Bien que l’emploi demeure relativement robuste, on s’inquiète de plus en plus du risque de stagflation. Greg Bonnell discute des répercussions possibles pour les marchés avec Alexandra Gorewicz, gestionnaire de portefeuille, Titres à revenu fixe à gestion active, Gestion de Placements TD.
On voit le terme « stagflation » un peu partout en ce moment alors que les investisseurs tentent de déterminer ce que nous réserve le futur. Qu’est-ce que cela signifie pour l’économie et pour votre portefeuille? Notre invitée du jour, Alex Gorewicz, est gestionnaire principale de portefeuilles de titres à revenu fixe à gestion active à Gestion de Placements TD. Alex, c’est un plaisir de vous avoir avec nous aujourd’hui.
Merci, Greg. C’est un plaisir d’être là.
Parlons de la stagflation. De toute évidence, personne ne sait exactement où on va, mais le terme revient régulièrement. Qu’est-ce que cela signifie : une période de faible croissance et de prix élevés? Quels sont les facteurs à considérer pour les investisseurs?
Je pense que la stagflation est souvent utilisée indépendamment de sa véritable définition, qui est l’absence de croissance et peut-être même une récession, mais avec une inflation élevée ou les prix qui continuent d’augmenter. Puis, le troisième facteur, c’est le chômage.
Et le chômage en période de stagflation a tendance à augmenter, malgré une inflation élevée, en raison de la croissance. On entend ce mot partout depuis environ un an, alors que le marché du travail est très solide et que le chômage continue de baisser. Et ce n’est pas parce que la croissance est négative ou en baisse, mais en partie à cause des prévisions de croissance qui ont été revues à la baisse, des attentes à l’égard de l’inflation, et évidemment, de l’inflation réalisée qui augmente. Donc la tendance pour ces trois mesures différentes fait pencher vers la stagflation sans que le terme soit vraiment approprié.
C’est un scénario effrayant dans lequel on ne veut vraiment pas se retrouver. Que doivent faire les investisseurs dans cette situation? Car cela fait 40 ans que les gens n’ont pas eu à s’inquiéter de cela…
Tout à fait. Oui, il y a 40 ans, c’est la dernière période de stagflation connue de l’ère moderne qui a donc eu lieu dans les années 70. Et il est très facile d’établir des comparaisons avec cette période du point de vue des placements, car les actions et les obligations ont généré des rendements très négatifs cette année. Mais il faut aussi tenir compte des différences, tant sur le plan économique que financier, par rapport aux années 70.
Dans les années 70, notre économie était beaucoup plus axée sur le secteur manufacturier. Donc, quand il y a eu des chocs pétroliers et une série de pressions sur les prix pendant cette période, les répercussions sur l’économie réelle ont été nettement plus importantes qu’elles ne pourraient l’être aujourd’hui du point de vue de la production. Sur le plan financier, on avait aussi un marché qui était moins développé, en un sens, que ce qu’on voit aujourd’hui.
Par exemple, les obligations à rendement élevé n’existaient pas vraiment… ou, si c’était le cas, il s’agissait d’un segment du marché beaucoup plus spécialisé. Les produits dérivés, les instruments de couverture, toutes sortes d’actifs financiers utilisés aujourd’hui pour exprimer nos perspectives n’existaient pas. Autre chose, et également très importante, si l’on considère uniquement les actions… les différences de composition.
À l’époque, dans les années 70, il y avait beaucoup plus d’actions qui, encore une fois, représentaient l’économie réelle, très manufacturière. À l’heure actuelle, même un indice général comme le S&P est davantage axé sur les actions de croissance. Et quand on envisage tous les éléments qui constituent l’économie et les marchés financiers actuels, on ne peut simplement pas en conclure que, si cela s’est produit dans les années 70, ça va se reproduire aujourd’hui. Il faut simplement être un peu plus souple et un peu plus réfléchi sur la façon dont vous investissez dans les portefeuilles.
