L’insécurité alimentaire est un problème croissant au Canada. Près d’un quart de la population a exprimé sa crainte de se priver de nourriture, de faire des compromis sur la qualité des aliments ou de ne pas savoir d’où viendra son prochain repas. Kim Parlee de Parlons Argent reçoit Nick Saul, président et directeur général des Centres communautaires d’alimentation du Canada, pour discuter des mesures à prendre pour venir à bout de ce problème.
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Vous avez récemment écrit un article d’opinion dans un journal de Toronto, et je voudrais lire une citation tirée de cet article. Les longues files devant les banques alimentaires sont l’un des signes les plus visibles d’une société qui a perdu ses repères. Mais en réalité, ce n’est qu’une portion infime de la crise qui sévit actuellement. De votre point de vue, quelle est l’ampleur de la crise?
La situation est dévastatrice. Je ne sais pas comment le dire autrement, quand près de 9 millions de nos voisins craignent de ne pas pouvoir se nourrir.
On devrait tous être bouleversés. On note une augmentation de 26 % par rapport à l’an dernier. Un quart des Canadiens éprouvent des difficultés pour joindre les deux bouts et se nourrir. Dans les familles monoparentales, c’est encore pire. Si vous êtes handicapé, noir ou autochtone, ces chiffres montent en flèche. Pour les Noirs, c’est plus de 40 %.
Il y a dans notre pays une crise profonde d’accès à une alimentation de qualité. C’est difficile de croire que notre pays est signataire du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, qui stipule que l’on doit respecter, protéger et assurer le droit à la nourriture. Ces chiffres montrent à quel point nous ne sommes pas à la hauteur à cet égard.
Je ne sais pas si c’est vous qui l’avez dit ou quelqu’un d’autre, mais j’ai entendu dire que le problème n’est pas lié à un manque de nourriture. Le problème a des origines systémiques. Je suis sûre que c’est une question très complexe, mais pourriez-vous nous éclairer sur ces problèmes fondamentaux?
En réalité, ce n’est pas si complexe, au sens où l’insécurité alimentaire n’est pas due à une pénurie de nourriture. Elle est due à des revenus insuffisants. Les gens n’ont tout simplement pas assez de revenus pour joindre les deux bouts. Je pense que c’est sur ce point qu’il faut centrer la conversation. Si vous prenez l’indice des prix à la consommation depuis cinq ans, il a globalement augmenté d’environ 20 %. Rien que l’alimentation a augmenté de 26 %.
Je pense donc qu’on doit se concentrer sur le fait que le marché du travail est très précaire. Je dirais que les gens ne sont pas rémunérés suffisamment ou équitablement. Ils n’accumulent pas assez d’heures. Les prestations ne sont certainement pas suffisantes. Et si vous tombez dans l’infrastructure sociale, elle ne vous aide pas à rebondir. Si vous vivez de l’aide sociale dans cette province, par exemple, c’est impossible de vivre en santé ou dans la dignité.
Je pense qu’on doit investir dans les gens. Si vous êtes un employeur et que vous dirigez une entreprise, votre actif le plus important, ce sont les gens qui travaillent pour vous. Et ils ne devraient pas rentrer chez eux pour trouver un frigo vide. 60 % des gens en insécurité alimentaire sont d’une manière ou d’une autre sur le marché du travail, ce qui en dit long sur la précarité de notre marché du travail. Si vous travaillez dans la manutention, le commerce de détail, l’hôtellerie, la livraison, vous ne gagnez tout simplement pas assez d’argent pour vous nourrir, vous et votre famille.
Parlez-nous de votre travail aux Centres communautaires d’alimentation du Canada et peut-être un peu des banques alimentaires. Comment interviennent-ils pour combler les manques?
Le secteur de l’aide alimentaire d’urgence fait de son mieux pour offrir le plus possible de dignité et mettre de bons aliments dans les paniers des gens. Mais en tant que société, ce n’est pas ce que nous devrions faire. On devrait créer de bons programmes pour soutenir les revenus, pour que les gens puissent vivre dans la dignité et en santé.
