
On a beaucoup parlé de l’augmentation brutale des prix des maisons au Canada dernièrement et de ce qu’il faudrait faire à ce sujet. Kim Parlee s’entretient avec Beata Caranci, économiste en chef, Groupe Banque TD, pour discuter des causes de cette hausse et déterminer si le marché du logement canadien est spéculatif ou fondamentalement sain.
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[TONALITÉS]
Notre première invitée ce soir vient de rédiger un rapport intitulé « Marché canadien de l’habitation et The Big Bang Theroy ». Et elle a utilisé des termes de physique pour expliquer notre marché en effervescence. Beata Caranci, bien sûr, est économiste en chef au Groupe Banque TD.
Beata, merci de te joindre à nous. Parle nous de The Big Bang Theory, du rasoir d’Ockham et du chat de Schrödinger. J’espère que je dis ça correctement. Commençons par le rasoir d’Ockham. Et tu dis qu’il y a cinq choses, qui, si je paraphrase la théorie du rasoir d’Ockham, expliquent de manière évidente ce qui se passe sur le marché de l’habitation en ce moment.
Oui. Essentiellement, l’explication la plus simple, demandant le moins d’hypothèses, est habituellement la bonne explication. Et là où je voulais en venir, c’est que nous avons eu un choc des taux d’intérêt à la baisse. Ça a fait baisser les taux hypothécaires d’environ 165 points de base. Il n’est pas surprenant que la demande soit très forte.
L’autre facteur, c’est que nous ne pensons pas que ce soit purement spéculatif, parce que cela se produit à l’échelle nationale. Généralement, quand nous avons vu ça par le passé, c’était dans les grandes agglomérations urbaines, comme Toronto et Vancouver. Ce n’est pas le cas.
Nous observons des hausses de prix plus fortes à l’extérieur de ces marchés. Et la Banque du Canada l’a également confirmé. Nous observons aussi un phénomène mondial... En Australie, en Nouvelle-Zélande et aux États-Unis. Nous n’avons donc pas besoin d’être trop créatifs quant à la source de la demande. Et c’est un argument pour être prudent en superposant les structures fiscales et les règles macroprudentielles, car nous savons très clairement que la source est un choc des taux d’intérêt.
Je veux parler des conséquences imprévues, car tu les soulignes. Tu as aussi mentionné deux ou trois autres choses qui, selon moi, sont intéressantes : tu dis que c’est en raison des taux. Que c’est partout au Canada. Que c’est partout dans le monde. Mais il y a tout simplement plus de choix, car avant la pandémie, il fallait vivre près du lieu de travail, et, avec la pandémie, ce n’est plus nécessaire.
En effet. Donc, avec la baisse des taux d’intérêt, si vous étiez un ménage à deux revenus gagnant 200 000 $, ça vous a donné 60 000 $ de plus pour acheter une maison. Ça élargit automatiquement votre sélection. Et ça s’est amplifié parce que vous n’avez plus à habiter à une trentaine de minutes de votre employeur.
Prenons l’exemple du marché de Kitchener-Waterloo par rapport à celui de Toronto. C’est un trajet d’une heure sans circulation, mais il y a un écart de prix d’environ un quart de million de dollars entre ces maisons.
Non seulement vous bénéficiez des taux d’intérêt plus bas, mais maintenant, vous pouvez vous éloigner. C’est pourquoi la hausse des prix ne se limite pas aux marchés des grandes agglomérations urbaines. En fait, elle est inférieure à celle des banlieues. Et tout le monde s’est en quelque sorte éloigné.
Quand on parle de réglementer ou de modifier ce marché, est-ce parce que nous sommes contre l’achat d’une propriété? Aucunement! Ce qui nous inquiéterait, c’est si le marché devenait spéculatif. C’est un problème plus important comportant un risque financier. Mais en ce moment, les causes de la hausse sont un intérêt élevé pour l’achat d’une propriété et un comportement relativement rationnel.
