
Anthony Okolie récapitule l’actualité du jour, notamment les dernières nouvelles sur la COVID-19, puis Kim Parlee et Mario Mendonca, directeur général, Valeurs Mobilières TD, discutent du premier trimestre complet des banques canadiennes depuis le début de la crise de la COVID-19. Les résultats et les profits étant en chute, le secteur financier canadien a-t-il vécu le pire? Est-il au bout de ses peines?
Bonjour et bienvenue au bulletin quotidien COVID-19 MoneyTalk du jeudi 4 juin. Je m’appelle Anthony Okolie. Dans quelques minutes, Kim Parlee s’entretiendra avec Mario Mendonca, directeur général, Valeurs Mobilières TD, de la performance des grandes banques canadiennes au dernier trimestre. Mais tout d’abord, voici un survol rapide des nouvelles du jour.
La crise de l’emploi aux États-Unis montre que le pire pourrait être passé. La semaine dernière, 1,9 million d’Américains ont demandé des prestations d’assurance-chômage, ce qui représente une chute abrupte par rapport au sommet de près de 7 millions atteint en mars.
D’autres mauvaises nouvelles concernant le secteur du détail, qui a été malmené. Le plus important propriétaire de centres commerciaux aux États-Unis, Simon Property, poursuit Gap pour avoir omis de payer 66 millions de dollars en loyers et autres frais en raison de la pandémie de coronavirus.
Par ailleurs, les casinos de Las Vegas se préparent à rouvrir leurs portes à minuit ce soir, après avoir fermé leurs portes il y a trois mois en raison de la COVID-19. Des dés désinfectés, des masques faciaux, des limites imposées aux joueurs aux tables et des contrôles de température font tous partie de la nouvelle expérience à Las Vegas.
Enfin, un signe d’optimisme à l’égard du transport aérien. American Airlines a indiqué qu’elle prévoit effectuer 55 % des vols intérieurs de son horaire en juillet, en forte hausse par rapport à mai, où elle avait effectué 20 % des vols de son horaire, par rapport à l’année précédente.
C’était le résumé des nouvelles du jour. Voici maintenant la discussion entre Kim Parlee et Mario Mendonca.
Mario, la dernière fois que nous nous sommes parlé, c’était à la fin février. Et j’ai l’impression qu’à ce moment-là, il y avait beaucoup d’inquiétude, et pas beaucoup d’informations sur ce qui se passait. Et je pense qu’à ce moment-là, vous n’aviez qu’une seule recommandation d’achat pour l’une des banques. Aujourd’hui, nous avons l’impression d’être à la fin du début. Il s’est passé beaucoup de choses depuis ce temps, alors vous pourriez peut-être nous dire ce que vous avez vu. Je sais que vous avez apporté un changement important à votre analyse le 20 mars. Nous passerons ensuite au trimestre proprement dit.
Bien sûr. Avant le problème lié à la COVID-19, vous avez raison, aux alentours de février, j’avais une recommandation d’achat. C’était pour la Banque Royale. Ma mise en garde n’était certainement pas liée à une pandémie. Je craignais seulement que les pertes sur créances soient très faibles et qu’elles augmentent. J’avais l’impression que les marges pourraient augmenter quelque peu à mesure que les taux diminuaient. Une fois que la pandémie de COVID-19 a frappé et que les actions des banques ont chuté considérablement; plusieurs d’entre elles, en fait la plupart d’entre elles, se négociaient sous leur valeur comptable aux alentours du 20 mars. J’ai révisé à la hausse le secteur [AUDIO OUT] essentiellement toutes les banques, à l’exception de la Banque Laurentienne. C’est la seule banque pour laquelle je n’ai pas fait de révision à la hausse.
Ce faisant, j’estimais simplement que la valeur comptable était une évaluation très juste, surtout si l’on croyait que les banques afficheraient une solidité du capital, qu’elles ne réduiraient pas leurs dividendes et que leurs modèles d’affaires resteraient essentiellement intacts. C’était donc la bonne chose à faire vers le 20 mars. Les actions se sont bien comportées, et je crois que le trimestre actuel, et nous y reviendrons dans un instant, appuie cette thèse.
Dans ce cas, qu’est-ce que ce trimestre-ci nous a appris? Je veux dire, je sais que les gens... Je dirais qu’on surveille les bénéfices. Je ne crois pas qu’on accorde trop d’importance aux bénéfices. Je dirais que c’est plutôt une question de capital, et on essaie de comprendre ce qui se passe. Mais commençons par les leçons du trimestre.
