Le prix du pétrole brut est soumis à de fortes pressions depuis quelque temps. Les marchés s’inquiètent de plusieurs facteurs potentiellement défavorables, notamment le ralentissement de la croissance économique, la baisse des taux d’intérêt et la faiblesse de la demande chinoise. Hussein Allidina, directeur général et chef, Produits de base, Gestion de Placements TD, discute avec Kim Parlee de MoneyTalk des raisons pour lesquelles d’autres baisses de prix sont probables.
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* Si vous avez fait le plein récemment, vous avez sans doute remarqué que le prix de l’essence a fortement baissé depuis le milieu de l’été. Et c’est parce que les prix du pétrole ont chuté d’environ 15 % depuis début juillet. Alors, qu’est-ce qui fait baisser le prix du brut? Hussein Allidina est directeur général et Chef, Produits de base à GPTD. Il va expliquer les raisons de cette baisse et nous parler du cours de l’or. Ravie de vous recevoir. * Merci de l’invitation. * Commençons par le marché du pétrole. D’après ce que je comprends, vous le qualifiez de « difficile » en ce moment. * Tout à fait. C’est un contexte difficile, Kim. Si vous regardez les stocks actuels à l’échelle mondiale, ils sont extrêmement faibles. Pourquoi le prix a-t-il chuté de 15 % si les stocks sont très faibles, me direz-vous? Parce que le marché s’inquiète de la suite. Les produits de base ne sont pas anticipatifs. * Le marché s’inquiète d’une hausse de production de l’OPEP. L’OPEP compte remettre des barils sur le marché plus tard cette année, ce qui crispe le marché. * Par ailleurs, la demande chinoise est assez faible. On craint que cette faiblesse persiste. Si cette faiblesse persiste, il y aura plus de stocks en 2025. La demande mondiale de pétrole devrait monter de 1 à 1,2 million de barils par jour. Sur le papier, les pays non membres de l’OPEP vont en produire 1,4 million de plus. * J’arrive déjà à un excédent d’environ 200 000 barils par jour l’an prochain, sans compter la hausse de la production de l’OPEP. Je pense que cette perspective crispe un peu le marché. * Y a-t-il d’autres inquiétudes? Évidemment, il y a les décisions de la Fed. On s’attend à des baisses de taux, à un ralentissement de la croissance économique. Qu’est-ce qui fait le plus baisser les prix du pétrole? Le ralentissement de la croissance ou le ralentissement de la Chine? Je sais que l’un ne va pas sans l’autre. * En effet. La Fed va sans doute baisser ses taux dans le courant l’année, tout comme d’autres banques centrales. En l’absence d’autres facteurs, les baisses de taux de la Fed font baisser le dollar, ce qui est favorable pour tous les produits de base dont le prix est établi en dollars. * Pour moi, ce qu’on va suivre avec intérêt au cours des 12 à 16 prochains mois, quand le dollar va se déprécier, c’est l’impact sur la demande en produits de base dans les marchés émergents. On avait expliqué dans une autre émission que la vigueur du dollar rendait le pétrole très cher pour les citoyens de l’Inde, du Brésil, etc. à cause de la dépréciation de leurs monnaies. L’Inde paie le baril au prix de 2008, soit plus de 140 dollars le baril. Là-bas, la baisse du dollar va donner un coup de fouet à la demande. * Mais, pour revenir à ce que vous disiez, Kim, le marché est très inquiet. C’est plutôt une vision a posteriori, mais il s’inquiète beaucoup de la faiblesse de la demande chinoise. La Chine est un consommateur important de produits de base. C’est vrai pour le pétrole. C’est vrai pour le cuivre, etc. Je pense que c’est la raison pour laquelle les prix ont fléchi. * Très bien. Regardons quelques graphiques. Vous en avez apporté quelques-uns. Merci. On adore les images. Jetons un œil aux stocks de pétrole brut aux États-Unis. Expliquez-moi ce que révèle ce graphique. * On voit les données historiques depuis