Bien que les marchés se soient redressés après la correction observée au début du mois d’août, Kevin Hebner, stratège des marchés mondiaux à TD Epoch, discute avec Kim Parlee de MoneyTalk de trois enjeux qui pourraient accroître la volatilité.
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[LOGO AUDIO] * Mon prochain invité affirme qu’il y a trois raisons fondamentales pour lesquelles les marchés sont susceptibles de demeurer volatils pendant un certain temps : l’intelligence artificielle, ce qui se passe avec la main-d’œuvre et les opérations de portage sur le yen. Kevin Hebner, stratège en placements mondiaux à TD Epoch, est ici avec nous pour nous expliquer ces raisons. Il se joint à nous en personne, en studio, ce que j’aime toujours voir. Ravie de vous recevoir. * Je suis content d’être ici, Kim. * OK. Je vais tout de suite entrer dans le vif du sujet, car je pense que c’est assez fascinant, et vous avez d’excellents graphiques pour nous. La première raison pour laquelle vous pensez que les marchés pourraient être plus volatils, ce sont l’intelligence artificielle et les grandes sociétés technologiques. Dites-nous pourquoi. * Les grandes sociétés technologiques ont donc accéléré leurs dépenses en immobilisations. Par exemple, les trois sociétés à très grande échelle, soit Microsoft, Google et Facebook, ont doublé leurs dépenses en immobilisations au cours des trois dernières années. C’est énorme. Au cours de la période de publication des résultats du deuxième trimestre, elles ont notamment déclaré que les risques liés au sous-investissement étaient beaucoup plus importants que ceux liés au surinvestissement. Le chef de la direction d’OpenAI a dit que cela n’avait pas d’importance s’ils dépensaient 50 milliards de dollars. « On développe l’intelligence artificielle générale, et ça va en valoir la peine. » * Le marché a donc eu l’impression qu’ils investissaient sans retenue. Ils ne se préoccupent pas du moment où ils vont obtenir un rendement. Il n’y a pas encore d’application révolutionnaire en vue. Et le marché s’est inquiété, et avec raison, je crois. Avec la bulle technologique à la fin des années 1990, il y a eu beaucoup de dépenses en immobilisations. En fin de compte, ça a porté ses fruits, mais ça a pris une décennie de plus que ce à quoi on s’attendait. Et je pense qu’on va avoir quelque chose de semblable cette fois-ci. * On va afficher le graphique. J’ai dit que vous aviez apporté d’excellents graphiques cette fois-ci. Oui, c’est bien le graphique. * Oui, au cours des 25 dernières années environ, on a connu trois bulles distinctes, comme on peut les appeler, et on peut utiliser le terme « bulle » de façon assez vague, mais il y a eu la technologie, puis le logement, et maintenant les Sept Magnifiques. La question est donc de savoir si l’IA constitue une autre bulle? Et il y a deux ou trois raisons de croire que c’est vrai, mais, en fin de compte, ça va dépendre de la vitesse à laquelle on obtient un rendement avec toutes ces dépenses en immobilisations. Je crois que ça va prendre beaucoup plus de temps que ce que le marché prévoit actuellement. * Oui, mais cette fois-ci, c’est différent, Kevin. C’est ce que les gens aiment dire. OK. Parlons un peu de la main-d’œuvre. Et on voit que ce qui se passe sur le marché du travail va aussi causer une certaine volatilité. * Oui, il y a donc lieu de craindre que les États-Unis entrent en récession. À l’échelle mondiale, le Canada ralentit. L’Allemagne n’a enregistré aucune croissance cette année ou l’an dernier. La croissance de la Chine a probablement connu une variation de trois points de pourcentage. Ce n’est donc pas une préoccupation uniquement pour les Américains. C’est une préoccupation mondiale. * Mais aux États-Unis, le marché de l’emploi a ralenti. Ce graphique montre le marché privé de l’emploi de base et sa baisse au cours de la dernière année environ. La ligne rouge représente la moyenne de la dernière décennie, et vous pouvez voir qu’on produit déjà moins d’emplois qu’au cours de la dernière décennie, en moyenne. Le marché était donc très vigoureux. * Maintenant, il ralentit. Le taux de chômage est passé de 