
Les actions des marchés émergents semblent enfin prêtes à surperformer en 2021 (et au-delà!) grâce à leur potentiel de croissance plus élevé. Anthony Okolie et Christian Medeiros, gestionnaire de portefeuille associé, Gestion de Placements TD, discutent de la tendance à long terme de ces actions.
Merci de m’avoir invité, Anthony. De façon générale, les marchés émergents sont très sensibles au contexte macroéconomique mondial. Et ils ont tendance à très bien se comporter au début de leur reprise. Ça s’explique par le fait qu’une part importante de l’économie est axée sur les exportations et les produits de base. Donc, au début de la reprise, lorsque les économies rouvrent, ce qui entraîne une reflation à l’échelle mondiale, les marchés émergents sont généralement les premiers qui en profitent.
Et cette fois-ci, c’est la même chose. Selon les prévisions économiques, les marchés émergents devraient enregistrer une croissance, disons de 5 % l’an prochain, tandis que les autres marchés développés devraient enregistrer une croissance de 3 % ou 4 %. Et cette croissance devrait se poursuivre au-delà de 2021, jusqu’en 2022. Ça correspondrait parfaitement à la trajectoire de croissance historique.
Et c’est ce qui explique ces perspectives optimistes. Pour ce qui est des risques qui pourraient assombrir ces perspectives-là, c’est que la vitesse de déploiement des vaccins dans les marchés émergents peut être plus lente que dans les marchés en développement. Ça c’est une des préoccupations. Il y a aussi le fait que les marchés émergents ont dépensé beaucoup d’argent pour soutenir leurs économies. Et leur situation budgétaire est pire. Une autre des préoccupations, c’est l’arsenal dont ils vont disposer pour redémarrer et relancer leur économie à mesure qu’on va procéder à la réouverture.
Dans ce contexte macroéconomique, parlez-nous de la croissance incroyable des ventes et des opérations en ligne, en particulier dans les marchés émergents l’an dernier.
Oui, quand on pense aux marchés émergents, si on mise sur eux dans leur ensemble et si on mise sur eux en vue de la reprise cyclique, c’est quelque chose qui fonctionne si vous êtes un investisseur cyclique, et qui va fonctionner au début de chaque cycle. Mais ces tendances et ces entreprises-là ne sont pas nécessairement des placements durables sur une longue période. Donc on aime vraiment les tendances à long terme sur les marchés émergents. Et l’une de nos préférées, c’est la numérisation de la consommation dans les marchés émergents.
On a donc observé une forte croissance pendant la pandémie. Mais au cours de la pandémie, ces tendances-là ont connu une forte accélération. Dans le cas du commerce électronique, qui est l’un des aspects importants, le volume des activités a doublé, et beaucoup plus d’utilisateurs ont commencé à se sentir à l’aise avec ces services. On a vu des fournisseurs déployer une logistique qui va leur permettre de livrer ces produits et de faciliter l’utilisation du commerce électronique sur ces marchés.
Il en a résulté une croissance des bénéfices... désolé, une croissance des revenus extrêmement impressionnante pour ces entreprises. Et lorsqu’on regarde les sondages effectués dans de nombreux pays émergents, on constate que les consommateurs ont commencé à utiliser ces services, qu’ils se sentent maintenant à l’aise à les utiliser. Ils disent qu’ils vont continuer à les utiliser. C’est une habitude que les gens adoptent de plus en plus. Ça a donc vraiment accéléré les perspectives de croissance. Et on croit que de nombreux participants au marché et observateurs s’attendent maintenant à ce que la taille du commerce électronique dans les marchés émergents triple d’ici 2025. C’est donc une grande accélération par rapport à ce que nous avions prévu avant la pandémie.
Et où voyez-vous la prochaine étape de la croissance de certaines de ces technologies des marchés émergents?
Oui. Pour ces entreprises technologiques des marchés émergents, en particulier ce qu’on appelle les super-entreprises, qui offrent du commerce électronique, des services de covoiturage, toute une gamme de fonctions, elles tentent vraiment de saisir toute l’expérience numérique pour le consommateur. Ce qu’on constate, c’est que lorsque le commerce électronique a été déployé dans ces marchés, beaucoup de gens n’avaient pas nécessairement d’expérience bancaire traditionnelle ni de points de contact. Dans 50 % de ces pays, il y en a beaucoup où les gens n’ont pas de comptes bancaires. Ils n’ont pas de cartes de crédit. C’était donc difficile de faire des opérations en ligne dans bien des cas, et ce n’était pas pratique.