On sait où se trouvent les réponses. Quand le gouvernement fédéral a investi dans l’Allocation canadienne pour enfants, l’insécurité alimentaire grave des familles avec enfants a été réduite jusqu’à 30 %. À partir du moment où vous devenez un aîné dans ce pays, à 65 ans, la Sécurité de la vieillesse et le Supplément de revenu garanti font chuter le taux d’insécurité alimentaire de 50 %. On sait ce qui fait la différence.
Dans notre organisme, en plus d’aller à la rencontre des gens là où ils en sont, dans les Centres communautaires d’alimentation du Canada, en plus d’aider les gens dans la crise qu’ils vivent, de créer de la dignité et de l’inclusion, de réduire l’isolement et d’améliorer la santé mentale, on parle aussi des problèmes systémiques, qu’il s’agisse du marché du travail injuste, du racisme, de l’héritage du colonialisme. C’est là-dessus qu’on doit se concentrer.
Mais en premier lieu, on a 15, bientôt 20 centres communautaires d’alimentation à travers le pays et 400 organisations partenaires pour la bonne nourriture qui tentent de créer des espaces d’espoir, de santé et de développement des compétences. Et la question de l’isolement est très importante. La solitude et les problèmes de santé mentale des gens en insécurité alimentaire ou plus généralement à faible revenu sont en train de monter en flèche. Et notre secteur se doit d’être présent.
Mais ce n’est pas la réponse. La charité n’est pas la réponse au problème dont on parle, à savoir le nombre grandissant de gens en proie à de profondes inquiétudes, à l’anxiété, qui sont dans les files d’attente ou ont peur de rentrer à la maison parce qu’ils ne peuvent pas remplir leur frigo ou mettre à manger sur la table.
C’est tellement difficile... Je comprends bien ce que vous dites. Ça doit être difficile, de votre point de vue, d’essayer de soutenir les gens du mieux que vous pouvez et de voir ces vastes problèmes systémiques. Mais je sais que beaucoup de gens qui décident de vous aider financièrement vous donnent les ressources nécessaires pour mettre en place ce qu’il faut pour aider les gens, du moins temporairement.
On est une force puissante dans cette conversation, parce que les gens croient en notre action, et nous faisons du bon travail. On est un organisme qui fonctionne sur des fonds privés. Je pense que le gouvernement devrait jouer un rôle beaucoup plus important. Notre travail a commencé par un seul centre communautaire pour arriver à plus de 15. On bâtit un grand mouvement pour dire que nous avons besoin d’espaces dignes et de meilleurs systèmes pour aider les gens à contribuer, parce qu’en fin de compte, les gens veulent contribuer à notre société.
Et j’invite tous ceux qui regardent cette émission à rejoindre les Centres communautaires d’alimentation du Canada. Lisez certains des rapports que nous publions, comme Au-delà de la faim ou Sonner l’alarme. Faites du bénévolat, et pas seulement dans nos organismes. Il y en a beaucoup dans lesquels vous pouvez prêter main-forte. Et surtout, n’oubliez pas de ne pas céder à la paralysie. Ne tournez pas le dos à ce problème.
Je veux que les gens aient de l’espoir. Parce qu’en fin de compte, le changement arrive quand on se bat pour lui. On assiste à plein de changements systémiques. Le droit de vote des femmes, le mouvement des droits civiques. Tous ces changements ont eu lieu parce que des gens se sont mobilisés et ont joué un rôle. Et on ne sait jamais quand ce changement va se produire. Mais rien n’arrivera à moins que les gens ne se mobilisent.
J’encourage donc vraiment les gens, en cette période critique, à en apprendre davantage, à se renseigner sur notre organisme, et sur beaucoup d’autres excellents organismes qui agissent en première ligne. Nous avons besoin de vous maintenant.
Nick, c’était un plaisir de vous recevoir. Merci de nous avoir accordé un peu de votre temps aujourd’hui.
Merci d’avoir mis en lumière cette question cruciale. C’est très apprécié.