3,5 à 4,1, et les gens s’inquiètent d’une certaine réflexivité, que des gens perdent leur emploi et cessent de magasiner et d’aller au restaurant. Ces établissements licencient des gens et, soudainement, le chômage atteint 5 %, et nous sommes en récession. * Selon nous, le marché de l’emploi est chancelant. Il ne s’écroule pas. Il ralentit. On n’entre pas en récession, mais on va avoir de mauvais rapports sur le chômage, et de mauvais chiffres pour le marché de l’emploi. Et je pense que ce sera une raison qui va causer une plus grande instabilité du marché. * Oui, et, bien sûr, cela aura de l’importance pour la Fed, compte tenu de ce qu’elle fait également. Mais attendons de voir. * La troisième raison pour laquelle vous pensez que les marchés vont rester volatils, c’est qu’on a déjà eu un avant-goût avec le yen japonais : les opérations de portage. Expliquez-nous ce concept comme si on était des néophytes, et expliquez-nous le graphique et pourquoi c’est important. * Oui. On a donc connu une longue période de taux d’intérêt extrêmement bas. Et ce que les gens font, naturellement, c’est qu’ils empruntent beaucoup. Un endroit où c’est avantageux d’emprunter, c’est le Japon, où les taux d’intérêt sont bas depuis 20 ans par rapport au reste du monde. Quant aux spéculateurs, ils empruntent souvent en prenant des positions courtes sur le yen dans des contrats à terme. * Ce sont des spéculateurs qui prennent ces positions, et ils ne couvrent pas leur position sous-jacente. Apple reçoit beaucoup de revenus en yens, puis prend des positions courtes sur le yen pour le couvrir, de sorte qu’elle n’y est pas exposée. Mais ce ne sont que des spécifications. * Et comme vous pouvez le voir dans ce graphique, en juillet, les spécifications sur les positions courtes n’avaient jamais été aussi extrêmes. La seule fois où ces positions ont été aussi courtes, c’était en 2007, juste avant l’effondrement du marché de l’habitation. Il y a alors eu des positions très courtes et un positionnement extrême sur le marché. Puis, il y a eu le discours un peu ferme de la Banque du Japon et le discours un peu conciliant de la Fed. Le yen est passé de 160 à 144. Ces positions bon marché sont soudainement devenues très chères. Elles sont gérées de façon très serrée, alors les gens doivent les fermer très rapidement, et c’est ce qui a alimenté la volatilité. * Comme on pouvait s’y attendre, l’effet de levier demeure important. Et une grande partie se trouve dans des marchés relativement opaques, moins réglementés et parfois privés. Et je pense qu’on va continuer de penser qu’il s’agit d’un facteur d’instabilité et de volatilité sur les marchés, certainement au cours des 12 prochains mois, selon moi. * Donc on a parlé de la volatilité, et il peut y avoir une certaine volatilité sur les marchés. Mais, bien sûr, tout le monde pointe du doigt les élections américaines et essaie de comprendre ce qui se passe avec ça. Et je dois dire que j’en ai parlé à un certain nombre de personnes au cours des derniers mois. Chaque fois, la première fois, il semblait évident que Trump était en tête. Puis, quand on a annoncé la candidature de Kamala Harris, c’est elle qui semblait être en tête. Où en sommes-nous maintenant? Parce que j’ai l’impression que ça change à tout instant. * Oui. Les marchés prévisionnels, qu’on suit de près, ont beaucoup évolué. En juillet, les marchés prévisionnels annonçaient que les démocrates avaient, disons, 27 % de chances de s’installer à la Maison-Blanche, et ce pourcentage a doublé pour s’établir à environ 54 %. Donc, en l’espace de cinq ou six semaines seulement, les marchés prévisionnels ont fortement changé. Et c’est clairement important. * On a donc ici un graphique qui montre les sites de paris moyens. C’est donc ce que vous dites. Ils sont vraiment au coude à coude, n’est-ce pas? * Oui, c’est extrêmement serré en ce moment, et c’est la même chose si on regarde les résultats moyens des sondages. Harris devance Trump d’environ deux points de pourcentage. Ça s’annonce bien, et c’est une grande amélioration par rapport à juillet avec Biden. Mais en 2016, Hillary avait une avance de 4 à 6 points de