La pandémie de COVID-19 a mis à rude épreuve les entreprises, et il n’est pas étonnant qu’un grand nombre de propriétaires d’entreprise soient à la recherche d’une stratégie de sortie. Certains pourraient ainsi vendre leur entreprise ou laisser la nouvelle génération prendre la relève. Kim Parlee et Tom Deans, expert en patrimoine intergénérationnel et auteur du livre Every Family’s Business: 12 Common Sense Questions to Protect Your Wealth, discutent des raisons pour lesquelles chaque propriétaire d’entreprise devrait placer la planification en tête de sa liste de choses à faire.
Mais quelle est la bonne stratégie pour vous? Comment se prépare-t-on et à quoi faut-il penser? Ce sont des questions importantes sur lesquelles notre prochain invité se penche. Tom Deans est un expert en gestion de patrimoine intergénérationnel et l’auteur du livre Every Family’s Business - 12 Common Sense Questions to Protect your Wealth. Tom, c’est un plaisir de vous compter parmi nous. Commençons par une question très simple. Pourquoi est-il important pour les propriétaires d’entreprise d’avoir une telle stratégie?
Bonjour, Kim. Je suis heureux d’être là. Je pense qu’il est très opportun d’avoir cette conversation en ce moment parce que la première vague de baby-boomers va avoir 75 ans cette année, et ils sont très nombreux à être propriétaires d’une entreprise. Et, comme les propriétaires entrepreneurs l’ont toujours fait, ils réinvestissent les gains réalisés dans leur entreprise, et ce, depuis 30 ou 40 ans. Il y a plus de 1 T$ dans les bénéfices non distribués des PME du pays. Leurs propriétaires prennent de l’âge et adoptent la plus vieille stratégie au monde en monde en matière de planification de la relève, c’est-à-dire ne rien faire. Donc, ne rien faire, prendre une semi-retraite en laissant les enfants diriger l’entreprise et toucher un salaire jusqu’à la fin de leurs jours. Ça ne fonctionne pas.
Vous allez nous expliquer pourquoi ça ne fonctionne pas, et je vous le demande, car je sais que vous êtes familier avec le sujet non seulement en raison des gens avec qui vous parlez, mais aussi pour l’avoir vécu vous-même.
Oui, tout à fait. Je me suis joint à l’entreprise de fabrication de plastique que mon père a fondée en 1973. Je l’ai dirigée pendant huit ans à titre de chef de la direction. J’ai ensuite reçu une offre d’achat non sollicitée qu’on a acceptée. On a vendu l’entreprise le 8 février 2007, ce qui, si vous vous souvenez bien, était tout juste avant la grande récession.
J’ai donc travaillé pour les nouveaux propriétaires pendant six mois. J’aime à dire que j’ai purgé une peine de six mois pour un crime que je n’ai pas commis. C’était vraiment difficile, et c’est difficile. Je pense que c’est la raison pour laquelle de nombreux propriétaires ne vendent jamais leur entreprise familiale. Ils ont entendu trop d’histoires anecdotiques qui démontrent à quel point il est difficile, pour la prochaine génération, de travailler avec les nouveaux propriétaires. Voilà pourquoi beaucoup d’entreprises familiales ne sont jamais mises en vente.
Et le monde des fusions et des acquisitions, les courtiers d’affaires et les spécialistes des services de banque d’investissement négligent cet énorme marché parce qu’ils demeurent ancrés sur cette vieille idée que le succès d’une entreprise familiale ne se mesure pas en dollars et en cents, mais en années, en longévité et en générations. Ça détruit les relations familiales et le patrimoine familial à un rythme record. Il est vraiment temps d’adopter une nouvelle approche.
Je veux qu’on parle des approches, mais j’aimerais d’abord approfondir la question parce que vous disiez plus tôt que les gens ne font souvent rien et attendent que les choses se règlent d’elles-mêmes ou que leurs enfants le fassent. Alors, dites-moi quels problèmes ça occasionne d’attendre de la sorte?
Eh bien, le problème découle du fait que les enfants ne travaillent pas tous pour l’entreprise familiale. Souvent, un des enfants le fait, mais pas l’autre ou les autres. Et comme la majeure partie du patrimoine familial se trouve dans l’entreprise, ceux qui n’y sont pas pensent que le frère ou la sœur qui s’y trouve va s’approprier tout l’argent. Dès le départ, quand il n’y a pas de communication entourant le plan de relève ou de transition, les familles sombrent fréquemment sous le poids du stress dû à ce manque de communication.
Donc, le principal message, c’est que tous les membres de la famille doivent assister aux rencontres avec les conseillers et échanger longuement et en toute transparence pour trouver la solution qui convient le mieux à la famille, et mettre celle-ci en œuvre.
Parlons un peu de la façon d’avoir ces conversations. J’ai cru comprendre en vous lisant qu’il faut parler avec les enfants pour voir s’ils sont intéressés à prendre la relève, et que c’est difficile à faire. Je ne peux pas m’imaginer comment on se sent, après avoir personnellement investi temps et argent, de voir ses enfants ne manifester aucun intérêt à poursuivre l’œuvre amorcée... À s’investir. Je suppose qu’ils doivent apprécier l’entreprise s’ils prévoient en reprendre les rênes.
Non, vous avez entièrement raison. La réalité, c’est que plusieurs membres de la génération suivante travaillent pour l’entreprise familiale uniquement par sens du devoir ou obligation, et personne ne leur demande s’ils sont prêts ou non à risquer leur capital pour devenir actionnaire.
