Les grandes banques canadiennes ont déclaré de solides bénéfices au troisième trimestre, la plupart dépassant les estimations. Mario Mendonca, directeur général de TD Cowen, discute des résultats, des défis potentiels et des raisons pour lesquelles il renouvelle son optimisme à l’égard du groupe avec Kim Parlee de MoneyTalk.
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[LOGO SONORE] * Les résultats sont tombés. Les grandes banques canadiennes ont publié leurs bénéfices trimestriels et la plupart dépassent les prévisions. Mon invité a des perspectives positives à l’égard des banques canadiennes, mais il note qu’elles font moins bien que les compagnies d’assurance vie canadiennes et que les banques américaines. * Mario Mendonca est directeur général à TD Cowen. C’est notre invité aujourd’hui. Mario, ravie de vous voir. * Ravi de vous voir. * Commençons par un aperçu du groupe pour le trimestre. Qu’est-ce qui en ressort surtout, selon vous? * Au début du trimestre ou même début 2024, certains pensaient, moi y compris, que les banques allaient continuer sur la voie de résultats décevants, comme les années précédentes, et que cette contre-performance prendrait la forme d’une croissance plus faible des bénéfices avant impôts et provisions et d’une accélération des pertes, non pas dans les services d’affaires et commerciaux, mais plutôt dans le crédit à la consommation non garanti, comme les cartes de crédit, les prêts auto, etc. * Dans l’ensemble, c’est ce qui s’est produit. Les banques ont inscrit des rendements inférieurs par rapport à l’assurance vie et aux banques régionales et des grandes places financières américaines. Elles ont fait moins bien que l’indice TSX sur, je dirais... trois des quatre dernières années. C’est donc une longue période de rendements en berne. * Ce qui ressort ce trimestre, c’est qu’en effet, la plupart des banques, cinq sur six, ont dépassé leurs prévisions. BMO est la seule exception. Je ne devrais pas dire « dépasser ». Elles ont dépassé ou atteint les estimations. Seule BMO est fortement à la traîne. * Ce qui est très intéressant ce trimestre, outre la hausse des bénéfices avant impôt et provisions, c’est qu’elles affichent toutes un ratio de fonds propres supérieur à 13 %. Et surtout, on a de meilleures indications de la résilience du crédit à la consommation non garanti, c’est-à-dire les cartes de crédit, les prêts auto, les lignes de crédit. * C’est donc un trimestre positif à bien des égards, ce qui m’amène à penser que cette longue période de contre-performance touche probablement à sa fin. Je ne m’attends pas à revoir les piètres résultats des dernières années. * Intéressant. Un autre point intéressant que vous soulignez dans votre rapport, c’est le rendement du groupe. Vous dites qu’il n’est plus pertinent de parler du rendement du groupe en raison des disparités entre les banques. Pourriez-vous élaborer un peu sur ce point? * Oui. Je surveille l’évolution des banques depuis de nombreuses années. C’est très rare qu’une banque, trois dans ce cas, affiche une hausse de 22 % à 23 %. Je parle de la Banque Nationale, Banque Royale et CIBC. D’autres banques ont fortement reculé. BMO a reculé de 14 % ou 15 %. * L’écart de rendement est si important que le rendement moyen n’est plus représentatif. Pour expliquer la disparité des rendements entre les banques qui affichent de fortes hausses de 22 %, 23 % et celles qui n’ont pas bien performé, abstraction faite des difficultés propres à certaines de ces banques, le plus grand facteur de différenciation entre les banques qui ont bien performé et les autres se situe au niveau du RCP, le rendement des capitaux propres. * Chez les banques qui se portent bien, le RCP a grimpé de 100 à 200 points de base sur 12 mois. Chez celles qui ont des résultats médiocres, le RCP a chuté de 100 à 200 points de base. Ce point mérite vraiment qu’on s’y intéresse de plus près. * On doit se demander pourquoi dans certaines banques, le RCP grimpe, alors qu’il chute fortement dans d’autres. Je pense qu’on doit tous réfléchir à cette question. * Oui, j’aimerais qu’on approfondisse. Je vais peut-être garder cette question pour la fin, parce que c’est important. Passons en revue les résultats individuels des banques. Je vais suivre le même ordre que vous. Vous avez abaissé BMO à une pondération neutre le 27 août. Bien sûr, c’est BMO qui a attiré l’attention ce trimestre. * Oui. BMO a déclaré des bénéfices très inférieurs aux prévisions trois trimestres de suite. Au premier trimestre 2024, c’était plutôt à cause des revenus