C’était Nick Saul. Les Centres communautaires d’alimentation du Canada apportent leur aide sur le terrain et œuvrent en faveur de changements systémiques grâce à la générosité de donateurs privés. Pour en savoir plus, allez sur le site Web de l’organisme. [LOGO SONORE] [MUSIQUE]
Vous avez récemment écrit un article d’opinion dans un journal de Toronto, et je voudrais lire une citation tirée de cet article. Les longues files devant les banques alimentaires sont l’un des signes les plus visibles d’une société qui a perdu ses repères. Mais en réalité, ce n’est qu’une portion infime de la crise qui sévit actuellement. De votre point de vue, quelle est l’ampleur de la crise?
La situation est dévastatrice. Je ne sais pas comment le dire autrement, quand près de 9 millions de nos voisins craignent de ne pas pouvoir se nourrir.
On devrait tous être bouleversés. On note une augmentation de 26 % par rapport à l’an dernier. Un quart des Canadiens éprouvent des difficultés pour joindre les deux bouts et se nourrir. Dans les familles monoparentales, c’est encore pire. Si vous êtes handicapé, noir ou autochtone, ces chiffres montent en flèche. Pour les Noirs, c’est plus de 40 %.
Il y a dans notre pays une crise profonde d’accès à une alimentation de qualité. C’est difficile de croire que notre pays est signataire du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, qui stipule que l’on doit respecter, protéger et assurer le droit à la nourriture. Ces chiffres montrent à quel point nous ne sommes pas à la hauteur à cet égard.
Je ne sais pas si c’est vous qui l’avez dit ou quelqu’un d’autre, mais j’ai entendu dire que le problème n’est pas lié à un manque de nourriture. Le problème a des origines systémiques. Je suis sûre que c’est une question très complexe, mais pourriez-vous nous éclairer sur ces problèmes fondamentaux?
En réalité, ce n’est pas si complexe, au sens où l’insécurité alimentaire n’est pas due à une pénurie de nourriture. Elle est due à des revenus insuffisants. Les gens n’ont tout simplement pas assez de revenus pour joindre les deux bouts. Je pense que c’est sur ce point qu’il faut centrer la conversation. Si vous prenez l’indice des prix à la consommation depuis cinq ans, il a globalement augmenté d’environ 20 %. Rien que l’alimentation a augmenté de 26 %.
Je pense donc qu’on doit se concentrer sur le fait que le marché du travail est très précaire. Je dirais que les gens ne sont pas rémunérés suffisamment ou équitablement. Ils n’accumulent pas assez d’heures. Les prestations ne sont certainement pas suffisantes. Et si vous tombez dans l’infrastructure sociale, elle ne vous aide pas à rebondir. Si vous vivez de l’aide sociale dans cette province, par exemple, c’est impossible de vivre en santé ou dans la dignité.
Je pense qu’on doit investir dans les gens. Si vous êtes un employeur et que vous dirigez une entreprise, votre actif le plus important, ce sont les gens qui travaillent pour vous. Et ils ne devraient pas rentrer chez eux pour trouver un frigo vide. 60 % des gens en insécurité alimentaire sont d’une manière ou d’une autre sur le marché du travail, ce qui en dit long sur la précarité de notre marché du travail. Si vous travaillez dans la manutention, le commerce de détail, l’hôtellerie, la livraison, vous ne gagnez tout simplement pas assez d’argent pour vous nourrir, vous et votre famille.
Parlez-nous de votre travail aux Centres communautaires d’alimentation du Canada et peut-être un peu des banques alimentaires. Comment interviennent-ils pour combler les manques?
Le secteur de l’aide alimentaire d’urgence fait de son mieux pour offrir le plus possible de dignité et mettre de bons aliments dans les paniers des gens. Mais en tant que société, ce n’est pas ce que nous devrions faire. On devrait créer de bons programmes pour soutenir les revenus, pour que les gens puissent vivre dans la dignité et en santé.