les cinq dernières années. La ligne bleu foncé montre où en sont les stocks aujourd’hui. Si l’on s’en tenait à ce graphique, on aurait du mal à expliquer l’évolution récente du prix du pétrole brut. Le baril de WTI dépasse à peine de 70 dollars aujourd’hui. Et ce avec un équilibre fondamental très, très tendu. À mon sens, la seule explication aux prix actuels, c’est que la croissance va sensiblement ralentir, ce qui va permettre de reconstituer les stocks qui sont actuellement relativement faibles. * OK. On va revenir sur la croissance dans quelques instants, mais parlons d’abord d’un autre graphique sur la demande d’essence aux États-Unis. Il y a toujours un décalage intrigant. Les gens se demandent toujours pourquoi les prix du pétrole baissent, mais pas l’essence. On constate une demande d’essence. Que nous dit ce graphique? * Oui. Les marchés sont très préoccupés par l’évolution de la demande. J’ai amené ce graphique pour montrer à quoi ressemble la demande aujourd’hui. La ligne foncée montre où se situe la demande implicite aux États-Unis pour l’essence. Je crois que l’essence est un très bon baromètre de la santé des consommateurs et de l’emploi. * Malgré la vague de substitution des véhicules à moteurs thermiques au profit des véhicules électriques, la demande d’essence reste confortablement dans la moyenne des cinq dernières années. On n’observe pas de signes de faiblesse notables en ce moment. Je crois qu’il y a beaucoup d’anticipation sur l’avenir de la croissance. * OK. À quels niveaux va se négocier le pétrole? * Je suis dans le camp des 70 $ – Pardon – dans le camp des 70 à 90 $ le baril depuis presque tout le début de l’année. Je ne serais pas surpris, compte tenu du comportement du marché, si le prix du brut chutait sous la barre des 60 $. Je pense que le marché s’essaie. Excusez-moi. En dessous de 70 $, dans les 60 $. * Je pense que le marché essaie de forcer la main à l’OPEP. L’OPEP va se réunir dans quelques semaines pour discuter des décisions de production. À mon avis, le marché tente de la forcer à ne pas rétablir son niveau de production. Si l’OPEP rétablit la production, je pense que le cours baissera dans les 60 $ et y restera jusqu’à l’amélioration de l’équilibre entre l’offre et la demande. * OK. Passé ce cap, voyez-vous le pétrole revenir dans une fourchette de 70 à 90 $? Qu’est-ce que vous anticipez? * En 2025, je pense qu’on reviendra dans les 70 à 90 $, en supposant que l’OPEP ne remette pas de barils sur le marché et que la croissance moyenne avoisine 1,2 million de barils par jour. Si on se projette plus loin, en 2026 et 2027, on en revient à un problème dont on a souvent parlé, à savoir le manque d’investissements. Je constate aujourd’hui une croissance de l’offre hors OPEP venant du Brésil, de Guyane et du Canada. Beaucoup de ces projets, beaucoup de cette croissance provient d’investissements datant d’il y a 5 ou 10 ans. Ce sont des projets à long terme. * Le gaz de schiste américain réagit beaucoup plus vite. Mais même là-bas, la croissance a commencé à décélérer en réaction à la baisse des prix. À moyen terme, l’écart n’est pas assez grand du côté de la demande pour justifier le manque d’investissements du côté de l’offre. Je pense donc qu’en 2026, 2027, 2028, les prix vont augmenter dans le but de limiter la demande et d’encourager une hausse de la production. * Intéressant. Et s’il y avait - j’adore cette expression – une hausse-surprise de la demande? Souvent, la demande gonfle subitement. J’imagine un ouragan, quelque chose comme ça. Sachant que les stocks sont actuellement très limités, quel serait l’impact d’un tel événement? * À mon avis, là où on pourrait avoir une surprise par rapport au consensus qui est très baissier en ce moment, c’est du côté de l’offre. On a perdu 600 000 à 700 000 barils de production par jour en Libye. La production