et des charges. Ces deux derniers trimestres, c’était à cause des pertes sur créances. Ses pertes sur créances sont nettement plus élevées que celles de ses pairs. * On ne peut pas en faire abstraction. Dans le cycle de crédit actuel, si on peut dire, BMO se démarque nettement des autres banques. On ne peut pas édulcorer la réalité. Je pensais que ce trimestre marquerait un tournant pour BMO, qu’après un trimestre de pertes sur créances élevées, elle annoncerait des pertes plus modérées pour la suite. * En fait, c’est tout le contraire. BMO prévoit des pertes sur créances encore plus élevées, pendant peut-être encore six ou neuf mois. Pour moi, il est très clair que BMO – BMO est sortie des clous entre 2020 et 2022 concernant ses pratiques de prêt. Peut-être que ses limites de retenue étaient trop élevées. Normalement, les banques consentent des prêts importants et ont recours à la syndication. * Le montant de retenue était trop élevé. Ou elle a peut-être prêté dans des secteurs où elle n’aurait pas dû le faire. En fait, BMO se démarque clairement du point de vue du crédit. Tant qu’il n’y aura pas de stabilisation sur ce plan pour arriver au niveau de ses pairs, BMO va sans doute se classer en bas du groupe. * Passons à la suivante, la Scotia. Vous avez une position neutre. * Oui. La Scotia fait partie des banques pour lesquelles j’ai une perspective baissière depuis quelque temps. Je ne préconise pas de vendre. C’est simplement une position neutre. C’est une cote. Mais c’est l’une des banques pour lesquelles je suis le moins optimiste, parce que la Scotia a opéré énormément de changements, comme réduire les prêts hypothécaires, se concentrer sur la croissance des dépôts. * Elle n’affiche aucune croissance au bilan. Jusqu’à récemment, elle a dû composer avec des capitaux limités. Elle doit abandonner certaines activités en Amérique latine. Pour la Scotia, je préfère attendre de voir comment la banque va s’adapter à tous ces changements avant de me prononcer. * Attendons de voir comment elle s’en sort. Je ne dis pas ça de façon négative, mais attendons les résultats de l’an prochain, le temps qu’elle opère ces changements. Je reverrai ma décision à ce moment-là. Mais j’aimerais souligner une chose à propos de la Scotia. Après plusieurs trimestres d’absence de croissance du bilan, elle affiche une petite croissance du bilan ce trimestre. * La croissance des prêts hypothécaires et des activités internationales est en hausse. Je pense qu’il est peut-être trop tôt pour parler de point d’inflexion, mais il est évident que la Scotia renoue avec la croissance du bilan. * Intéressant. La CIBC – Vous êtes passé d’une position de conservation à une position d’achat après la publication des résultats du premier trimestre. Qu’observez-vous ce trimestre? * Il y a quelque temps, il y a neuf mois, j’ai hissé l’action la CIBC en haut de nos premiers choix. Le titre s’est extrêmement bien comporté, notamment parce que la banque est depuis longtemps sous-évaluée par rapport à ses pairs. Son titre était sous-évalué par rapport à celui de Scotia, ou à un niveau comparable. * Il était sous-évalué par rapport à celui de la Banque de Montréal. C’est l’une de ces banques dont le rendement sous-jacent était nettement supérieur à ce que la valorisation laissait supposer. On a observé une croissance des bénéfices avant impôts et provisions. Son ratio de crédit était un peu élevé après des pertes dans l’immobilier commercial américain, mais il s’est modéré depuis. Son ratio de fonds propres est supérieur à 13 %. * Quand vous avez un rendement aussi solide couplé à une sous-évaluation, il est logique de revaloriser le titre, comme je l’ai fait il y a neuf mois. Le plus marquant ce trimestre, c’est qu’en plus d’afficher encore de solides rendements, la CIBC a annoncé une offre publique de rachat dans le cours normal des activités. Elle rachète environ 2 % de ses actions. * Je pense que le marché voit ce rachat d’un bon œil, car beaucoup d’investisseurs perdent patience face aux banques qui dépensent beaucoup dans des opérations aux États-Unis. Quand la CIBC dit qu’elle va consacrer ce capital supplémentaire au rachat d’actions, ce qui contraste avec la décision de la Scotia d’acheter une participation dans KeyCorp, le marché apprécie vraiment. Je pense que ça explique la solidité de la CIBC. * Intéressant. Et pour la Banque Nationale? Vous recommandez de conserver le titre, mais vous soulignez quelques motifs d’inquiétudes. * La Banque Nationale m’a vraiment beaucoup surpris. Compte tenu de la composition de