
L’invasion de l’Ukraine par la Russie a fait grimper les prix du pétrole. Mais l’augmentation des placements ESG, aurait aussi influencé les coûts de l’énergie. Greg Bonnell discute du lien entre les facteurs ESG et l’énergie avec Priti Shokeen, chef, Recherche et engagement ESG, Gestion de Placements TD.
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Les prix du pétrole et du gaz ont bondi lorsque la Russie a envahi l’Ukraine, mais certains sont d’avis que la véritable cause de la hausse des prix pourrait être l’augmentation des placements environnementaux, sociaux et liés à la gouvernance. Eh bien, selon notre invitée d’aujourd’hui, ce serait en fait un peu plus compliqué que ça.
Accueillons aujourd’hui Priti Shokeen, chef, Recherche et engagement ESG, Gestion de Placements TD. Priti, c’est un plaisir de vous avoir avec nous aujourd’hui. C’est un sujet fascinant, j’ai hâte d’approfondir. Bien sûr, dans ce contexte d’inflation élevée, de prix de l’énergie élevés, certains ont pointé du doigt les facteurs ESG. Que se passe-t-il réellement?
Eh bien, merci, Greg. Et merci de m’avoir invitée. Je pense que l’accent mis sur les facteurs ESG est un peu exagéré, parce que de nombreux facteurs ont contribué à l’inflation et à la hausse des prix des produits de base. Le principal facteur est l’assouplissement quantitatif observé durant la pandémie. La pandémie a créé beaucoup de problèmes, dont ceux de la chaîne d’approvisionnement. Il y a aussi la politique publique liée à la transition énergétique, qui joue un rôle.
On observe également de très près les marchés et la situation politique. Et le fait est qu’il règne sur le marché le sentiment qu’il y a eu un sous-investissement dans les secteurs du pétrole et du gaz et de certains produits de base, qui semblent à forte intensité de carbone. Et le fait est qu’en raison de ce sous-investissement, on observe maintenant non seulement une demande, qui est assez forte et qui continuera de l’être à court et à moyen terme, mais également un resserrement de l’offre.
Le conflit entre l’Ukraine et la Russie y a aussi contribué. Ce conflit avec Poutine n’aurait pas pu tomber à un pire moment, parce que l’équation entre l’offre et la demande de produits pétroliers et gaziers est très serrée. Ça a non seulement contribué à la hausse des prix des produits de base, car on a bien sûr besoin d’énergie pour toutes nos activités économiques. Si les prix de l’essence et du pétrole augmentent, tout le reste augmente.
Est-ce que c’est l’aspect le plus compliqué? Même avant le conflit entre la Russie et l’Ukraine, il y avait ce sentiment que la transition ne se faisait pas correctement ou pouvait être cahoteuse. Quand on regarde vers l’avenir, dans 10, 15 ou 20 ans, on voit l’évolution des sources d’énergie, mais on craint de ne pas avoir la bonne donne à court terme.
Oui. C’est vraiment très difficile sur le plan de la transition énergétique. Je pense que les objectifs en matière de changements climatiques sont certainement mis à mal dans le contexte actuel. En fait, les priorités à court terme vont toujours déterminer les objectifs à long terme. Et l’idée que les gens restent pris dans le froid et l’obscurité fait très peur.
L’Allemagne, par exemple, s’efforce de répondre à ses besoins énergétiques pour l’hiver. Les dirigeants du G7 se réunissent en ce moment même. La sécurité énergétique l’emportera sur la transition énergétique à court et à moyen terme, comme je l’ai mentionné. Et ce sera une priorité pour tous les dirigeants politiques à l’avenir, au cours de la prochaine ou des deux prochaines années.
En ce qui concerne les grandes sociétés cotées en bourse, qui pourraient, en raison de leurs objectifs par rapport aux ESG et dans le but de respecter ces normes, se départir de certains actifs qui ne sont pas considérés comme favorables aux facteurs ESG, vous avez soulevé un point intéressant. Je sais que un aspect que vous surveillez. Le fait de se dire, par exemple « Ok, si vous vous départissez de ces parts de votre entreprise, où vont-elles? Est-ce qu’elles vont se retrouver dans des endroits plus responsables?
Il y a un terme pour ça maintenant, en anglais, c’est le « brown spinning » ou la liquidation d’actifs bruns. Et...
Ah, vraiment?
Oui. Le fait, c’est qu’un certain nombre de grandes sociétés se sont engagées à maintenir la carboneutralité et ont des plans de transition. Les prix du pétrole étant extrêmement élevés, c’est plus facile. Les actifs à plus grande intensité carbone sont des cibles dont il est plus facile de se débarrasser. Et selon certains chiffres qu’on voit, 64 % des ventes d’actifs dans le secteur des combustibles fossiles passent du secteur public au secteur privé.
Ça crée un défi intéressant, parce qu’on croit à l’élimination progressive et gérée des émissions de carbone. Alors, le désinvestissement pourrait avoir un effet négatif sur une réelle réduction des émissions de carbone. Et on ne comprend pas entièrement les effets sur les émissions qu’aura l’activité économique mondiale à l’avenir.