Et en raison du manque de communication, les enfants sont un peu dans le néant. C’est un incitatif économique qu’on fait miroiter à la prochaine génération, Et ce n’est pas vraiment fait de façon consciente. C’est plutôt parce qu’on ne sait pas comment avoir ces conversations.
Contrairement aux projets pour bricoleurs, comme la construction d’une clôture dans la cour, il n’est pas conseiller de voir seul au plan de la relève d’une entreprise. Il y a tellement d’aspects à gérer. Il y a les questions fiscales, les considérations juridiques et d’importants problèmes émotionnels, surtout pour les fondateurs qui doivent se retirer. C’est tellement complexe. Vous savez, toutes ces raisons pour lesquelles les propriétaires d’entreprise reportent la question à plus tard et qui métaphoriquement - enfin... pas de façon si métaphorique que ça - meurent à leur bureau, en laissant derrière eux toutes sortes de problèmes, comme le paiement de de l’impôt sur les gains en capital sans assurance vie et sans liquidités.
Oui, on a parlé, lors d’épisodes précédents, d’enfants qui héritaient d’une montagne de problèmes et ce, honnêtement, seulement parce qu’il n’y avait pas eu de planification successorale.
OK, on peut parler de l’impôt, de la succession et de la planification des affaires, mais je veux d’abord parler des conversations. Par où commencer? Comment ouvrir les lignes de communication...
Et avoir cette conversation avec les enfants?
Les familles ont de la difficulté avec ça. Je pense que l’une des meilleures techniques consiste à tenir une réunion de famille où l’actionnaire majoritaire et son conjoint - papa et maman, si on veut - offrent aux enfants de leur faire un don de leur vivant. Et le montant n’est pas pertinent. Ça peut être 1 000 $, 10 000 $, 100 000 $, 1 M$ ou 10 M$. Le montant n’importe vraiment pas.
Mais attendez la suite. Donc, papa et maman convoquent une réunion de famille, à laquelle assiste leur conseiller, et ils font un don de leur vivant à leurs enfants en leur disant ceci : Vous pouvez prendre cet argent et en faire ce que vous voulez... Ou l’utiliser pour acheter notre entreprise qui est à vendre. Aimeriez-vous échanger l’argent qu’on vient de vous donner contre quelques actions avec droit de vote?
Suivre la trace de l’argent, Kim, ça ne ment jamais. Les enfants qui sont poussés à travailler dans les entreprises familiales ou qui aiment leur travail, mais ne veulent pas être propriétaires... Qui ne sont pas prêts à risquer leur capital ou leur héritage, si vous voulez, pour détenir cette entreprise ne vont pas échanger l’argent contre des actions. Cette petite technique donnera au propriétaire de l’entreprise le premier indice de la présence ou non d’un acheteur au sein de la famille.
Et devinez quoi? Roulements de tambour : La plupart du temps, il n’y en a pas.
[RIRES] J’ai une dernière question pour vous, Tom. Encore une fois, on ne fait qu’effleurer le sujet, mais c’est une chose, je dirais, que d’avoir cette conversation émotionnelle. Je vous ai aussi entendu dire qu’il fallait s’assurer de le faire en présence de conseillers, de planificateurs ou de personnes dont c’est le boulot de faire ça, car c’est complexe.
Oui, c’est complexe. Et l’un des grands avantages de tenir une réunion familiale, c’est que tout le monde entend le même message en même temps. Donc les enfants à l’extérieur de l’entreprise familiale verraient leur frère ou sœur risquer son capital pour acheter l’entreprise à sa pleine valeur marchande, sans décote, sans rabais « familial ». Enfin, c’était comme ça chez nous. On a toujours dû payer la valeur marchande établie par l’évaluation d’un tiers.
C’est essentiel, car les enfants à l’extérieur de l’entreprise voient qu’il n’y a pas de raccourci, que leur frère ou leur sœur obtient vraiment l’entreprise de la bonne vieille façon : en prenant des risques. C’est ce qui fait que les fondateurs... sont des gens incroyables. Il n’y a rien de plus insensé que de quitter un emploi sûr, d’utiliser son épargne, l’argent de la famille et de s’endetter pour bâtir quelque chose qui n’existe pas sans promesse de réussite. C’est insensé, et pourtant, c’est ce que font les fondateurs.
Et avec le temps, ils réussissent, et que font-ils ensuite? Ils demandent à leurs enfants de sauter toute cette première partie, celle où il faut tout risquer, où tu as ce nœud dans l’estomac et où tu n’arrives pas à dormir parce que tu ne sais pas si tu arriveras à te verser une paie. C’est ça qui rend les propriétaires d’entreprise vraiment remarquables, et c’est ce qu’on doit faire vivre à nos enfants.
C’est le principe du « qui aime bien, châtie bien ». C’est un message difficile à véhiculer. Quand je donne des conférences, c’est un message très difficile à transmettre. Mais je peux vous dire qu’ils sont reconnaissants. Ils sont très heureux de répondre à la question à laquelle les gens arrivent difficilement à répondre. Mes enfants sont-ils suffisamment intéressés par l’entreprise pour prendre des risques?
Tom, ce fut un plaisir! Merci beaucoup pour votre présence aujourd’hui.
Kim, merci de m’avoir accueilli. C’était amusant.
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