ses activités, avec plus de 10 % des bénéfices provenant du Cambodge et de l’immobilier commercial cambodgien, de ses activités fortement axées sur les marchés de capitaux, je suis surpris que le titre se porte aussi bien. * Mais il faut être beau joueur. Elle a gagné son pari sur le Cambodge. Le pays a des marges très élevées, une forte croissance des prêts sans grosses pertes sur créances, et un ratio d’efficience très faible. C’est donc une banque très efficace. Elle a obtenu de bons résultats. Avec la RBC, elle affiche le RPC le plus élevé du groupe. * Je ne miserais pas sur l’action de la Banque Nationale en ce moment. L’évaluation est très élevée. Elle s’approche la valorisation de la RBC et je n’aime toujours pas la composition de ses activités. * La raison pour laquelle je suis prudent à l’égard de la Banque Nationale, c’est parce que son pari au Cambodge a porté fruit jusqu’à présent. Le problème, c’est que les prêts douteux bruts sont en très forte hausse au Cambodge depuis plus d’un an. La banque n’a pas inscrit de charges importantes pour couvrir ce risque. * Mais lorsque les prêts douteux bruts augmentent si sensiblement, j’y vois le signe avant-coureur d’une détérioration au Cambodge. Ce n’est pas le point de vue du marché, ni de la Banque Nationale. Je ne parierais pas sur la Banque Nationale en ce moment, certainement pas dans un contexte de hausse des prêts douteux bruts. * J’aimerais rebondir sur le thème du RPC et enchaîner avec la Banque Royale. Pour vous, la RBC est en bonne posture. Vous soulignez ses activités sur les marchés des capitaux, la surpondération de l’action, ceci aidant cela. Parlez-nous un peu plus de ce que vous observez pour la RBC. Je crois que vous avez une position acheteur. * Si la Banque Royale caracole parmi les banques en tête du groupe, c’est à cause de ses choix de répartition de capital. Il y a eu l’opération qu’elle a réalisée aux États-Unis. Elle a investi 5,4 milliards de dollars dans City National il y a quelques années. Au Canada, elle a surtout investi dans HSBC et cette opération s’est avérée extrêmement fructueuse. * Elle a procédé à ce qu’on appelle une fermeture et conversion. Les systèmes ont été convertis pratiquement le jour où l’opération a été conclue. Elle bénéficie d’un très bon levier d’exploitation depuis cette opération. Mais la Banque Royale a bien d’autres atouts que l’achat de la HSBC. * Elle s’illustre sur les marchés de capitaux et en gestion de patrimoine, elle a un levier d’exploitation positif, elle rachète des actions. On ne peut rien reprocher à la Banque Royale en ce moment. Sauf peut-être qu’elle récolte les fruits de son succès. * Elle affiche la plus forte évaluation du groupe, et de relativement loin. C’est là que la question se complique. Est-ce qu’on veut allouer encore plus de capital à la Banque Royale, compte tenu de son évaluation? Pour l’instant, je réponds par l’affirmative. Je pense qu’elle va continuer à faire mieux que le groupe et je recommande l’achat. * Pour terminer, j’aimerais poser une question double. Je voulais revenir sur le RCP parce que selon vous, c’est ce qu’il va falloir surveiller. Qu’est-ce qui va changer à cet égard pour certaines banques? Quels autres points méritent notre vigilance? * BMO est au bas de l’échelle, avec le plus faible ratio de RPC et RPC du groupe, bien en dessous de la Banque Nationale et de la RBC. Je me pose donc la question suivante. Que faudra-t-il pour que le RCP de BMO remonte à... disons 14 %? À long terme, elle vise 15 %, ou plutôt à moyen terme, elle vise 15 %. * Comment peut-elle y arriver? Il va par exemple falloir améliorer le ratio d’efficience, réduire les pertes sur créances et accroître les activités à faible intensité de capital. BMO se dirige vers un RCP plus élevé. * Le marché finira par en faire les frais. La question est de savoir si on veut acheter l’action alors que la Banque va traverser une période de pertes sur créances élevées pendant six à neuf mois, voire plus. Pour moi, la réponse est non. * Mais le temps viendra où on pourra faire confiance à BMO en matière de crédit. À ce moment-là, ce sera peut-être l’action à détenir, car elle offre le plus grand potentiel d’amélioration du RCP. C’est d’ailleurs une thèse à long terme sur laquelle je travaille, à savoir acheter les titres des banques qui peuvent le plus améliorer leur RCP. * BMO en fait partie. La Scotia aussi. Mais ce n’est pas le bon moment, et c’est ce que j’exprime dans mes cotes. * Mario, c’est toujours un plaisir. Merci beaucoup. * Merci. [LOGO SONORE] [MUSIQUE]