
La reprise économique garde le cap aux États-Unis, avec une forte croissance de l’emploi et une consommation résiliente. Mais le reste de l’année risque d’être tourmenté. Kim Parlee discute des perspectives de croissance aux États-Unis avec Beata Caranci, économiste en chef à la TD.
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Nous accueillons Beata Caranci, économiste en chef à la TD, pour évoquer les perspectives économiques aux États-Unis pour 2022 et peut-être un peu au-delà. Beata, un peu plus tôt, vous m’avez parlé de la croissance américaine. L’actualité mondiale est riche en événements, mais vous avancez 3,7 %. Vous me corrigerez si ce chiffre n’est pas exact, mais commençons par là. Qu’est-ce que vous anticipez pour les États-Unis?
Aux États-Unis, on assiste à un phénomène intéressant, parce que la demande d’emplois est incroyablement forte, du moins jusqu’à présent. Et le marché du travail commence à réagir, avec des taux de participation en hausse. On observe l’émergence de fortes pressions à la hausse sur les salaires. Et c’est ce qui attire les gens sur le marché du travail. Cette combinaison de facteurs contribue à soutenir les profils de dépenses de consommation. Les stocks se reconstituent, même s’il existe un risque d’interruption. Plusieurs dynamiques se conjuguent, et on assiste même à une croissance des exportations américaines qui permet au pays d’afficher de bons taux de croissance économique à ce stade. Et c’est la raison derrière cette embellie. Les événements se bousculent sur la scène internationale. Ceci dit, à l’échelle nationale, les données fondamentales sont solides, et la question est de savoir quelle sera l’ampleur de l’érosion selon combien de temps ces risques perdurent.
Parlons justement de ces risques. Les banques centrales tentent bien sûr de gérer l’inflation. Avant la crise entre la Russie et l’Ukraine, on parlait de 6, 7, 8 hausses de taux, je crois même que certains en anticipaient 10, puis ce chiffre est retombé après l’invasion de l’Ukraine, et il se remet de nouveau à monter. Parlez-moi un peu de la Fed. Qu’est-ce que vous anticipez et quelles seront les répercussions?
Oui. Pour cette année, je crois qu’on anticipe environ 6 hausses. Vous avez raison, ce chiffre fluctue énormément d’un jour à l’autre. Pour ce qui est de la Fed, on s’attend à une hausse le 16 mars, de 25 points de base. Il y a eu des spéculations sur une hausse de 50 points de base, mais ce n’est plus d’actualité, car on tente d’équilibrer les risques. Fait intéressant, la guerre n’a pas vraiment changé les hausses anticipées, ce qui signifie que 1) tout le monde s’attend toujours à des hausses de la Fed, et 2) on table toujours sur six hausses, ce qui est très similaire à avant le conflit. La différence réside seulement dans leur espacement. Donc pas de changement de ce côté, et on s’attend à une hausse de taux de la part de la Fed, mais avec quelques petits changements, bien sûr. D’abord, la Fed pourrait laisser entendre qu’elle compte poursuivre les hausses tout en restant très souple pour suivre l’évolution des événements. Je ne pense pas qu’elle veuille s’enfermer dans une position dans laquelle elle devra de toute façon relever les taux, parce qu’on ne sait pas dans quelle mesure ce qui se passe sur les marchés financiers pourrait perturber la croissance économique. Nous n’avons pas suffisamment de recul. La Fed va donc se réserver le plus de souplesse possible sur ce front. Mais dans le même temps, elle veut rassurer les marchés en indiquant qu’elle va agir pour juguler l’inflation. Ce que ce conflit nous a montré, c’est que les prévisions concernant l’inflation ont vraiment augmenté sur un horizon de cinq ans et de dix ans. En fait, elles dépassent ce que l’on s’attendrait à voir historiquement en temps de crise. C’est donc une question que la Fed devra résoudre, puisque son mandat consiste aussi à ancrer les attentes d’inflation. Elle va devoir faire preuve d’une grande crédibilité quant au calendrier des hausses de taux. Elle ne peut pas les écarter, ce qui explique pourquoi les marchés s’attendent toujours à six hausses cette année.
J’aurais deux autres questions sur l’économie américaine. Parlons des consommateurs, car on sait combien l’économie américaine dépend de la consommation. La Fed augmente les taux pour tenter de combattre l’inflation qui érode progressivement le pouvoir d’achat des consommateurs. Mais des mesures de relance budgétaire pourraient aussi les soulager. Comment évaluez-vous la résilience des consommateurs?
