
Les banques centrales ont augmenté les taux tout au long de l’année dans le but de contenir l’inflation. Toutefois, la peur d’une récession s’intensifiant, la Réserve fédérale limitera-t-elle l’augmentation des taux? Kim Parlee s’entretient à ce sujet avec Priya Misra, chef, Stratégie mondiale liée aux taux, Valeurs Mobilières TD.
On observe de très fortes fluctuations sur le marché, des fluctuations quotidiennes actuellement en ce qui concerne les taux américains. Pouvez-vous mettre les choses en perspective dans l’histoire? À quand remonte la dernière fois que cela s’est produit?
Vous avez tout à fait raison. On observe une volatilité importante. L’une des façons dont on la mesure, c’est le nombre de jours pour lequel on observe plus d’un écart-type. Et c’est l’année la plus importante parmi toutes les données qu’on a suivies. Plus de 50 % des jours de cette année ont connu plus d’un écart-type quotidien. La seule autre année qui s’en rapproche, c’est 2008, au moment de la faillite de Lehman et de la crise du logement.
Il y a donc une forte volatilité. Je pense qu’elle est alimentée par l’incertitude entourant les perspectives économiques. Vous avez parlé de l’inflation, de la croissance. Ces situations peuvent entraîner des scénarios très variés et la façon dont la Fed y répond fluctue également. Je pense qu’il y a aussi des interrogations à ce sujet. Le marché est moins liquide et il y a moins de conviction et c’est pourquoi je pense que les taux fluctuent autant.
Très bien, vous pourriez peut-être enous xpliquer ce que vous voyez. On a ce bras de fer qui, comme vous le dites, peut engendrer des résultats très différents. On pourrait avoir une inflation énorme ou très peu d’inflation si l’économie coule. Que surveillez-vous pour voir ce qui va se passer?
Alors. Le problème est donc le suivant. La croissance ralentit. C’est certain. Et c’est ce que veut la Fed. Ils nous disent qu’ils resserrent la politique pour ralentir la croissance. La question est de savoir si le marché ralentit sous son potentiel.
Jusqu’à présent, les données qu’on a… on a eu un trimestre négatif de croissance du PIB. Ce trimestre pourrait aussi être négatif, mais il ne s’agit pas d’une récession. Prenons le marché du travail. Il est toujours solide. Les dépenses de consommation ralentissent, mais on n’est pas en récession. Donc on étudie les données à haute fréquence pour voir si on se dirige vers une récession ou si la croissance ralentit légèrement en deçà de son potentiel.
En ce qui concerne l’inflation, les prix des produits de base ont chuté, les prix du pétrole ont diminué. Mais il y a d’autres mesures persistantes de l’inflation, comme le logement, qui est une variable décalée. On pense donc que l’inflation du secteur du logement demeure élevée. L’inflation des services, hors secteur du logement, est également élevée. On analyse donc les mesures à haute fréquence de l’inflation et de la croissance pour voir si ça fait dérailler la trajectoire de la Fed.
Ce qu’on entend et on l’a vu dans le procès-verbal de la Fed aujourd’hui, c’est qu’ils sont inconditionnellement attachés à l’inflation. Les craintes d’une récession ont pris un peu trop d’ampleur sur le marché et, par conséquent, on ne s’attend pas à ce que la Fed relève autant son taux directeur. Je pense qu’ils vont augmenter de 75 en juillet, de 50 points de base par la suite, quelques hausses par la suite, pour s’approcher de 4 %.
Le marché a également tenu compte de toutes ces baisses très rapidement. Je pense que la Fed devra être plus patiente. Parce que si l’inflation demeure élevée, on pense qu’elle va se situer dans une fourchette de 3 % à 4 %, même dans six mois. Il leur sera très difficile de réduire les taux. Je pense que ce bras de fer, comme vous l’avez nommé, on va devoir l’accepter pendant un bon moment, car la croissance ralentit et l’inflation est très élevée. La Fed devra faire beaucoup pour stimuler la croissance.
