
Les ménages canadiens largement endettés traversent une période très incertaine et difficile en raison de la crise de la COVID-19. Anthony Okolie et Ksenia Bushmeneva, économiste, Groupe Banque TD, discutent de l’impact de la pandémie sur l’épargne et l’endettement des ménages ainsi que sur les dépenses de consommation.
Ksenia, dans votre dernier rapport, vous avez fourni des renseignements très importants et intéressants sur les finances des ménages canadiens. Pouvez-vous nous dire où en sont les Canadiens depuis le début de cette crise?
Eh bien, Anthony, nous avons actuellement les données du deuxième trimestre de Statistique Canada sur les bilans des ménages canadiens. D’après ces données, les ménages canadiens s’en tirent mieux qu’on ne l’aurait imaginé au début de cette crise sanitaire.
L’unes des variables, par exemple, est le patrimoine. Le patrimoine a fortement diminué au premier trimestre de cette année. Mais heureusement, il a vraiment rebondi et récupéré toutes les pertes, puis certaines au deuxième trimestre, car les évaluations boursières ont bondi et la valeur des maisons s’est maintenue.
Une autre variable qui a connu une croissance, c’est le revenu disponible. Il a aussi bondi de 10 % au deuxième trimestre. Et cela est surtout attribuable aux mesures de soutien du revenu sans précédent mises en place par le gouvernement fédéral, qui ont contribué à accroître le revenu, même lorsque le chômage a bondi.
Enfin, il y a eu un ralentissement important de la croissance de l’endettement des ménages. Ce ralentissement a aussi été important au Canada. Comme nous le savons, les ménages canadiens sont très endettés. La croissance de l’endettement a été nulle au deuxième trimestre, et c’est la première fois que ça arrive depuis le début du suivi des données en 1990. Comme les ménages sont restés à la maison, ils ont réduit leurs dépenses de consommation. Ils ont aussi réduit leurs emprunts.
J’aimerais parler un peu de l’endettement, parce que vous avez mentionné qu’ils ont en quelque sorte réduit leurs emprunts. Lorsque vous examinez le crédit à la consommation, constatez-vous des tendances importantes dans ces données?
Oui. Le crédit à la consommation avait en fait diminué au deuxième trimestre. C’est la principale raison pour laquelle l’endettement des ménages est resté stable et n’a pas augmenté au deuxième trimestre. Et il n’est pas vraiment difficile de comprendre pourquoi le crédit à la consommation a diminué, car il est étroitement lié aux activités de détail et aux dépenses de consommation. Et ça a vraiment chuté au deuxième trimestre, parce que les ménages sont restés à la maison et qu’on a demandé aux entreprises non essentielles de fermer leurs portes.
Étant donné que les consommateurs restent aussi à la maison. Qu’en est-il du taux d’épargne? Les Canadiens dépensent-ils moins pendant la crise?
En date du dernier trimestre, oui. En effet, les Canadiens dépensent beaucoup moins. Et, croyez-le ou non, le taux d’épargne a bondi au deuxième trimestre, pour atteindre 28 %.
Et si on le compare à, par exemple, ce qu’il était en 2019, le taux se situait entre 2 % et 3 % cette année-là. C’est presque dix fois plus.
En fait, il y a deux côtés à la médaille. D’abord, les mesures de soutien du revenu, que j’ai mentionnées, ont vraiment contribué à accroître le revenu disponible des ménages. Mais les dépenses de consommation ont aussi fortement diminué au deuxième trimestre. Ensemble, ces facteurs ont vraiment contribué à faire grimper le taux d’épargne à ce niveau sans précédent.
Compte tenu de tout ça, du taux d’épargne, de la tendance à la baisse de l’endettement, quelles sont vos perspectives pour les finances des ménages cette année et l’année prochaine?
Bien sûr, tous les ménages sont différents. Mais, au moins dans l’ensemble, compte tenu des données disponibles jusqu’à maintenant, au début de la pandémie, donc au deuxième trimestre, les ménages se sont bien mieux comportés qu’on aurait pu s’y attendre au début. Nous avons constaté une amélioration de nombreux indicateurs.
Le patrimoine a rebondi. La croissance du revenu s’est accélérée.
Certains ménages ont réussi à reconstituer leurs fonds d’urgence en réduisant leurs dépenses et en remboursant leurs dettes. Tout ça est très encourageant. C’est bon de voir ça.
Toutefois, c’est important de se rappeler que ces améliorations sont largement attribuables aux mesures sans précédent mises en place au cours de cette période par le gouvernement, mais aussi aux reports offerts par les institutions financières. Et ce n’est pas vraiment un indicateur de la santé du marché du travail, qui a tendance à déterminer la santé financière des ménages.
Et si on regarde le marché du travail, il demeure assez faible. Et le chômage demeure dans les deux chiffres. Tout ce que ça signifie, c’est que jusqu’à maintenant, tout va bien. Et les ménages ont bien surmonté les premières étapes de la pandémie. Toutefois, à mesure qu’on avance et que ces mesures de soutien du revenu, ces mesures extraordinaires, vont diminuer, on prévoit que les ménages vont faire face à un contexte plus difficile l’année prochaine.
Ksenia, merci beaucoup pour votre temps.
Je vous en prie, Anthony.
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