C’est une bonne chose de savoir que ce n’est pas parce que ça s’est produit une fois que ça se produira à nouveau ou exactement de la même façon. Examinons d’un peu plus près le marché de l’emploi, car pour les médias récemment, l’avantage unique de la situation, c’est pour le travailleur. Le marché du travail est tendu. Ce sont les travailleurs qui mènent le bal.
Mais maintenant, les entreprises avouent craindre une récession et que cela pourrait malheureusement entraîner une réduction de leur main-d’œuvre. Qu’en est-il vraiment?
Alors, il ne fait aucun doute que le marché du travail est très solide. On l’a vu, dans plusieurs secteurs, le taux de rotation est élevé. Les gens changent d’emploi, ils trouvent d’autres occasions, des salaires plus élevés et ils en profitent. Et on constate aussi que le nombre de postes vacants a atteint un sommet record. Encore une fois, cela donne à penser que les employés ont beaucoup de pouvoir c’est-à-dire que la main-d’œuvre a la main mise sur le marché.
Tout cela nourrit la perception que le marché de l’emploi est très solide et que cela pourrait durer. Mais il est important de noter que, même avant la pandémie, on avait un nombre record d’offres d’emploi. Et quand on met les choses en perspective, cette idée qu’on se dirige vers un resserrement très rapide de la politique monétaire et que ça ne devrait avoir qu’un effet négligeable sur le marché du travail, ce n’est pas nécessairement le cas, car le nombre de postes vacants élevé était principalement attribuable à un décalage entre les compétences que recherchaient les employeurs et les compétences existantes.
Et dans quelle mesure ça disparaît, avec la capacité excédentaire sur le marché du travail aujourd’hui par rapport aux employés mis à pied, c’est très incertain. Pour nous, au sein de l’équipe Titres à revenu fixe à gestion active, si on regarde le marché de l’emploi actuel, on craint que de plus en plus de sociétés subissent des pressions sur les prix et qu’il n’en faille pas beaucoup pour que le chômage commence à grimper dans plusieurs secteurs et pas seulement ceux où on sait que les pressions sur les prix sont les plus fortes.
Donc de grandes questions se posent en ce moment. Qu’en est-il de la croissance par rapport à l’inflation? Quel impact cela a-t-il sur les marchés?
Cela change presque d’un jour à l’autre, mais certainement d’une semaine à l’autre. Donc, après les données de l’IPC aux États-Unis, on avait peur que l’inflation ne s’arrête pas. Le pic n’est pas derrière nous. Les marchés ont anticipé, avec une augmentation des hausses de taux d’intérêt.
Les taux d’intérêt ont augmenté, les actions ont été liquidées et la Fed a relevé son taux directeur de 75 points de base. Et comme en témoignent les données publiées hier par l’IPC au Canada, l’inflation atteint de nouveaux sommets, ce sur quoi la Banque du Canada nous avait avertis et c’est ce qui se passe. Et donc, lorsqu’on regarde… le volet inflation… le marché suscite de réelles inquiétudes.
On ne peut pas les ignorer. Mais il y a aussi l’élément de croissance. On commence à examiner les indices des directeurs d’achats, les indicateurs avancés. Ce sont des éléments qui ont tendance à entraîner des récessions ou, à tout le moins, un ralentissement important de la croissance. On a des reculs importants en Europe et aux US avec les indices des directeurs d’achats.
Qu’est-ce que cela signifie pour la croissance? Et ça génère une aversion pour le risque aujourd’hui, enfin pas vraiment, car au début de l’émission, vous avez parlé des actions, et elles ne vont pas trop mal. Le NASDAQ est en hausse aujourd’hui en raison de la baisse des taux réels.
Et pourquoi les taux réels baissent-ils? Parce que le message du marché aujourd’hui, c’est que l’inflation demeure un problème, mais que la croissance pourrait devenir un problème beaucoup plus important que prévu. Tout dépend donc. Du jour au lendemain, la situation peut changer très rapidement et le marché peut ensuite réagir très vite.
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