Le capital et le crédit ont certainement été les deux principaux enjeux sur lesquels tout le monde se concentrait. Mais avant même d’en arriver là, le trimestre a été difficile. Les bénéfices ont reculé de 51 %. Le BPA des six grandes banques a diminué de 51 % sur 12 mois. Cela s’explique par divers facteurs. Le plus important est les pertes sur créances. Les pertes sur créances ont augmenté d’environ 400 % sur 12 mois. Il s’agit donc d’une augmentation très importante des pertes sur créances. Et lorsque nous aborderons la question du crédit, je vais apporter quelques nuances. Mais les pertes sur créances sont certainement la principale cause de la baisse des bénéfices.
Par ailleurs, les revenus tirés des frais ont diminué. Les achats par carte de crédit se sont effondrés. Les achats de billets d’avion, d’activités de divertissement et de loisirs. L’activité dans le secteur des cartes de crédit a fortement diminué, ce qui a entraîné une baisse importante des revenus tirés des frais. C’est donc la combinaison des revenus tirés des frais moins élevés, des pertes sur créances beaucoup plus élevées, compensées quelque peu par la vigueur des marchés financiers, qui a finalement fait chuter le BPA à 51 %.
J’en viens maintenant aux nuances par rapport au crédit. Par la même occasion, peut-être pourriez-vous nous expliquer, si possible, ce que vous voyez et ce que ça nous dit sur l’orientation des banques et de l’économie.
Oui, d’accord. Ce trimestre-ci a été différent. Il s’agit du tout premier trimestre où nous avons été soumis à des tensions importantes et où nous avons appliqué de nouvelles normes comptables. Je n’entrerai pas trop dans les détails, mais si on pense aux pertes sur créances en ce moment, on parle de pertes sur créances réelles, ce qu’on appelle les pertes sur créances liées à des prêts douteux, lorsque la personne ne paie pas, et ce qu’on appelle les pertes prévues.
Les pertes réelles liées à des prêts douteux au cours du trimestre n’ont pas été très importantes. Elles n’ont pas augmenté sensiblement pour la plupart des banques sur 12 mois, en partie parce que les reports de paiement en place ne sont pas traités comme des prêts en souffrance. Les défaillances réelles n’étaient donc pas si importantes. Ce qui était énorme, ça a été les pertes sur créances prévues.
Les pertes sur créances prévues dépendent en fait des perspectives de la banque pour l’économie. Les banques ont donc supposé à juste titre que 2020, et la majeure partie de 2021, seraient marquées par un taux de chômage élevé et une croissance économique modérée. Et lorsqu’on ajoute ces prévisions à long terme à l’égard de l’économie et du chômage, il faut nécessairement prévoir des pertes très élevées.
La nuance ce trimestre-ci, c’est simplement que ce sont les pertes prévues qui ont dominé le tableau. À long terme, c’est le contraire qui va se produire. Les pertes sur créances réelles seront élevées, mais heureusement, les banques ont déjà comptabilisé ces pertes sur créances. Elles vont être en mesure de libérer une partie des pertes sur créances prévues lorsqu’elles vont comptabiliser les pertes sur créances réelles.
Pour ceux qui ne suivent pas la situation de près, Mario, vous pourriez peut-être expliquer, d’un trimestre à l’autre, à mesure que les choses évoluent et que les véritables prêts douteux entrent en jeu, si nous allons observer des variations d’un trimestre à l’autre, ou est-ce que les banques comptabilisent ce qu’elles prévoient à long terme, et qu’il va y avoir d’autres importantes provisions pour pertes sur créances?
C’est là que c’est difficile à dire. Je crois que, pour bon nombre de nos banques, les pertes sur créances prévues pour le trimestre seront en fait les plus élevées. Il n’est pas nécessaire de prévoir des pertes sur créances beaucoup plus importantes. Je ne peux pas dire que c’est vrai pour tout le monde. Je crois que, dans le cas de la Banque Scotia, elle nous a avertis qu’il pourrait y avoir d’autres pertes sur créances prévues. Mais pour ce qui est des autres banques, je ne crois pas qu’il y aura beaucoup de pertes sur créances prévues élevées.
