble un peu trop à l’aise avec les élections en ce moment. Il est encore tôt, mais s’il est clair qu’une vague bleue va déferler sur le pays, si les démocrates gardent le contrôle de la Chambre des représentants et prennent aussi le contrôle du Sénat et de la présidence, dans ce cas... à chaque fois qu’un parti contrôle les trois organes du pouvoir, il peut y avoir des changements assez importants.
Par exemple, est-ce que les démocrates annuleraient les réductions d’impôt de Trump? Je pense que si, dans l’esprit du marché, ce scénario devient beaucoup plus plausible, il pourrait y avoir une réaction des actions, une réaction au risque. Et je dirais aussi que l’incertitude n’est jamais bonne pour les actifs risqués. Compte tenu de la forte progression des actions, je ne serais pas surprise de voir une certaine nervosité, une aversion au risque lié aux élections. Je pense que les certitudes vont baisser à l’approche de cette date.
Quels indices allez-vous écouter pour savoir si ce genre de choses vont se concrétiser? Les réductions d’impôts? Nous savons que le président Trump a adopté des politiques très libérales. Il a éliminé énormément de paperasse, de bureaucratie et de fiscalité. Qu’allez-vous surveiller concernant un possible revirement de situation?
Premièrement, je crois que nous devrions surveiller les sondages et le Sénat. Tous les regards sont sur la Maison-Blanche, mais si le Sénat reste républicain, Joe Biden ne pourra pas faire grand-chose. Simplement se faire une idée des chances que les démocrates prennent le contrôle du Sénat. L’autre chose serait de surveiller peut-être les débats, ou le début de la campagne... C’est la première fois qu’on a une campagne virtuelle. On va voir combien de propositions de politiques sont présentées.
Il n’y avait pas grand-chose dans la convention. Mais je pense que les débats vont donner une idée d’où se situe Joe Biden. Est-ce le Joe Biden qu’on connaissait il y a huit ou quatre ans? Ou représente-t-il plutôt l’aile libérale du parti démocrate? Et s’il est plus près de l’aile libérale, le marché risque de devenir nerveux, parce qu’il est alors question d’augmentations d’impôts assez lourdes pour les revenus les plus élevés. Et ça pourrait être négatif pour beaucoup actions.
Permettez-moi de vous poser une dernière question, Priya. Le dollar américain s’est affaibli cette année, ce qui n’est pas surprenant compte tenu des événements. Pour ceux qui sont au Canada, le dollar canadien s’est aussi déprécié. Les deux baissent en même temps. On le voit pour les produits de base. Quelles sont vos perspectives pour le dollar américain?
Avec le dollar, c’est toujours plus délicat parce qu’il faut avoir une vue d’ensemble du reste du monde, en plus des États-Unis. Selon nous, une présidence Biden sera beaucoup plus négative pour le dollar américain à court terme. Et c’est à cause du reste du monde. Même sans grands changements économiques, on s’attend à ce qu’une présidence Biden soit plus axée sur la croissance mondiale. Les incertitudes commerciales de la présidence Trump devraient se dissiper. Donc, sous Biden, le dollar pourrait s’affaiblir.
Si Trump est réélu, il pourrait y avoir une réaction de réflexe positive sur le dollar. Il pourrait y avoir une certaine nervosité due aux tensions commerciales avec la Chine. Mais à plus long terme, je pense qu’il y a lieu de privilégier la diversification en s’écartant du dollar. Les perspectives à long terme tablent toujours sur un dollar plus faible, mais je pense qu’il pourrait y avoir une certaine volatilité juste avant les élections.
Priya, c’est toujours un plaisir de se parler. Merci beaucoup.
Merci.
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Je dois dire que tout tourne autour de la COVID en ce moment. Il est clair que les deux questions, la COVID et l’économie, sont étroitement liées. Je pense que le revirement spectaculaire dans les sondages depuis mars reflète les dégâts de la COVID, le fait qu’il y ait 20 millions d’Américains au chômage, et tout cela amenuise les chances de réélection du président Trump. On a vu un nouveau pic dans l’augmentation du nombre d’infections en juin et juillet, et les chances de réélection du président Trump ont un peu diminué. Je dirais donc que la COVID occupe une place centrale.
Tout dépend des perspectives face à la COVID. Les écoles vont rouvrir à l’automne et on va entrer dans la saison de la grippe juste avant les élections. S’il y a une statistique à surveiller pour ces élections, c’est à mon avis le taux d’infection, celui de la mortalité, des hospitalisations.
Je sais que vous avez récemment participé à une table ronde où vous avez expliqué qu’à votre avis, les taux et les marchés n’ont pas vraiment tenu compte de l’élection et de son résultat. Expliquez-moi votre raisonnement.
Je pense qu’il est simplement trop tôt pour l’instant. Vous savez, si vous regardez les sondages en ce moment, Joe Biden est en avance et on pourrait décréter que l’élection sera sans surprise. Mais il reste encore 90 jours avant l’élection, c’est assez long. On ne sait pas comment les perspectives vont évoluer pour la COVID. On ne sait pas comment les réouvertures d’écoles vont se dérouler. Il y a donc encore beaucoup d’inconnues dans l’élection.
Pour que le marché tienne compte d’un résultat binaire... le marché a toujours du mal à refléter le risque politique parce que, vous savez, ce sont des résultats binaires. C’est difficile de couvrir ce risque et de le chiffrer. Mais il reste beaucoup de temps. N’oublions pas qu’en 2016, les sondages n’étaient absolument pas représentatifs du résultat. Et si on revient sur l’idée qu’on se faisait de ce qui se passerait si Trump était élu, là encore je crois que la réalité a été toute autre.
