
Cette année passera à l’histoire comme celle où la pandémie de COVID-19 a causé une catastrophe pour l’humanité et l’économie mondiale. Si jamais une année exigeait qu’on s’arrête à mi-chemin pour réfléchir, c’est bien 2020. Kim Parlee discute avec Brad Simpson, stratège en chef, Gestion de patrimoine TD.
Brad, c’est toujours un plaisir de discuter avec vous. Je m’ennuie de le faire en personne, mais cet entretien va faire l’affaire pour le moment. J’aimerais vous demander… Vous avez préparé quelques graphiques sur les données que vous surveillez en ce moment; le premier montre les nouveaux cas de COVID-19. Vous pourriez peut-être nous expliquer pourquoi vous surveillez ça de si près?
Bien sûr. Et merci de m’avoir invité. Eh bien, si je reviens sur votre présentation... On est en effet au beau milieu d’une pandémie. Au bout du compte, presque toutes les questions financières reposent sur la création d’un vaccin, et le moment où il sera disponible. D’ici là, on observe avec fascination la propagation de ce virus en se demandant les répercussions qu’il aura. Et chaque fois que vous pensez l’avoir déterminé, en tant qu’expert du milieu financier... Je crois qu’on est nombreux à apprendre au fur et à mesure... Enfin, je crois qu’on observe actuellement une tendance plutôt inquiétante.
Si on regarde ce qui se passe à l’échelle mondiale... Et je pense qu’il y a quelques façons très rapides de considérer ça. Tout d’abord, on peut voir que les cas sont vraiment en hausse aux États-Unis, mais on voit aussi d’autres marchés émerger, comme le Brésil. Et à cause de ça... Quand tu regardes les pays qui présentent plutôt une courbe droite, dans le bas, et l’Europe, on voit que cette dernière a vraiment renversé la vapeur.
Si on tient compte des pays qui ont redressé leur situation et des conversations qu’on a eues dans le passé, on se dit que, bon sang, ces Européens... Et, du point de point des placements, il est intéressant de prendre les données d’un mois, de les comparer à l’indice S&P 500, d’examiner les mesures prises dans le monde – Et de constater que le rendement de l’Europe est en fait supérieur. Je pense que ça découle en partie de l’expectative que ce que l’Europe fait concernant la pandémie sera éventuellement très payant.
Donc, A) il y a l’aspect humain qui, quand on regarde ces graphiques, ça semble conservateur, mais il y a un signal d’alerte. En tant qu’investisseur, tu peux y apprendre certaines choses, analyser ces tendances et te dire que, quand tu vois un mouvement plus positif sur ce graphique, tu verras probablement la même chose se produire sur les marchés boursiers ou les marchés des titres à revenu fixe de différentes régions.
Ce qui est fascinant dans tout ça, c’est de voir les cas de COVID-19 progresser et, à droite, de voir les marchés, comme le NASDAQ, par exemple, progresser en même temps... Je ne me serais pas attendue à ça, mais, d’un autre côté, si on tient compte de toutes ces liquidités sur le marché. Voici un autre graphique; il présente les cotes des régimes de risque des marchés. Pourriez-vous simplement nous expliquer ce dont il s’agit?
Bien sûr. Bien sûr. C’est un outil qu’on a conçu au début d’avril. On savait que ce serait long, qu’il fallait trouver une manière de pouvoir évaluer la situation et de pondérer tout ça, examiner la santé de l’économie et les interactions entre les différents marchés. C’est ce qu’on a fait.
La ligne orange foncé montre le régime de risque. Ce à quoi ça pourrait ressembler. Comme vous pouvez le voir, ça chute. Ça correspond d’une certaine façon au risque dans l’ensemble de l’économie mondiale. Et franchement, si on cherche une situation similaire dans le passé, ça ressemble beaucoup à l’économie mondiale en 1929, au début des années 30, ce que personne ne veut entendre, n’est-ce pas?