pourcentage sur Trump, mais, évidemment, elle a perdu. Et on craint une diminution après la montée qu’Harris a connue à la convention nationale démocrate et l’élan qu’elle a pris après que Biden a déclaré qu’il ne chercherait pas à obtenir un deuxième mandat. Donc, deux points de pourcentage, c’est bien, mais on ne pense pas que ce sera suffisant. * Oui. Et je suppose que le prochain événement important sera le débat du 10 septembre. Et ce serait un euphémisme de dire qu’il sera très écouté. * Oui, ça va attirer énormément l’attention. Et qui peut se présenter comme le concurrent plutôt que comme le président sortant est très important, selon moi. Et, en fin de compte, dans le cas des États-Unis, les élections ont toujours un résultat de 50/50, et c’est un pays 50/50. Les deux candidats commencent avec 40 %, puis se disputent pour le milieu. Alors, qui peut être le plus efficace pour se présenter comme un adversaire, puis obtenir une plus grande part de ce milieu, je pense, est un aspect super important. Et c’est ce dont il est question le 10 septembre. * J’imagine que ce n’est pas seulement l’éventail de points de vue et de gagner le milieu, mais c’est aussi une question géographique. Parce que vous avez écrit qu’il y a 50 États aux États-Unis, et que 44 ne comptent pas, et, encore une fois, je ne veux insulter personne. D’un point de vue électoral, ça se résume à six. * Oui. Donc, d’une certaine façon, on pense que ce sont des élections nationales, mais ce n’est pas le cas. Ce sont des élections fédérales, mais pas nationales. En 2016, 11 États étaient importants. En 2020, huit l’étaient. Cette fois-ci, il n’y aura que sept États qui seront importants, soit trois États des Grands Lacs : le Wisconsin, le Michigan et la Pennsylvanie, deux États du sud-est, soit la Caroline du Nord et la Géorgie, et deux États du sud-ouest : le Nevada et l’Arizona. Et donc, dans une certaine mesure, les démocrates vont remporter la Californie et New York de plus de 20 points de pourcentage. Il y a une foule d’États que Trump va gagner de plus de 20 à 30 points de pourcentage. * Donc, quand on regarde les événements de campagne, 95 % d’entre eux vont se dérouler dans ces États. C’est là que tout le temps et tout l’argent vont être consacrés. Et les élections pourraient bien se résumer à ce qui se passe en particulier en Pennsylvanie. * On va afficher le graphique. Et, encore une fois, ce qu’on voit ici, la couleur marron, le bourgogne, c’est ce que les sondages révélaient le 7 juillet. * Oui, et il s’agit donc d’un soutien pour Trump, moins pour Biden ou Harris. Trump était donc en avance dans les sept États clés en juillet. Et si on regarde ça maintenant, selon les données les plus récentes, ils sont tous à prendre. On a donc connu ce changement radical en l’espace de quelques semaines seulement. * Dites-moi, il s’agit évidemment d’un soutien aux candidats aux élections présidentielles. Mais, bien sûr, on sait tous que cette question ne concerne pas seulement la Maison-Blanche. Ça concerne aussi le Congrès, la Chambre des représentants et le Sénat. Alors que pensez-vous de la situation actuelle des marchés? À quoi cela ressemblera-t-il le 6 novembre? J’espère que c’est le 6. Je vais vérifier. * En juillet, on pensait que Trump gagnerait dans une proportion de 75 %. On pense maintenant que c’est 55 %. Pour ce qui est du Sénat, il est probable à 75 % que le parti républicain le remporte Pour la Chambre des représentants, c’est vraiment un pile ou face, donc 50/50 pour la Chambre. Et si on parle d’un balayage, et un balayage est important parce que, si vous êtes président, au bout du compte, c’est le Congrès qui tient les cordons de la bourse. C’est le Congrès qui crée les lois, alors vous avez besoin du Congrès. Il y a donc une probabilité de 30 % d’un balayage par le parti républicain et une probabilité de 10 % d’un balayage par les démocrates. * Le problème, alors, c’est : qu’est-ce que cela signifie pour les politiques? Parce que, comme vous le disiez, lorsque vous obtenez un balayage, tout ce que vous voulez se réalise. Donc expliquez-moi... on attend toujours, je pense, beaucoup d’informations sur