Et il va aussi falloir s’habituer qà la volatilité ui va avec. Vous avez mentionné les facteurs pris en compte par le marché. Et je sais que le taux final est un terme qu’on entend beaucoup plus maintenant. Pendant longtemps, on n’en parlait pas, ou du moins pas de manière courante, enfin vous si sûrement. Mais en ce moment, on voit le marché prendre en compte le taux final, vous avez dit plus près de 3,5 % que de 4 %. Et vous pensez que ça pourrait être faible.
Je pense que oui. Il y a à peine un jour, il était à 3,25 %. On a connu une très forte hausse aujourd’hui, après les minutes, parce que le procès-verbal suggérait que la Fed restait engagée à l’égard de l’inflation. Et même si la Fed prévoit un ralentissement de la croissance, elle ne dit pas que cela ralentira ses hausses de taux.
Parce que la Fed met l’accent sur l’inflation et parce que l’inflation est exceptionnellement élevée, et, franchement, elle a perdu de la crédibilité en matière de lutte contre l’inflation. Je pense donc qu’elle va continuer et se rapprocher des 4 %, elle peut ensuite ralentir ou interrompre le cycle de hausse des taux. Je pense donc que le marché, qui intégrait 4 % lors de la réunion de juin de la Fed, un taux final à 4 %… a fortement reculé au cours des deux dernières semaines, parce que les gens s’inquiètent de plus en plus de la croissance.
Mais je rappelle constamment aux clients qu’il y a encore de l’inflation. La croissance nous préoccupe peut-être, mais n’oubliez pas que l’inflation est encore très élevée, la Fed est très consciente du niveau élevé de l’inflation et à quel point elle nuit aux segments les plus vulnérables de la population, c’est pourquoi je ne pense pas qu’elle va changer. On pense qu’elle s’arrêtera à un taux aux environs de 4 %. C’est donc notre estimation du taux final.
Oui. Je pense que les gens, vous avez raison, commencent tout juste à ressentir un peu les effets de l’inflation. Qu’en est-il du resserrement quantitatif? On en a déjà parlé, croyez-vous que la Fed poursuivra dans cette voie? Et y a-t-il quelque chose qui pourrait les empêcher de le faire?
Bonne question. La Fed ne parle pas du resserrement quantitatif. C’est une politique qu’elle utilise pour le resserrement. C’est censé se dérouler en arrière-plan, mais ça ne signifie pas que c’est inefficace. C’est une politique de resserrement. Absolument, c’est un resserrement des conditions financières. Le procès-verbal indique que le resserrement quantitatif se poursuit.
Tant qu’elle augmente les taux et qu’ils demeurent inchangés, à un moment donné, elle atteint le taux final, puis le laisse inchangé Donc je pense que le resserrement quantitatif se poursuit. La grande question est de savoir si elle va assouplir la politique… Supposons que quelques réductions sont prévues… on a prévu des réductions un peu plus importantes pour 2024. Comment peut-elle réduire les taux d’intérêt et faire appel au resserrement quantitatif?
L’assouplissement de la politique monétaire en 2024 pourrait arrêter cette stratégie. Mais elle n’a pas communiqué à ce sujet. Si vous regardez le graphique, il n’y a que deux réductions prévues. À ce moment-là, elle continuera peut-être avec le resserrement quantitatif.
Si les taux passent seulement de 3,8 % à 3,4 %, comme prévu, on peut conserver le resserrement quantitatif, ce qui poursuivra le resserrement des conditions financières. Mais je crains que la croissance ralentisse un peu plus. On s’attend donc à des réductions d’environ 100 points de base, ce qui nous amène sous le point neutre.
Le resserrement quantitatif se terminera probablement d’ici la fin de l’année prochaine. Mais cela demeure une fonction, en fait, de l’inflation, de la croissance et de tout le reste qu’on gère en ce moment. La Fed n’a pas vraiment répondu à cette question jusqu’à maintenant.
Priya, c’est toujours un plaisir de vous parler. Merci encore d’avoir été des nôtres.
Merci de l’invitation.
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