Jusqu’à présent, ils ont fait preuve d’une résilience exceptionnelle. Je pense que c’est un phénomène mondial, avec une résilience généralisée. Reste à savoir s’ils commencent à effectuer une rotation des dépenses. Si vous devez conduire pour aller au travail, impossible d’éliminer les dépenses d’essence. Est-ce que les gens vont changer leurs projets de vacances, voire les reporter? Faire une croix sur les escapades en voiture? C’est ce qu’on cherche à déceler quand on étudie les mesures de haute fréquence sur les déplacements des personnes. Le trafic de transit aux aéroports est intéressant. Il est en réalité plus élevé maintenant qu’il ne l’était avant la pandémie. Ça montre bien que les consommateurs sont résilients, qu’ils sont prêts à dépenser. Et la question est de savoir si on commence à observer un repli. Mais il y a clairement une résilience et je crois que les gens, y compris les économistes, l’ont sous-estimé dans cette pandémie. La question qui se pose maintenant, c’est si l’accélération de l’inflation va miner la confiance des particuliers. Et tout va dépendre de la solidité du marché de l’emploi, car à mon avis, si vous avez un emploi et un bon salaire, vous passerez probablement au travers.
Ma dernière question porte sur ce qu’il faut surveiller. Les manchettes attirent l’attention des gens, mais c’est souvent ce qui se détache de la surface qui s’avère le plus important. Les élections de mi-mandat approchent aux États-Unis. Qu’y a-t-il d’autre sur votre radar?
Oui, c’est un événement majeur. Et vous avez fait allusion à des mesures de relance budgétaire. C’est une hypothèse de plus en plus improbable aux États-Unis. Il y a trop d’inquiétudes quant au fait que de telles mesures n’aggravent l’inflation. Dans le contexte actuel, c’est vraiment une question épineuse à gérer. Si des mesures de relance budgétaire étaient prises, ça devrait être sur le radar de tout le monde. Comment l’argent serait-il distribué? Pour soutenir les faibles revenus et compenser les coûts? Ou s’agirait-il de dépenses plus générales qui pourraient alimenter la spirale inflationniste? C’est donc vraiment une question à surveiller. Mais en réalité, à court terme, on regarde les marchés financiers, encore et toujours. Et malheureusement, on observe une volatilité extrême. Ce que l’on surveille tout particulièrement, ce sont des signes de contagion financière. Observe-t-on des tensions sur les marchés émergents? Pour l’instant, non. Observe-t-on des tensions sur les taux d’intérêt interbancaires? Pour l’instant, non. Des pressions, mais pas de tensions. On surveille de près ces liens financiers, parce que si quelque chose devait plonger l’économie dans une récession, ce serait un effet de contagion sur les marchés financiers qui n’existe pas encore. Ceci dit, on surveille cela de très près.
Aux États-Unis, on assiste à un phénomène intéressant, parce que la demande d’emplois est incroyablement forte, du moins jusqu’à présent. Et le marché du travail commence à réagir, avec des taux de participation en hausse. On observe l’émergence de fortes pressions à la hausse sur les salaires. Et c’est ce qui attire les gens sur le marché du travail. Cette combinaison de facteurs contribue à soutenir les profils de dépenses de consommation. Les stocks se reconstituent, même s’il existe un risque d’interruption. Plusieurs dynamiques se conjuguent, et on assiste même à une croissance des exportations américaines qui permet au pays d’afficher de bons taux de croissance économique à ce stade. Et c’est la raison derrière cette embellie. Les événements se bousculent sur la scène internationale. Ceci dit, à l’échelle nationale, les données fondamentales sont solides, et la question est de savoir quelle sera l’ampleur de l’érosion selon combien de temps ces risques perdurent.
Parlons justement de ces risques. Les banques centrales tentent bien sûr de gérer l’inflation. Avant la crise entre la Russie et l’Ukraine, on parlait de 6, 7, 8 hausses de taux, je crois même que certains en anticipaient 10, puis ce chiffre est retombé après l’invasion de l’Ukraine, et il se remet de nouveau à monter. Parlez-moi un peu de la Fed. Qu’est-ce que vous anticipez et quelles seront les répercussions?