ce que seront les nouvelles directives en matière de politiques. Mais sur le plan thématique, on comprend. * Je pense qu’on en sait beaucoup. Par exemple, en ce qui concerne la politique budgétaire, ni l’un ni l’autre des candidats ne s’intéresse aux mesures d’austérité. Trump a tendance à pencher pour d’autres réductions d’impôt. Et il soutient que ces réductions d’impôt vont entraîner une croissance qui va se financer par elle-même. Personne n’y croit. En fin de compte, il va y avoir des déficits plus importants. * Et Harris a de nombreux projets en ce qui concerne les dépenses liées aux crédits d’impôt pour enfants, aux crédits d’impôt sur le revenu gagné, au logement, aux services de garde et à une foule d’autres mesures. Et dans les deux cas, ça va entraîner des déficits de milliers de milliards de dollars et des pressions soutenues sur l’inflation, les taux d’intérêt, etc. * Pour ce qui est du volet réglementaire, je sais qu’en général, les entreprises veulent moins de réglementation. Alors que voyez-vous de ce côté-là? * Je pense donc que la réglementation est importante, en particulier pour l’énergie, les technologies, les soins de santé et, de plus en plus, pour le logement, parce qu’on se rend compte, je pense, de plus en plus que beaucoup de règlements locaux et d’État ont empêché la construction de logements. Et c’est une des raisons pour lesquelles il y a autant de problèmes à cet égard-là. Et c’est vraiment un enjeu crucial pour ces élections. * On va aborder la question du logement, qui a également été soulevée. Mais j’aimerais vous demander aussi ce à quoi on devrait s’attendre du strict point de vue du marché. * En termes de? * L’un ou l’autre. Désolée. En ce qui concerne la réaction du marché à la victoire de Harris ou de Trump. * Bien sûr, dans le cas de Trump, la réglementation serait réduite. Et il en parle beaucoup. Et, dans une certaine mesure, au cours de son premier mandat, il a réussi à assouplir la réglementation. C’est donc quelque chose que le marché aimerait beaucoup. * Autrement dit, si vous pensez qu’il s’agit de positions vendeur sur les marchés et le dollar américains, est-ce que quelque chose du genre se produirait? * Oui, certainement, en particulier pour les technologies et l’énergie, ce serait très constructif. Les soins de santé sont un peu plus complexes. * Oui, bien sûr. Parlons un peu du secteur de l’habitation aux États-Unis et du fait que ce sujet est devenu un enjeu électoral, et qu’on ne croyait probablement pas que c’était le cas avant ça, n’est-ce pas? * C’est vraiment intéressant. Beaucoup de groupes de réflexion démocrates mettaient l’accent sur le logement, et beaucoup de groupes de discussion aussi. Mais la semaine dernière, le président Obama a prononcé un discours lors de la convention nationale démocrate, et la première politique dont il a parlé portait sur le logement. Et ça a vraiment attiré l’attention des gens. * Plus récemment, la vice-présidente candidate Harris a donné des détails sur les politiques qu’elle aimerait mettre en place pour accroître l’offre de logements. Et c’est important, car depuis 2007, année de l’effondrement du marché de l’habitation, les États-Unis fournissent environ 50 % du nombre de maisons qu’ils fournissaient auparavant. Donc les États-Unis ont probablement un déficit de 2 à 8 millions de maisons par rapport à la tendance. Et ça donne ce graphique-ci, qui porte sur l’abordabilité du logement, qui est à son pire niveau jamais enregistré. * Cela s’explique en partie par les taux hypothécaires relativement élevés, mais le principal problème, c’est l’offre. Dans tous les groupes de discussion démocrates, mais aussi du côté des républicains, je crois, cette question est au centre des préoccupations. Et je pense que les deux candidats vont en parler de plus en plus. * Et c’est intéressant aussi, parce que c’est attrayant pour un groupe démographique plus jeune, évidemment, qui essaie de s’établir. * Oui. * Eh bien, Dieu merci, vous êtes là pour nous dire ce qu’il faut surveiller. C’est fascinant, et il y a beaucoup de variables. Merci beaucoup d’être venu. * Merci beaucoup, Kim. [LOGO AUDIO] [MUSIQUE]