Donc quand on a aussi peu confiance dans les sondages et dans ce qu’on anticipe dans les deux cas de figure, je pense que le marché a encore plus de mal à refléter ces risques. À l’approche des élections, je pense que les sondages deviennent un peu plus fiables. Et si un raz-de-marée se profile, je crois qu’on pourrait assister à une réaction du marché juste avant l’élection et après.
Hm. C’est vrai que si on revient sur les dernières élections, les sondages se sont complètement trompés. Et aujourd’hui, les gens se fient beaucoup moins à eux. Malgré tout, la Fed reste semble-t-il très ferme sur le maintien à long terme de taux bas et des mesures actuelles.
C’est vrai, oui. Je pense que la Fed est extrêmement impartiale, elle regarde l’économie. Et c’est intéressant de constater que, malgré des données légèrement meilleures que celles des derniers mois, la Fed n’a pas du tout changé de discours. Elle parle du risque de résurgence du virus. La Fed est extrêmement préoccupée par ce scénario.
Elle parle également de dommages structurels qui sont peut-être en train de nuire à l’économie. C’est pourquoi la Fed se montre extrêmement expansionniste et laisse entendre qu’elle publiera une révision du cadre à court terme. Et on pense que ça va permettre un assouplissement sur le plan des mesures d’orientation des anticipations des taux futurs, de déclarer que les taux n’augmenteront pas tant que l’inflation dépassera la cible - ce qui constitue un obstacle très important. Et la Fed va poursuivre l’assouplissement quantitatif et continuer d’acheter des bons du Trésor, peut-être à encore plus long terme. Je crois donc que la Fed est sur une trajectoire très expansionniste, et que les taux resteront bas pendant très longtemps.
Si les taux restent si bas, ce sera peut-être positif pour les marchés boursiers. Une autre question, même si vous ne couvrez pas particulièrement les actions. Quand vous pensez au marché boursier, quel serait votre positionnement face au risque sur les trois prochains mois, personnellement?
Ce qui m’inquiète un peu, c’est que le marché boursier semble un peu trop à l’aise avec les élections en ce moment. Il est encore tôt, mais s’il est clair qu’une vague bleue va déferler sur le pays, si les démocrates gardent le contrôle de la Chambre des représentants et prennent aussi le contrôle du Sénat et de la présidence, dans ce cas... à chaque fois qu’un parti contrôle les trois organes du pouvoir, il peut y avoir des changements assez importants.
Par exemple, est-ce que les démocrates annuleraient les réductions d’impôt de Trump? Je pense que si, dans l’esprit du marché, ce scénario devient beaucoup plus plausible, il pourrait y avoir une réaction des actions, une réaction au risque. Et je dirais aussi que l’incertitude n’est jamais bonne pour les actifs risqués. Compte tenu de la forte progression des actions, je ne serais pas surprise de voir une certaine nervosité, une aversion au risque lié aux élections. Je pense que les certitudes vont baisser à l’approche de cette date.
Quels indices allez-vous écouter pour savoir si ce genre de choses vont se concrétiser? Les réductions d’impôts? Nous savons que le président Trump a adopté des politiques très libérales. Il a éliminé énormément de paperasse, de bureaucratie et de fiscalité. Qu’allez-vous surveiller concernant un possible revirement de situation?
Premièrement, je crois que nous devrions surveiller les sondages et le Sénat. Tous les regards sont sur la Maison-Blanche, mais si le Sénat reste républicain, Joe Biden ne pourra pas faire grand-chose. Simplement se faire une idée des chances que les démocrates prennent le contrôle du Sénat. L’autre chose serait de surveiller peut-être les débats, ou le début de la campagne... C’est la première fois qu’on a une campagne virtuelle. On va voir combien de propositions de politiques sont présentées.
Il n’y avait pas grand-chose dans la convention. Mais je pense que les débats vont donner une idée d’où se situe Joe Biden. Est-ce le Joe Biden qu’on connaissait il y a huit ou quatre ans? Ou représente-t-il plutôt l’aile libérale du parti démocrate? Et s’il est plus près de l’aile libérale, le marché risque de devenir nerveux, parce qu’il est alors question d’augmentations d’impôts assez lourdes pour les revenus les plus élevés. Et ça pourrait être négatif pour beaucoup actions.
Permettez-moi de vous poser une dernière question, Priya. Le dollar américain s’est affaibli cette année, ce qui n’est pas surprenant compte tenu des événements. Pour ceux qui sont au Canada, le dollar canadien s’est aussi déprécié. Les deux baissent en même temps. On le voit pour les produits de base. Quelles sont vos perspectives pour le dollar américain?
Avec le dollar, c’est toujours plus délicat parce qu’il faut avoir une vue d’ensemble du reste du monde, en plus des États-Unis. Selon nous, une présidence Biden sera beaucoup plus négative pour le dollar américain à court terme. Et c’est à cause du reste du monde. Même sans grands changements économiques, on s’attend à ce qu’une présidence Biden soit plus axée sur la croissance mondiale. Les incertitudes commerciales de la présidence Trump devraient se dissiper. Donc, sous Biden, le dollar pourrait s’affaiblir.
Si Trump est réélu, il pourrait y avoir une réaction de réflexe positive sur le dollar. Il pourrait y avoir une certaine nervosité due aux tensions commerciales avec la Chine. Mais à plus long terme, je pense qu’il y a lieu de privilégier la diversification en s’écartant du dollar. Les perspectives à long terme tablent toujours sur un dollar plus faible, mais je pense qu’il pourrait y avoir une certaine volatilité juste avant les élections.
Priya, c’est toujours un plaisir de se parler. Merci beaucoup.
Merci.
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