Il y a une importante leçon à tirer de ça... La ligne noire représente le risque actuel et la façon dont l’économie tourne, après la mise en place des politiques monétaires et budgétaires qui comprennent des mesures vraiment radicales. Je ne crois pas apprendre quoi que ce soit à personne, ici. Mais si on regarde cette ligne grise et l’indice S&P 500, en vert, on peut voir qu’ils suivent la même tendance.
Et ce qui s’est produit, c’est qu’on a vraiment vu les lignes orange commencer à s’améliorer, sans qu’on ne fasse rien. La situation s’améliore d’elle-même. Mais on devrait être dans une crise vraiment importante. Mais comme on intervient beaucoup, que les gouvernements et les politiques monétaires interagissent entre eux et qu’on applique ce qu’on a appris en tant que société au cours des 100 dernières années. Depuis la Grande Dépression, on a appris et on s’est adapté... Donc on a pris toutes ces mesures et celles-ci ont de réels effets positifs. Et c’est exactement les résultats qu’on observe. Alors, croyez-le ou non, mais, avec tout ça, on est revenu au régime de risque qu’on avait en janvier, au début de l’année.
C’est fascinant. Et vous avez raison – Je veux dire, quand on regarde le graphique suivant, qui montre les cotes des régimes de risque des marchés par catégorie... On retrouve au sommet la croissance économique, l’inflation et l’emploi, mais ensuite les politiques monétaire et budgétaire, comme vous le disiez, font un peu « chambre à part » à la droite. Cela dit, il reste encore de nombreux éléments en rouge à l’écran. J’imagine qu’il reste à savoir si les effets nets de ces politiques vont réussir à contrebalancer ces autres éléments en rouge.
BRAD SIMPSON : Eh bien, je crois que oui, parce que ce qu’elles font, tout d’abord... vous pouvez constater qu’elles sont vigoureuses et qu’elles dominent. On peut aussi voir que la situation commence à se rétablir du côté des consommateurs, et que ça sera aussi bientôt le cas pour le marché de l’habitation. Je pense que les gens sont surpris. Le commerce commence à reprendre.
Lentement, mais il y a une reprise. C’est ce qui nous a amenés à améliorer notre cote à cet égard. Il reste tout de même des points sombres dans le haut du tableau. Ce qu’on veut réellement, c’est que tout ça entraîne une reprise de l’économie et contribue à faire progresser le PIB de nouveau. Le chômage s’est amélioré... Enfin... C’est toujours épouvantable, mais je fais souvent cette analogie où vous pouvez voir que... N’oubliez pas que, dans l’ensemble, le marché financier et notre économie actuels, on les a mis dans le coma. Volontairement. Et on est en train de les en ressortir.
Et, alors qu’on les sort du coma, c’est un peu notre outil de mesure. On se dit, OK, regardons ces statistiques. Quand on le fait, on peut voir les statistiques positives, tout comme celles qui commencent à se rétablir. On doit maintenant voir l’économie vraiment reprendre et les chiffres sur l’emploi s’améliorer. Quand ça va se produire, on va savoir que la reprise est réelle. Et c’est ça la grande question en ce moment.
On va encore parler un peu de ce que vous surveillez, mais il y a une chose fort intéressante quand on regarde le prochain graphique. Il nous montre le rendement des marchés boursiers, pas seulement en Amérique du Nord, mais partout dans le monde. Et on peut voir certains marchés se distinguer en Chine. Je pense que, quand on passe en mode survie, on devient un peu myope... On s’attarde un peu plus sur notre propre monde, nos propres affaires. Mais les marchés boursiers internationaux sont très frivoles en ce moment.
BRAD SIMPSON : D’abord et avant tout, la pandémie de COVID-19 a commencé en Chine. Les premières mesures ont donc été prises là. Ce que ça donne, c’est qu’ils sont en avance sur nous, au chapitre des mesures mises en place pour faire face au virus. Si on se met à observer le secteur manufacturier de la Chine, et celui des services, on peut voir que les activités reprennent. Le chiffre magique qu’on cherche dans nombre des facteurs qu’on regarde – les indices PMIs et ISM – est 50. On a des chiffres réels, ici – qui sont assez difficiles à obtenir – qui passent du côté positif, ce qu’on voit aussi sur les marchés boursiers.