libyenne est très erratique depuis la chute de Kadhafi en 2012. Je crois que le marché n’en tient pas compte, qu’il fait un peu abstraction de la Libye. * Oui. * L’OPEP dispose d’une capacité de réserve qu’elle pourrait remettre sur le marché. Mais dans ce cas-là, le niveau total des réserves commence à baisser. Je dois donc intégrer une prime de risque si la capacité de réserve diminue. Du côté de la demande, et j’y ai vaguement fait allusion au début, le marché est très pessimiste quant à la croissance des pays émergents en général. Pour moi, c’est symptomatique de la faiblesse observée en Chine. Si le dollar américain baisse, l’Inde, le Brésil et les pays du Moyen-Orient qui ne sont pas arrimés au dollar vont payer leur pétrole brut moins cher, et je pense que ça stimulera la demande. La demande pourrait donc surprendre les investisseurs. Il ne faut pas s’attendre à un choc. La demande ne va pas subitement bondir à un million de barils par jour. Du côté de l’offre, ce serait possible. Par contre, du côté de la demande, je pense que l’évolution sera plus graduelle. Mais pour moi, le marché est devenu trop baissier sur la croissance des pays émergents, surtout à cause de la faiblesse observée en Chine. * Le prix de l’or a monté en flèche. * Oui. * C’est impressionnant. On peut expliquer cette flambée par les facteurs que le marché intègre dans ses prix, notamment de prochaines baisses de taux. Vous avez d’autres graphiques intéressants à nous montrer. Merci de les avoir apportés. Ils montrent l’influence des banques centrales sur le cours de l’or. Expliquez-nous ce que révèle ce graphique sur les perspectives pour l’or. * D’accord. Ce qui est très intéressant à propos des banques centrales, c’est qu’il y a deux ou trois ans, la plupart des analystes de maisons de courtage auraient dit que le juste prix de l’or devrait se situer à 1 500 $, 1 600 $, 1 700 $ l’once. C’est surtout parce qu’on modélise le cours de l’or sur la base des taux réels. * Le coût d’opportunité des placements aurifères correspond aux taux réels, car l’or ne verse pas de dividende et n’offre aucun rendement hors du prix au comptant. Et les taux réels étaient en hausse. Ils ont fortement augmenté. * À lui seul, ce facteur aurait dû faire baisser l’or. Il y a aussi la vigueur du dollar, l’autre variable que l’on retrouve dans la plupart des modèles économétriques pour prévoir le cours de l’or. Le dollar était vigoureux. * L’or a inscrit un rendement supérieur et on a adopté une approche haussière en partie à cause de la demande insatiable des banques centrales des pays émergents. Si vous prenez les réserves de change des banques centrales du monde entier, celles de l’OCDE détiennent une grande partie de leurs réserves en or, que ce soit l’Allemagne, États-Unis, etc. * En dehors de l’OCDE ou dans les marchés émergents, les réserves sont historiquement surtout détenues en dollars, en euros, en droits de tirage spéciaux du FMI. Au cours des 16 à 18 derniers mois, ce qui coïncide avec la confiscation des réserves russes par les États-Unis après l’invasion de Poutine, les banques centrales ont acheté d’énormes quantités d’or. C’est ce que montre ce graphique. On voit la hausse trimestrielle des achats d’or par les banques centrales, * toutes banques centrales confondues. Mais en fait, ça vient des banques centrales de Chine, de Russie, de Turquie, de Pologne, et des banques centrales de plus petits pays émergents. Tout le monde achète de l’or pour diversifier les réserves et détenir moins de devises. * Le secteur du détail est depuis toujours un grand consommateur d’or. Au cours des 24 derniers mois, les cours des actions se sont envolés, et le coût d’opportunité des placements aurifères est comparativement faible. Ces dernières semaines, on a observé des achats d’or dans le secteur du détail. * Le graphique montre les