Mais nous devons nous préparer à ce que, à un moment donné, ces reports de paiement prennent fin, ces congés de paiement qui nous sont accordés. Peut-être au cours des trois à six prochains mois. À ce moment-là, j’imagine que la plupart des emprunteurs recommenceront à faire leurs paiements, mais certains d’entre eux auront perdu leur emploi et seront incapables de le faire. À ce moment-là, nous verrons ce qu’on appelle les pertes sur créances douteuses, les pertes sur créances réelles. À ce moment-là, je m’attends à ce que les pertes sur créances douteuses soient très importantes, mais comme les banques ont prévu des pertes sur créances très importantes ce trimestre-ci, elles seront en mesure de les compenser dans une certaine mesure.
Mario, peut-être pourriez-vous nous expliquer... on dirait que beaucoup des reports dont vous parlez concernent davantage les services de détail et les services bancaires personnels. Alors, qu’en est-il du côté commercial et des services bancaires d’investissement? Où voyez-vous les signaux d’alerte?
Du point de vue des reports, la grande majorité concerne les prêts personnels. On pense aux prêts hypothécaires, aux cartes de crédit, aux prêts personnels et aux prêts auto. Nous avons vu des reports de paiement du côté des services commerciaux et de gros, probablement plus du côté commercial que de gros, mais je pense que la majorité des défauts de paiement et des problèmes qui vont découler des reports de paiement seront du côté des prêts personnels.
Pour ce qui est des marchés financiers, on ne voit pas trop de reports de paiement, car ils sont en fait très solides ce trimestre-ci. On a vu de très solides revenus tirés des activités de négociation pour la plupart des banques, car les écarts entre les cours acheteur et vendeur se sont élargis et l’activité a été vigoureuse. Je pense que l’un des aspects qui pourraient être très positifs du point de vue des marchés financiers, ce sont les importantes émissions de titres de créance et d’actions, alors que les gouvernements et les entreprises vont se recapitaliser après cette pandémie. Il y a donc un bel avenir pour bon nombre de nos banques du côté des marchés financiers, du moins je l’espère.
Permettez-moi de vous demander... si on regarde les émissions d’actions, ce sont de bonnes nouvelles pour les marchés financiers. Qu’en est-il des banques? Vous attendez-vous à voir quelque chose de particulier?
Oui, c’est important. Le crédit et le capital sont les principaux problèmes. Passons maintenant au capital, car c’est précisément ce à quoi nous devons penser en ce moment. Vous savez, les banques canadiennes ont déclaré des niveaux de capitaux très solides ce trimestre-ci. Nous avons vu leurs ratios de capitaux diminuer quelque peu, peut-être 70 points de base à l’extérieur, et dans certains cas, il n’y a eu pratiquement aucune baisse. On ne devrait toutefois pas présumer que, parce que les capitaux semblaient si solides ce trimestre-ci, qu’il va toujours en être ainsi. Je crois qu’il y aura des périodes tout au long de 2020 et 2021 où nous verrons des baisses plus importantes de leurs ratios de crédit, pardon, de capital. Et c’est logique, car, à mesure que ces prêts vont se détériorer, nous verrons ce que le marché appelle l’inflation des APR. L’inflation des actifs pondérés en fonction des risques.
La détérioration entraînera donc une baisse des ratios de capital. Ce que je peux vous dire en toute confiance, et ce qui a soutenu la révision à la hausse du 20 mars, c’est que les ratios de capital ne devraient pas diminuer au point où les banques auraient besoin d’actions ordinaires. Et je pense vraiment que le ratio de capital minimal est d’environ 9 % à l’heure actuelle, et la plupart de nos banques sont... le ratio le plus faible parmi les six grandes banques est à 10,9 %. Et c’est la Banque Scotia. C’est un ratio de capital très très élevé. Je ne vois vraiment pas de scénario, du moins pour l’instant, où nos banques seraient obligées d’accroître leur capital ou de réduire leurs dividendes. Je pense que les deux sont très sûrs.
Je veux parler des dividendes, mais quand vous dites que... et je vais vous demander de vous faire l’avocat du diable sur cette question de capital : qu’est-ce qui vous ferait changer d’avis à cet égard?
Oui, ce n’est pas tant la gravité, mais plutôt la durée du repli. Envisageons un scénario où nous sommes à l’automne et qu’il y a une deuxième vague de la pandémie. Et la société accepte collectivement encore une fois de cesser toute activité, ce qui pèse encore davantage sur l’économie et repousse encore plus loin la reprise. C’est le scénario qui me ferait peur et qui me ferait remettre en question ma thèse.