Brad, vous avez dressé une liste des principaux éléments que vous voulez surveiller concernant la reprise de l’économie. J’aimerais qu’on les regarde ensemble. La première chose sur votre liste, ce sont les banques centrales. On sait tous que les marchés se portent aussi bien, en ce moment, notamment grâce à elles. Mais qu’est-ce que vous regardez tout particulièrement du côté des banques centrales?
Eh bien, premièrement, je pense qu’on va faire face à une sorte de précipice budgétaire. Ce qui ne relève pas tant de la banque centrale que du gouvernement américain. Je dirais que, pour commencer, une autre mesure devra être passée au cours des prochaines semaines, et je dirais que c’est ce qu’on surveille. Ensuite, il y a les banques centrales.
Elles ont dépensé ou promis de dépenser presque 7 billions de dollars. Et ce chiffre va continuer de grimper pour probablement atteindre, croyez-le ou non, 10 billions de dollars. On va donc surveiller tout indice qui donne à penser qu’elles vont ralentir le rythme, ce qu’on n’a pas vu jusqu’à présent.
Une autre tendance que vous surveillez touche plutôt la numérisation; il suffit de constater la hausse spectaculaire du NASDAQ. Que surveillez-vous de ce côté-là?
Eh bien, je pense à certaines évaluations qu’on observe actuellement et à certains mouvements. Je pense qu’on peut justifier ça par la présence de bénéfices. Ce sont des sociétés assez spectaculaires. Prenez, par exemple, notre entretien d’aujourd’hui... L’économie se numérise et la vitesse à laquelle ça s’est produit au cours des trois derniers mois est ahurissante.
Je pense que ce qu’on veut évaluer ou déterminer, c’est si les flux de capitaux vont se limiter ou pas à ces entreprises-là. Et si ça va commencer à porter fruit. Je ne crois pas qu’il s’agisse d’une discussion entre la valeur et ceci... Je veux dire, de façon générale, sur le reste du marché boursier, alors qu’on commence à mettre davantage l’accent sur les bénéfices actuels que futurs.
Vous abordez un troisième thème : selon vous, la valeur est une histoire du passé. Je vais afficher le graphique, mais dites-moi ce dont il s’agit et ce qui vous fait dire ça.
Eh bien, ce qu’on observe, selon moi, c’est qu’on passe de... Appelons ça la première et la deuxième phases de la correction qu’on a connue... Soit la correction brutale, qui a été suivie par le creux qu’on a atteint en avril. Après ça, ça n’a fait que grimper... Sans arrêt. Mais si on regarde le comportement des titres qui ont remonté, on aurait dit qu’ils suivaient un cycle (marché ou économie) qu’on voit normalement se produire sur une période de cinq ans.
On s’attendrait à ce que ça se produise, mais pas sur une période d’environ six semaines, ce qui montre que ce sont les perceptions qui comptent, et non ce qui se passe réellement. Donc, la valeur a augmenté au cours de ces quelques semaines en fonction de cette perception qui veut que l’économie va maintenant vraiment reprendre, que ça bouillonne. Et on va, en quelque sorte, dans cette direction où il y aurait une réelle croissance pendant cette période.
Puis, on a commencé à réaliser que, attendez une minute, on a une vraie économie. Il n’y a pas que les marchés boursiers. Que la reprise se fasse en forme de V ou de U... Que va-t-il se passer si la reprise prend beaucoup plus de temps, s’il est beaucoup plus difficile pour ces sociétés de faire de l’argent, et que, tout à coup, on se met à les voir tomber?
C’est donc un peu comme si la valeur était là, mais que, soudainement, elle n’y est plus. Et il est minuit moins une. Je pense que ça ne va pas s’arrêter là, parce que je pense que ça va rendre les choses vraiment difficile.