positions ouvertes des FNB aurifères. C’est la quantité d’or détenue par ces FNB, qui sont principalement détenus par le secteur du détail. On observe une remontée, mais les actions ont augmenté de 15 % cette année. * Il reste encore beaucoup de marge. * Beaucoup de marge pour revenir aux niveaux de 2022, 2021 et 2020. Sur le plan de la construction des portefeuilles, énormément d’études montrent l’efficacité de détenir non seulement des produits de base, mais aussi de l’or, parce que l’or est un excellent moyen de couvrir les pertes aux deux extrémités. Quand plus rien ne va, l’or a tendance à conserver sa valeur. * Dans les actifs gérés au niveau mondial, l’or est minimalement pondéré. Selon les données de positionnement de la CFTC, certains fonds de couverture ont acheté de l’or ces deux dernières semaines. Dans l’ensemble, si la Fed réduit ses taux, le taux réel va diminuer. Le coût d’opportunité des placements aurifères va diminuer. Les baisses de la Fed font normalement baisser le dollar. Si rien d’autre ne change, ce sera favorable pour l’or. * À moyen terme, on aime l’or. Je ne peux pas prédire l’évolution dans les deux prochaines semaines. Les banques centrales des pays émergents n’en détiennent pas assez, les investisseurs institutionnels et les particuliers non plus. Il y a beaucoup de bonnes raisons d’inclure de l’or dans votre portefeuille et je pense que la demande va continuer de soutenir les prix. * Revenons un peu sur un point très intéressant. Vous avez parlé des extrémités. Qu’est-ce que ça veut dire sur le plan de la gestion de portefeuille? Que l’or se comporte bien aux deux extrêmes? * Oui. Si on observe comment les différents actifs se comportent dans des contextes d’hyperinflation ou de déflation, en général, rien ne fonctionne pas dans ces quadrants. Par contre, dans des contextes très inflationnistes ou déflationnistes, l’or conserve sa valeur. C’est une bonne idée de détenir de l’or pour protéger votre portefeuille à chaque extrémité de cette distribution. * Et il me semble aussi que... * Je ne vais pas vous demander de commenter les cryptomonnaies, mais j’ai l’impression que certains y voient une solution de remplacement à l’or. La volatilité est forte, que ça plaise ou non. Je pense que les gens reviennent à l’or, maintenant qu’ils voient les rendements. * Il y a [INAUDIBLE] dans mon équipe qui appelle l’or « le nouveau bitcoin ». * Oui. * Vous savez, je pense que le bitcoin peut avoir sa place dans un portefeuille. L’or a une longue histoire qui nous dépasse tous, et de loin. Si on regarde comment le bitcoin, Ethereum, etc. se négocient, c’est le QQQ avec effet de levier, en réalité. L’or est la seule catégorie d’actif qui s’est toujours négociée conformément à ses caractéristiques historiques. * Oui. Bien, parlons d’autres produits de base dont on ne parle pas souvent avec vous, mais je sais que vous les suivez de près. Les céréales. * On a un point de vue assez baissier à l’égard des céréales depuis la majeure partie des 16 derniers mois et jusqu’à maintenant. De façon générale, du côté de l’offre, surtout aux États-Unis, les récoltes de maïs vont battre des records. Les récoltes de haricots aussi. En Amérique du Sud, le climat est sec en ce moment, ce qui est plutôt favorable. * On constate donc une hausse des stocks de céréales. Quand les stocks s’accumulent, les prix baissent. On est conscients que c’est un point de vue très consensuel, et le marché est positionné en conséquence. Il y a énormément de positions vendeur, selon les données de la CFTC. * La moindre perturbation liée à la météo ou à un quelconque facteur haussier s’en trouvera exacerbée. Aujourd’hui, le maïs a augmenté de 2 % à cause d’une exportation vers la Chine. Il y a beaucoup de positions vendeur. Mais pour les céréales, si rien d’autre ne change, on anticipe une baisse. [MUSIQUE]