Oui. Pour cette année, je crois qu’on anticipe environ 6 hausses. Vous avez raison, ce chiffre fluctue énormément d’un jour à l’autre. Pour ce qui est de la Fed, on s’attend à une hausse le 16 mars, de 25 points de base. Il y a eu des spéculations sur une hausse de 50 points de base, mais ce n’est plus d’actualité, car on tente d’équilibrer les risques. Fait intéressant, la guerre n’a pas vraiment changé les hausses anticipées, ce qui signifie que 1) tout le monde s’attend toujours à des hausses de la Fed, et 2) on table toujours sur six hausses, ce qui est très similaire à avant le conflit. La différence réside seulement dans leur espacement. Donc pas de changement de ce côté, et on s’attend à une hausse de taux de la part de la Fed, mais avec quelques petits changements, bien sûr. D’abord, la Fed pourrait laisser entendre qu’elle compte poursuivre les hausses tout en restant très souple pour suivre l’évolution des événements. Je ne pense pas qu’elle veuille s’enfermer dans une position dans laquelle elle devra de toute façon relever les taux, parce qu’on ne sait pas dans quelle mesure ce qui se passe sur les marchés financiers pourrait perturber la croissance économique. Nous n’avons pas suffisamment de recul. La Fed va donc se réserver le plus de souplesse possible sur ce front. Mais dans le même temps, elle veut rassurer les marchés en indiquant qu’elle va agir pour juguler l’inflation. Ce que ce conflit nous a montré, c’est que les prévisions concernant l’inflation ont vraiment augmenté sur un horizon de cinq ans et de dix ans. En fait, elles dépassent ce que l’on s’attendrait à voir historiquement en temps de crise. C’est donc une question que la Fed devra résoudre, puisque son mandat consiste aussi à ancrer les attentes d’inflation. Elle va devoir faire preuve d’une grande crédibilité quant au calendrier des hausses de taux. Elle ne peut pas les écarter, ce qui explique pourquoi les marchés s’attendent toujours à six hausses cette année.
J’aurais deux autres questions sur l’économie américaine. Parlons des consommateurs, car on sait combien l’économie américaine dépend de la consommation. La Fed augmente les taux pour tenter de combattre l’inflation qui érode progressivement le pouvoir d’achat des consommateurs. Mais des mesures de relance budgétaire pourraient aussi les soulager. Comment évaluez-vous la résilience des consommateurs?
Jusqu’à présent, ils ont fait preuve d’une résilience exceptionnelle. Je pense que c’est un phénomène mondial, avec une résilience généralisée. Reste à savoir s’ils commencent à effectuer une rotation des dépenses. Si vous devez conduire pour aller au travail, impossible d’éliminer les dépenses d’essence. Est-ce que les gens vont changer leurs projets de vacances, voire les reporter? Faire une croix sur les escapades en voiture? C’est ce qu’on cherche à déceler quand on étudie les mesures de haute fréquence sur les déplacements des personnes. Le trafic de transit aux aéroports est intéressant. Il est en réalité plus élevé maintenant qu’il ne l’était avant la pandémie. Ça montre bien que les consommateurs sont résilients, qu’ils sont prêts à dépenser. Et la question est de savoir si on commence à observer un repli. Mais il y a clairement une résilience et je crois que les gens, y compris les économistes, l’ont sous-estimé dans cette pandémie. La question qui se pose maintenant, c’est si l’accélération de l’inflation va miner la confiance des particuliers. Et tout va dépendre de la solidité du marché de l’emploi, car à mon avis, si vous avez un emploi et un bon salaire, vous passerez probablement au travers.
Ma dernière question porte sur ce qu’il faut surveiller. Les manchettes attirent l’attention des gens, mais c’est souvent ce qui se détache de la surface qui s’avère le plus important. Les élections de mi-mandat approchent aux États-Unis. Qu’y a-t-il d’autre sur votre radar?
Oui, c’est un événement majeur. Et vous avez fait allusion à des mesures de relance budgétaire. C’est une hypothèse de plus en plus improbable aux États-Unis. Il y a trop d’inquiétudes quant au fait que de telles mesures n’aggravent l’inflation. Dans le contexte actuel, c’est vraiment une question épineuse à gérer. Si des mesures de relance budgétaire étaient prises, ça devrait être sur le radar de tout le monde. Comment l’argent serait-il distribué? Pour soutenir les faibles revenus et compenser les coûts? Ou s’agirait-il de dépenses plus générales qui pourraient alimenter la spirale inflationniste? C’est donc vraiment une question à surveiller. Mais en réalité, à court terme, on regarde les marchés financiers, encore et toujours. Et malheureusement, on observe une volatilité extrême. Ce que l’on surveille tout particulièrement, ce sont des signes de contagion financière. Observe-t-on des tensions sur les marchés émergents? Pour l’instant, non. Observe-t-on des tensions sur les taux d’intérêt interbancaires? Pour l’instant, non. Des pressions, mais pas de tensions. On surveille de près ces liens financiers, parce que si quelque chose devait plonger l’économie dans une récession, ce serait un effet de contagion sur les marchés financiers qui n’existe pas encore. Ceci dit, on surveille cela de très près.