Beaucoup de ces entreprises-là ont donc lancé des portefeuilles électroniques et des services financiers. Et c’est vraiment un élément très important de la croissance à ce stade-ci. Si on regarde MercadoLibre en Amérique latine, par exemple, son portefeuille électronique dans le secteur des services financiers a connu un véritable succès, au point où il représente un important moteur de revenus pour l’entreprise. En Asie du Sud-Est, par exemple, Shopee, qui fait partie de Sea Limited, une autre de nos sociétés préférées, vient d’obtenir un permis bancaire à Singapour. Et les portefeuilles électroniques, et seulement les portefeuilles électroniques en général en Asie du Sud-Est, les gens les adoptent rapidement par rapport à l’argent comptant.
Et ce qui est formidable, c’est que ces portefeuilles électroniques permettent aussi aux gens d’utiliser les codes QR et de payer en magasin. Non seulement ça facilite le commerce électronique, mais ça facilite aussi le commerce hors ligne, qui va profiter de la réouverture, et ça facilite la démocratisation des services financiers sur ces marchés.
Vous avez mentionné certains de ces titres dans les marchés émergents. Y a-t-il d’autres titres que vous allez surveiller de près en 2021?
Oui, on continue de surveiller les super-entreprises dont nous avons déjà parlé, MercadoLibre, Sea Limited, Yandex en Russie et Reliance en Inde. Mais on aime aussi les entreprises qui offrent uniquement des services de paiement, car non seulement elles s’en tirent très bien avec l’adoption du commerce électronique, mais elles déploient aussi de plus en plus une architecture de paiement moderne dans les magasins. C’est le cas de StoneCo au Brésil. Par le passé, on aimait aussi les sociétés d’infrastructure. Elles se sont assez mal comportées pendant la pandémie, mais à mesure que les choses vont reprendre... on parle des aéroports, des ports ou de la construction... tout ira bien pour elles aussi.
Enfin, on pense que le secteur du matériel informatique, en particulier le matériel technologique, à Taïwan et en Corée, est très bien placé, parce que ce sont des chefs de file dans le domaine des puces. Ils sont de plus en plus des chefs de file de la technologie de batterie et de certaines technologies vertes. Et quand on pense aux nouvelles tendances selon lesquelles les fonds d’infrastructure vont être dépensés et à la nécessité de ce matériel technologique dans l’économie moderne, c’est aussi un aspect intéressant à envisager, et ça a l’avantage d’être à la fois des facteurs favorables à long terme et cycliques.
Enfin, du point de vue des investisseurs, quelles sont les principales tendances que nous devrions surveiller en 2021?
Oui, pour 2021, il y a quelques aspects qui me semblent intéressants. Tout d’abord, il y a la persistance d’un grand nombre de ces tendances. L’acceptation du commerce électronique, l’expansion des technologies financières, l’adoption des services de covoiturage et la livraison de repas ne disparaîtront pas dans les marchés émergents. Les consommateurs sont devenus à l’aise avec ces services.
Les principales entreprises, depuis qu’elles ont acquis une part de marché aussi dominante, elles ont attiré tellement d’utilisateurs et de vendeurs sur les plateformes qu’elles sont dans une position beaucoup plus stable et vont devenir rentables au cours des prochaines années. Ce sont des entreprises beaucoup plus stables et durables que les investisseurs ne le croyaient auparavant. Je m’attends aussi à un plus grand nombre de PAPE. Il y a beaucoup de licornes dans ce secteur qui, selon moi, pourraient faire l’objet d’un PAPE au cours de la prochaine année ou des deux prochaines années, car elles ont besoin de capitaux pour concurrencer certains des plus gros joueurs. On observe donc une expansion de ces tendances.
Et je pense qu’il faut se méfier des tendances technologiques qui nous paraissent très solides; au cours de la prochaine décennie, des cinq prochaines années, elles pourraient être un peu à l’arrière-plan de la forte remontée cyclique qu’on pourrait observer dans d’autres segments des entreprises des marchés émergents. Les tendances à long terme vont donc demeurer intactes pour la prochaine décennie. Je crois qu’elles vont demeurer solides l’an prochain, mais je pense qu’on pourrait observer un léger changement de cap en ce qui concerne les actions des marchés émergents en 2021.
Christian, merci beaucoup pour ces explications.
Merci, Anthony. Ça a été un plaisir d’être ici.
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