Il ne s’agit pas d’une déclaration politique, mais je crois que si, en fait, il y a une deuxième vague, je ne vois pas comment la société pourrait à nouveau cesser ses activités et nuire davantage à l’économie. Je suis plutôt d’avis que ce sera une période douloureuse, que les ratios de capital vont se détériorer, mais qu’ils vont rester bien au-dessus des 9 %.
Je vois. Laissez-moi vous demander, alors, pour ce qui est des dividendes, je veux dire, vous en avez parlé, mais donnez-moi un peu plus de détails. Vous n’avez pas l’impression que les dividendes sont relativement garantis par les banques, la plupart des banques?
La seule qui me préoccupait un peu, c’est la Banque Laurentienne. Et elle a réduit ses dividendes de 40 % ce matin. Les actions réagissent à ça. Je ne vois vraiment pas comment les grandes banques canadiennes pourraient réduire leurs dividendes. En partie, elles ont opté pour des ratios de distribution d’environ 45 % seulement. Et ce que j’ai appris ce trimestre-ci, c’est que les revenus nets avant provisions et avant impôts sont incroyablement solides pour ce groupe. Et ce sont vraiment vos revenus nets avant provisions et avant impôts qui fournissent la base de votre capital et de vos dividendes. Donc, encore une fois, du point de vue de la rentabilité et du capital, il me semble très peu probable que nos banques réduisent leurs dividendes.
Nous sommes deux banques à... La TD a actuellement un RRD, un régime de réinvestissement des dividendes avec un escompte de 2 %. La BMO a aussi un RRD. Je ne serais pas surpris si les autres banques mettaient en place des régimes de réinvestissement des dividendes. Ce serait une mesure prudente à prendre au fil du temps. Mais demander une réduction des dividendes? Très improbable.
Mario, je pense que l’une des choses les plus fascinantes qui se sont produites, et je veux simplement dire, vous savez, beaucoup de gens vivent des difficultés incroyables. Je veux dire, des gens ont perdu des êtres chers malades, leur entreprise ne fonctionne pas. Je ne veux pas paraître optimiste à ce sujet. C’est très difficile.
Mais une chose qui s’est produite, c’est l’adoption rapide du numérique, tant du côté des banques, du point de vue de leurs activités, que du côté des consommateurs, du point de vue de la vitesse à laquelle ils peuvent faire certaines choses. Donc, si vous regardez le modèle d’exploitation actuel et le modèle d’exploitation des banques, disons en 2021 ou 2022, est-ce qu’il va changer? Est-ce que l’importance qu’on y accorde va être différente? Ce à quoi elles consacrent leurs ressources et les secteurs où elles espèrent faire de l’argent, est-ce que tout ça va changer?
C’est très important, car on se dirige vers une période où les taux d’intérêt vont rester très bas pendant longtemps. Cela pourrait mettre à rude épreuve la capacité des banques à produire des bénéfices, ce qui nous amène immédiatement à réfléchir un peu aux dépenses. Et le passage au numérique est étroitement lié aux dépenses. J’ai entendu plusieurs dirigeants de banques et de compagnies d’assurance dire que la COVID-19 a poussé les gens vers les services bancaires en ligne et les assurances en ligne, mais qu’en temps normal, ça aurait pris des années pour arriver où nous en sommes maintenant, mais ça s’est produit brutalement grâce à la COVID-19.
Je crois que cela accélère vraiment les tendances qui étaient déjà en place. La tendance est à un nombre restreint de succursales, et à des succursales plus petites. Je crois que cette pandémie ne fera qu’accélérer les choses. Il y aura encore moins de succursales, de plus petites succursales, on verra la distribution en ligne, le paiement de factures en ligne, ce qui est en quelque sorte le prix d’entrée. Chaque banque doit avoir une bonne présence en ligne.
Mais je crois que le consommateur va adopter ces nouveautés-là beaucoup plus rapidement. C’est pertinent pour moi, car les banques devront trouver des moyens de réduire leurs dépenses dans un contexte de croissance très lente. Je soupçonne fortement que nous allons sortir de cette pandémie avec de solides ratios de capital, des dividendes intacts, mais que nous allons devoir tout de même composer avec les répercussions à long terme sur les bénéfices. Et je crois que la réduction des dépenses et le passage au numérique vont jouer un certain rôle là-dedans.
Mario, c’est toujours un plaisir de vous recevoir. Merci beaucoup pour vos commentaires.
Merci.
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