Et tu parles aussi du fait que nous avons déjà mis en place des mesures de protection, pour ainsi dire. Les taxes foncières... J’ai été surprise en lisant ton rapport. Nous en payons plus comparativement au reste du monde.
[RIRES] Oui. Il y a un tableau dans le rapport qui présente les taxes foncières comme une part de l’ensemble des impôts perçus et une part du produit intérieur brut. Ainsi, si on compare le Canada à d’autres pays... L’Australie, la Nouvelle-Zélande, la France, ou ailleurs... nous payons plus cher. Nous sommes comparables aux États-Unis et au Royaume-Uni.
Ça nous ramène au fait que l’imposition d’une structure fiscale ne signifie pas nécessairement qu’on obtiendra la demande qu’on souhaite, parce que les comportements des gens s’ajustent. Pour revenir à ce que tu as mentionné, que nous avons une structure fiscale assez robuste, nous avons beaucoup de règles macroprudentielles qui nous permettent de tirer le levier. Et on vient de le faire en augmentant un peu le taux de préadmissibilité. Alors ça, ça va. Là où il faut se méfier, c’est quand on ne cesse d’ajouter des règles alors qu’on a déjà des leviers qu’on peut utiliser.
Et je suppose qu’une autre règle a été ajoutée. C’est tout nouveau. Avec la publication du budget, on ajoute une taxe sur la spéculation. À ton avis, est-ce que cela aura des répercussions énormes?
Pas vraiment. Ce n’est pas... Précisément, le gouvernement envisage une taxe de 1 % sur les propriétés qui appartiennent à des acheteurs étrangers qui sont vacantes ou sous-utilisées. Cette hausse des prix et de la demande provient en fait du marché canadien.
Nous avons des données de... La Colombie-Britannique est très bonne pour recueillir ces données. Ce ne sont pas ces acheteurs qui sont à la source des achats que nous voyons. De toute évidence, on ne pense pas qu’un acheteur étranger serait très intéressé par Cornwall et Scugog. Et ce sont des secteurs où les prix ont augmenté de 20 % à 30 %.
Il s’agit donc d’acheteurs canadiens. À ce stade, tout ce qui concerne les acheteurs étrangers ne réglerait aucun des problèmes qui préoccupent le gouvernement.
Permets-moi de t’interroger sur la deuxième et dernière notion de physique que tu as utilisée, le chat de Schrödinger... Le chat de Schrödinger. Chaque fois, je le dis d’une manière différente. Premièrement, qu’est-ce que c’est? Et qu’est-ce que cela a à voir avec le marché du logement canadien?
Eh bien, ça va paraître macabre. Mais ce n’est qu’une expérience de réflexion, et c’est effectivement... L’explication vient de The Big Bang Theory, où je l’ai apprise : essentiellement, vous prenez un chat, vous le placez dans une boîte, et, en attendant une réaction chimique, le chat peut être considéré comme étant à la fois vivant et mort, selon si la réaction chimique s’est produite ou non. Et la seule façon de connaître la réponse, c’est par observation.
La raison pour laquelle j’ai lié cette théorie au marché de l’habitation canadien, c’est car le marché peut être considéré comme à la fois spéculatif et fondamentalement solide, car la portion fondamentalement solide provient de la fluctuation des taux d’intérêt et de la très forte croissance de la population au Canada. Cette année, il y a eu un arrêt avec la pandémie. Mais on prévoit que 400 000 immigrants de plus viendront au Canada chaque année. Et cela permettra de continuer à alimenter le marché. Les gens le savent. Les Canadiens le savent.
Et si vous regardez les 20 dernières années, les prix des logements se sont mieux comportés que le marché boursier. Et ils sont moins volatils. Il y a donc un élément de comportement rationnel dans ce que nous voyons.
En même temps, on peut en arriver à ce que les économistes appellent les attentes extrapolatives, où on commence à se dissocier des paramètres fondamentaux. Le prix que vous payez pour acheter une propriété à Cornwall est-il fondamentalement solide par rapport aux taux de formation des ménages et à la valeur de ce marché? C’est là que les deux dynamiques peuvent fonctionner simultanément.