De ce point de vue, le secteur canadien du pétrole et du gaz semble bien se comporter, parce qu’on a des joueurs importants, qui sont très engagés. Et notre approche pour collaborer avec eux et avoir ce dialogue et cette discussion sur une élimination progressive gérée, est plus responsable, selon nous, que de vendre les actifs à, disons, des joueurs qui ne sont peut-être pas aussi responsables.
Il semble presque que ce serait aussi important pour les investisseurs de faire un tri ESG et de s’inquiéter de ce genre de chose, au lieu de se dire seulement : « C’est bien, la société s’est départie de ces actifs », mais de savoir exactement comment elle s’y est prise. Et ça pourrait peut-être même faire partie d’un critère à l’avenir, pour un investisseur soucieux des facteurs ESG, de se dire « Je n’aime pas la façon dont vous vous êtes départis de cet actif.
Je pense que c’est un critère extrêmement important auquel les investisseurs ESG devront porter attention. Il ne s’agit pas seulement de décarboniser vos portefeuilles. C’est l’économie, qu’il faut décarboniser. Et pour ce faire, il est plus efficace d’être à la table des entreprises qui ont une empreinte carbone au lieu de simplement se départir de ces actifs, sans surveiller ce qu’il se passe.
Vous avez dit qu’à court terme, évidemment, la sécurité énergétique l’emportera sur les enjeux ESG. À long terme, est-ce que c’est possible que ces deux aspects aillent de pair?
Je le crois. Je crois que le sentiment de sous-investissement dans l’énergie est généralisé. Les sources d’énergie ne se limitent pas aux combustibles fossiles. Il y a aussi de nombreuses autres sources d’énergie renouvelable.
Je pense que les investissements doivent être généralisés. Selon l’Agence internationale de l’énergie, il faut investir environ 3 000 milliards de dollars dans la transition énergétique chaque année. Ça comprend le captage et la séquestration du carbone. Ça comprend l’énergie solaire et l’énergie éolienne. Ça comprend également les biocarburants, ainsi que l’énergie nucléaire, qui est présente quelque part.
Il existe de nombreux types d’énergie dans lesquels on pourrait investir pour s’assurer que ces objectifs se rejoignent, du moins à moyen terme ou à long terme.
Est-ce qu’il y a un danger que les facteurs ESG, même si beaucoup d’institutions les ont placés au centre de leur mission actuelle, soient mis de côté en raison de ces inquiétudes à court terme, et qu’il n’y ait pas de suivi à long terme?
C’est intéressant que vous disiez ça. Parce que les placements ESG semblent être au centre des décisions politiques en ce moment. On a vu le sentiment des investisseurs dans l’Union européenne, par exemple, où, en plus d’investir à court terme dans des sources d’énergie à base de combustibles fossiles, ils cherchent également à élaborer des politiques à moyen et à long terme et à investir davantage, à affecter plus d’argent, à avoir plus de dépenses en immobilisations dans des sources d’énergie qui ne consomment pas autant de carbone que les combustibles fossiles.
J’ai l’impression de commettre un péché mortel, même si je sais très bien qu’on avait prévu de parler de placements liés aux facteurs ESG. Je ne vous ai posé de questions que sur l’environnement, l’environnement ceci, cela. Les lettres S et G représentent aussi quelque chose. Est-ce que ces lettres ne vont pas bien ensemble? Ou ces trois facteurs, environnementaux, sociaux et de gouvernance, sont-ils indissociables?
Eh bien, parfois oui, parfois non. Il peut arriver qu’il y ait des compromis entre le E, le S et le G. Et, en tant qu’investisseurs, on doit en être très conscient lorsqu’on évalue un placement ou qu’on fait notre diligence raisonnable pour l’inclure dans nos portefeuilles.
Donc, pour ce qui est des facteurs E, S et G, de toute évidence, les objectifs climatiques sont étroitement liés aux objectifs sociaux. En fin de compte, si la planète dépasse ses frontières, ça nous touchera tous, ainsi que les collectivités, les collègues, les parties prenantes, tous. Voilà pour le facteur S à long terme.
En même temps, à court et à moyen terme, on doit mettre l’accent sur cette transition équitable, en faisant passer certains des collègues qui travaillent traditionnellement dans le secteur du pétrole et du gaz vers de nouveaux secteurs ou des secteurs technologiques plus propres. Je pense que ça va ensemble.
Et puis, il y a toujours une question de gouvernance. Des contrôles de gouvernance appropriés, comme la protection des renseignements personnels et la sécurité des données, sont prioritaires pour les sociétés technologiques. À l’heure actuelle, on accorde beaucoup d’importance aux soins de santé, comme vous le savez, avec l’annulation de la décision Roe c. Wade aux États-Unis. Il y a donc une foule de problèmes sur le plan social et de la gouvernance auxquels on doit certainement porter attention en plus du facteur E.
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