On sait où se trouvent les réponses. Quand le gouvernement fédéral a investi dans l’Allocation canadienne pour enfants, l’insécurité alimentaire grave des familles avec enfants a été réduite jusqu’à 30 %. À partir du moment où vous devenez un aîné dans ce pays, à 65 ans, la Sécurité de la vieillesse et le Supplément de revenu garanti font chuter le taux d’insécurité alimentaire de 50 %. On sait ce qui fait la différence.
Dans notre organisme, en plus d’aller à la rencontre des gens là où ils en sont, dans les Centres communautaires d’alimentation du Canada, en plus d’aider les gens dans la crise qu’ils vivent, de créer de la dignité et de l’inclusion, de réduire l’isolement et d’améliorer la santé mentale, on parle aussi des problèmes systémiques, qu’il s’agisse du marché du travail injuste, du racisme, de l’héritage du colonialisme. C’est là-dessus qu’on doit se concentrer.
Mais en premier lieu, on a 15, bientôt 20 centres communautaires d’alimentation à travers le pays et 400 organisations partenaires pour la bonne nourriture qui tentent de créer des espaces d’espoir, de santé et de développement des compétences. Et la question de l’isolement est très importante. La solitude et les problèmes de santé mentale des gens en insécurité alimentaire ou plus généralement à faible revenu sont en train de monter en flèche. Et notre secteur se doit d’être présent.
Mais ce n’est pas la réponse. La charité n’est pas la réponse au problème dont on parle, à savoir le nombre grandissant de gens en proie à de profondes inquiétudes, à l’anxiété, qui sont dans les files d’attente ou ont peur de rentrer à la maison parce qu’ils ne peuvent pas remplir leur frigo ou mettre à manger sur la table.
C’est tellement difficile... Je comprends bien ce que vous dites. Ça doit être difficile, de votre point de vue, d’essayer de soutenir les gens du mieux que vous pouvez et de voir ces vastes problèmes systémiques. Mais je sais que beaucoup de gens qui décident de vous aider financièrement vous donnent les ressources nécessaires pour mettre en place ce qu’il faut pour aider les gens, du moins temporairement.
On est une force puissante dans cette conversation, parce que les gens croient en notre action, et nous faisons du bon travail. On est un organisme qui fonctionne sur des fonds privés. Je pense que le gouvernement devrait jouer un rôle beaucoup plus important. Notre travail a commencé par un seul centre communautaire pour arriver à plus de 15. On bâtit un grand mouvement pour dire que nous avons besoin d’espaces dignes et de meilleurs systèmes pour aider les gens à contribuer, parce qu’en fin de compte, les gens veulent contribuer à notre société.
Et j’invite tous ceux qui regardent cette émission à rejoindre les Centres communautaires d’alimentation du Canada. Lisez certains des rapports que nous publions, comme Au-delà de la faim ou Sonner l’alarme. Faites du bénévolat, et pas seulement dans nos organismes. Il y en a beaucoup dans lesquels vous pouvez prêter main-forte. Et surtout, n’oubliez pas de ne pas céder à la paralysie. Ne tournez pas le dos à ce problème.
Je veux que les gens aient de l’espoir. Parce qu’en fin de compte, le changement arrive quand on se bat pour lui. On assiste à plein de changements systémiques. Le droit de vote des femmes, le mouvement des droits civiques. Tous ces changements ont eu lieu parce que des gens se sont mobilisés et ont joué un rôle. Et on ne sait jamais quand ce changement va se produire. Mais rien n’arrivera à moins que les gens ne se mobilisent.
J’encourage donc vraiment les gens, en cette période critique, à en apprendre davantage, à se renseigner sur notre organisme, et sur beaucoup d’autres excellents organismes qui agissent en première ligne. Nous avons besoin de vous maintenant.
Nick, c’était un plaisir de vous recevoir. Merci de nous avoir accordé un peu de votre temps aujourd’hui.
Merci d’avoir mis en lumière cette question cruciale. C’est très apprécié.
C’était Nick Saul. Les Centres communautaires d’alimentation du Canada apportent leur aide sur le terrain et œuvrent en faveur de changements systémiques grâce à la générosité de donateurs privés. Pour en savoir plus, allez sur le site Web de l’organisme. [LOGO SONORE] [MUSIQUE]