Nous continuerons de nous adresser à toi pour que tu nous expliques ce qui se passe. Merci beaucoup, Beata.
Tout le plaisir est pour moi.
[MUSIQUE]
Notre première invitée ce soir vient de rédiger un rapport intitulé « Marché canadien de l’habitation et The Big Bang Theroy ». Et elle a utilisé des termes de physique pour expliquer notre marché en effervescence. Beata Caranci, bien sûr, est économiste en chef au Groupe Banque TD.
Beata, merci de te joindre à nous. Parle nous de The Big Bang Theory, du rasoir d’Ockham et du chat de Schrödinger. J’espère que je dis ça correctement. Commençons par le rasoir d’Ockham. Et tu dis qu’il y a cinq choses, qui, si je paraphrase la théorie du rasoir d’Ockham, expliquent de manière évidente ce qui se passe sur le marché de l’habitation en ce moment.
Oui. Essentiellement, l’explication la plus simple, demandant le moins d’hypothèses, est habituellement la bonne explication. Et là où je voulais en venir, c’est que nous avons eu un choc des taux d’intérêt à la baisse. Ça a fait baisser les taux hypothécaires d’environ 165 points de base. Il n’est pas surprenant que la demande soit très forte.
L’autre facteur, c’est que nous ne pensons pas que ce soit purement spéculatif, parce que cela se produit à l’échelle nationale. Généralement, quand nous avons vu ça par le passé, c’était dans les grandes agglomérations urbaines, comme Toronto et Vancouver. Ce n’est pas le cas.
Nous observons des hausses de prix plus fortes à l’extérieur de ces marchés. Et la Banque du Canada l’a également confirmé. Nous observons aussi un phénomène mondial... En Australie, en Nouvelle-Zélande et aux États-Unis. Nous n’avons donc pas besoin d’être trop créatifs quant à la source de la demande. Et c’est un argument pour être prudent en superposant les structures fiscales et les règles macroprudentielles, car nous savons très clairement que la source est un choc des taux d’intérêt.
Je veux parler des conséquences imprévues, car tu les soulignes. Tu as aussi mentionné deux ou trois autres choses qui, selon moi, sont intéressantes : tu dis que c’est en raison des taux. Que c’est partout au Canada. Que c’est partout dans le monde. Mais il y a tout simplement plus de choix, car avant la pandémie, il fallait vivre près du lieu de travail, et, avec la pandémie, ce n’est plus nécessaire.
En effet. Donc, avec la baisse des taux d’intérêt, si vous étiez un ménage à deux revenus gagnant 200 000 $, ça vous a donné 60 000 $ de plus pour acheter une maison. Ça élargit automatiquement votre sélection. Et ça s’est amplifié parce que vous n’avez plus à habiter à une trentaine de minutes de votre employeur.
Prenons l’exemple du marché de Kitchener-Waterloo par rapport à celui de Toronto. C’est un trajet d’une heure sans circulation, mais il y a un écart de prix d’environ un quart de million de dollars entre ces maisons.
Non seulement vous bénéficiez des taux d’intérêt plus bas, mais maintenant, vous pouvez vous éloigner. C’est pourquoi la hausse des prix ne se limite pas aux marchés des grandes agglomérations urbaines. En fait, elle est inférieure à celle des banlieues. Et tout le monde s’est en quelque sorte éloigné.
Quand on parle de réglementer ou de modifier ce marché, est-ce parce que nous sommes contre l’achat d’une propriété? Aucunement! Ce qui nous inquiéterait, c’est si le marché devenait spéculatif. C’est un problème plus important comportant un risque financier. Mais en ce moment, les causes de la hausse sont un intérêt élevé pour l’achat d’une propriété et un comportement relativement rationnel.
Et tu parles aussi du fait que nous avons déjà mis en place des mesures de protection, pour ainsi dire. Les taxes foncières... J’ai été surprise en lisant ton rapport. Nous en payons plus comparativement au reste du monde.