Je suppose que votre prochain thème, c’est-à-dire une mondialisation réduite, contribue à ça. Si on regarde juste les manchettes des derniers jours, on a vu que le Royaume-Uni va bannir Huawei de son marché. On peut observer que nombre de choix sont faits – qui ne sont pas vraiment propres au commerce, mais... Des barrières se dressent dans le secteur du commerce.
On se retrouve vraiment dans une situation où on fait la vie dure à la mondialisation, du moins dans nos discours. Et je pense que l’une des choses qu’il faut vraiment souligner, à l’approche de ce cycle électoral, aux États-Unis, c’est que, quand on examine les études sur le sujet, les républicains ne sont pas les seuls à manifester de l’hostilité à l’égard de la Chine. C’est aussi le cas du Parti démocrate. Et ça a augmenté au cours des dernières années.
Tout ce qui va se dire au cours de ce cycle électoral autour de cette idée de commerce avec la Chine, selon moi, sera énorme. Je pense qu’on va devoir faire la distinction entre tous ces propos et la réalité sous-jacente, et regarder un peu ça comme une tentative d’intimidation politique, si on veut. Mais il a des notions de commerce sous-jacentes qu’il faut comprendre.
Donc, d’un côté, on veut continuer d’évaluer ce qui se dit, et, de l’autre, regarder les chiffres réels sous-jacents et les mesures prises. Parce que je pense que l’écart entre les deux sera assez important.
Il y a quelques sujets supplémentaires que j’aimerais qu’on aborde, dans une minute. Que dites-vous de la divergence des rendements sur le marché des titres à revenu fixe?
Eh bien, on dit toujours de ne pas aller à l’encontre de la Fed au chapitre des actions. Je pense que, dans ce cas-ci, on va devoir se dire la même chose pour les titres à revenu fixe. Quand on examine les hausses sur le marché des titres à revenu fixe, ça touche autant des titres d’État, des titres de 1re qualité que des titres à rendement élevé. Tu veux vraiment englober toutes les catégories.
Vous remarquerez que les titres qui ont bougé de façon vraiment positive avec le resserrement des écarts de taux se retrouvent dans les secteurs où la Réserve fédérale a dit qu’elle serait active; quant aux autres, les marchés du crédit se sont dit, vous savez quoi? je vais patienter et attendre le redressement. Je me répète, ici, mais A) vous ne devriez pas faire le contraire de la Fed quand vous investissez dans des titres à revenu fixe. Investissez là où la Fed le fera. Et B) regardez les titres de ces autres secteurs pour voir comment ils évoluent. Ça va vous en dire beaucoup sur la santé de l’économie et des marchés financiers.
Dernier point. Il ne me reste que 20 secondes, Brad. Au chapitre des tendances immobilières – vous parlez de la reprise de la location. Et je pense que de nombreuses personnes sont plutôt obnubilées par cette question.
Oui, en conclusion, les trois derniers mois ont été incroyablement difficiles pour l’immobilier commercial. Mais quelques points ressortent. Premièrement, quand on regarde ça sur une base mensuelle – l’amélioration de la location et les entreprises qui paient leur loyer... Et c’est valable pour les immeubles destinés au commerce de détail – ça s’améliore de mois en mois.
Je pense qu’on veut suivre ça de près. Vous pouvez aussi tenter de déterminer où ça s’est vraiment amélioré et voir que c’est plus difficile dans le secteur de la vente au détail. Quand on regarde du côté des infrastructures et des produits industriels, de tout ce qui est axé sur les TI, on constate que la reprise du côté des sociétés de placement immobilier est vraiment bonne. On observe donc le même genre de tendances dans le secteur immobilier, publics et privés, qu’on observe, en fait, sur les marchés boursiers.
Comme toujours, Brad, vous avez apporté d’excellents points. Merci beaucoup de vous être joint à nous. On se reparle bientôt, j’espère.
Merci.
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