[RIRES] Oui. Il y a un tableau dans le rapport qui présente les taxes foncières comme une part de l’ensemble des impôts perçus et une part du produit intérieur brut. Ainsi, si on compare le Canada à d’autres pays... L’Australie, la Nouvelle-Zélande, la France, ou ailleurs... nous payons plus cher. Nous sommes comparables aux États-Unis et au Royaume-Uni.
Ça nous ramène au fait que l’imposition d’une structure fiscale ne signifie pas nécessairement qu’on obtiendra la demande qu’on souhaite, parce que les comportements des gens s’ajustent. Pour revenir à ce que tu as mentionné, que nous avons une structure fiscale assez robuste, nous avons beaucoup de règles macroprudentielles qui nous permettent de tirer le levier. Et on vient de le faire en augmentant un peu le taux de préadmissibilité. Alors ça, ça va. Là où il faut se méfier, c’est quand on ne cesse d’ajouter des règles alors qu’on a déjà des leviers qu’on peut utiliser.
Et je suppose qu’une autre règle a été ajoutée. C’est tout nouveau. Avec la publication du budget, on ajoute une taxe sur la spéculation. À ton avis, est-ce que cela aura des répercussions énormes?
Pas vraiment. Ce n’est pas... Précisément, le gouvernement envisage une taxe de 1 % sur les propriétés qui appartiennent à des acheteurs étrangers qui sont vacantes ou sous-utilisées. Cette hausse des prix et de la demande provient en fait du marché canadien.
Nous avons des données de... La Colombie-Britannique est très bonne pour recueillir ces données. Ce ne sont pas ces acheteurs qui sont à la source des achats que nous voyons. De toute évidence, on ne pense pas qu’un acheteur étranger serait très intéressé par Cornwall et Scugog. Et ce sont des secteurs où les prix ont augmenté de 20 % à 30 %.
Il s’agit donc d’acheteurs canadiens. À ce stade, tout ce qui concerne les acheteurs étrangers ne réglerait aucun des problèmes qui préoccupent le gouvernement.
Permets-moi de t’interroger sur la deuxième et dernière notion de physique que tu as utilisée, le chat de Schrödinger... Le chat de Schrödinger. Chaque fois, je le dis d’une manière différente. Premièrement, qu’est-ce que c’est? Et qu’est-ce que cela a à voir avec le marché du logement canadien?
Eh bien, ça va paraître macabre. Mais ce n’est qu’une expérience de réflexion, et c’est effectivement... L’explication vient de The Big Bang Theory, où je l’ai apprise : essentiellement, vous prenez un chat, vous le placez dans une boîte, et, en attendant une réaction chimique, le chat peut être considéré comme étant à la fois vivant et mort, selon si la réaction chimique s’est produite ou non. Et la seule façon de connaître la réponse, c’est par observation.
La raison pour laquelle j’ai lié cette théorie au marché de l’habitation canadien, c’est car le marché peut être considéré comme à la fois spéculatif et fondamentalement solide, car la portion fondamentalement solide provient de la fluctuation des taux d’intérêt et de la très forte croissance de la population au Canada. Cette année, il y a eu un arrêt avec la pandémie. Mais on prévoit que 400 000 immigrants de plus viendront au Canada chaque année. Et cela permettra de continuer à alimenter le marché. Les gens le savent. Les Canadiens le savent.
Et si vous regardez les 20 dernières années, les prix des logements se sont mieux comportés que le marché boursier. Et ils sont moins volatils. Il y a donc un élément de comportement rationnel dans ce que nous voyons.
En même temps, on peut en arriver à ce que les économistes appellent les attentes extrapolatives, où on commence à se dissocier des paramètres fondamentaux. Le prix que vous payez pour acheter une propriété à Cornwall est-il fondamentalement solide par rapport aux taux de formation des ménages et à la valeur de ce marché? C’est là que les deux dynamiques peuvent fonctionner simultanément.
Nous continuerons de nous adresser à toi pour que tu nous expliques ce qui se passe. Merci beaucoup, Beata.
Tout le plaisir est pour moi.
[MUSIQUE]