
Un regain d’optimisme concernant la possibilité d’un vaccin contre la COVID-19 a aidé à stimuler les marchés. Cette nouvelle suscite également l’espoir que la fin de la pandémie pourrait poindre à l’horizon. Anthony Okolie s’entretient avec Tarik Aeta, analyste du secteur des soins de santé, Gestion de Placements TD, pour savoir si les événements récents constituent un pas important vers la commercialisation d’un vaccin approuvé.
Merci de me recevoir, Anthony. Même si les informations divulguées hier étaient limitées, je dirais que les données d’hier sont authentiques et qu’elles nous permettent de faire un grand pas en avant pour mettre fin à la pandémie. Bien qu’il reste encore des questions en suspens, comme la durabilité du vaccin et son efficacité chez les adultes âgés, malgré tout, les données sont très prometteuses et de bon augure pour les autres vaccins contre la COVID en développement, car la plupart ciblent également la protéine de spicule.
Que nous disent les données sur l’efficacité et, surtout, sur l’innocuité du vaccin?
Oui, les conclusions de la phase III de l’essai étaient donc très importantes pour deux raisons. Tout d’abord, contrairement aux essais de phase I, auxquels, en général, moins de 100 volontaires participent, les essais de phase III portent sur des dizaines de milliers de personnes. Et cela nous permet de déceler tout risque de sécurité rare qui aurait autrement pu être omis dans un petit essai de phase I. Donc, pour l’essai du vaccin de Pfizer précisément, plus de 43 000 personnes y ont participé. Et comme aucun risque important pour la sécurité n’a été observé jusqu’à présent, il est probablement juste de dire que le vaccin est en grande partie sûr et efficace.
Deuxièmement, si les résultats de la phase III sont si importants, c’est parce qu’ils nous donnent une première idée de l’efficacité du vaccin. Alors, contrairement à un essai de phase I, où on obtient que des biomarqueurs comme la production d’anticorps, dans un essai de phase III, on voit réellement à quel point le vaccin est efficace pour empêcher les gens de tomber malades dans leur vie quotidienne.
Dans l’ensemble, les données étaient solides, l’efficacité du vaccin ayant atteint 90 % après la deuxième dose. Et ce taux est nettement supérieur au taux minimal de 50 % mis en place par la FDA en juin. Grâce à ces données, Pfizer est bien placée pour demander une autorisation d’utilisation d’urgence d’ici la fin de la semaine prochaine.
Et je m’attends à ce que les organismes de réglementation donnent leur approbation dans les semaines qui suivent. Et pouvez-vous nous expliquer la différence entre le vaccin à ARNm de Pfizer et le vaccin à vecteur viral de sociétés comme J&J et AstraZeneca? Quelle est la différence entre ces deux approches et la prestation du vaccin au sein du système?
Oui, c’est une excellente question. Dans l’ensemble, il y a cinq grandes approches utilisées avec plus de 200 vaccins en développement à l’échelle mondiale.
La première qui arrivera sur le marché, ce sera probablement les vaccins à ARNm, comme celui que Pfizer est en train d’élaborer. La façon dont il fonctionne, en gros, c’est qu’il fournit au corps un manuel d’instructions sous la forme d’un code génétique ARNm transmis dans de petites bulles de gras. En gros, ça indique au corps à quoi ressemble la protéine de spicule de la COVID-19. La beauté de cette approche c’est que, contrairement aux vaccins traditionnels, il n’est pas nécessaire de cultiver des virus en laboratoire. Et ça permet de mettre au point un vaccin plus rapidement, ce qui explique en partie pourquoi Pfizer a réussi à atteindre la ligne d’arrivée avant tout le monde. L’autre avantage, c’est qu’à l’avenir, si le virus subissait des mutations, on pourrait facilement créer un nouveau vaccin pour cette nouvelle souche en quelques mois.
En revanche, les vaccins à vecteur viral, comme les vaccins de J&J et AstraZeneca, fonctionnent différemment. Au lieu d’utiliser de petites bulles de gras pour donner ces instructions, ils utilisent plutôt la coquille de virus inoffensifs et qui ne se reproduisent pas, comme l’adénovirus. Dans l’ensemble, je pense que les vaccins à ARNm et à vecteur viral devraient bien fonctionner, compte tenu des données de la phase I, et les études menées sur les animaux le prouvent.
Ceci dit, les vaccins à ARNm ont eu un léger avantage en termes d’efficacité dans les données de la phase I. Ça sera donc intéressant de voir si cela se maintient quand on aura les données de la phase III.
Et où en sommes-nous actuellement avec les vaccins concurrents, les essais de vaccins?
Oui. Au cours des deux prochains mois, nous allons recevoir des données cliniques de phase III des autres développeurs de vaccins. Tout d’abord, il y a Moderna, étant donné que son étude, son analyse provisoire, devrait être terminée d’ici la fin de novembre. Son vaccin est très semblable à celui de Pfizer. Les deux sont des vaccins à ARNm. Les deux ciblent la protéine de spicule. Je m’attends donc à ce que son vaccin soit aussi concluant.
En décembre, AstraZeneca, et peut-être même Johnson & Johnson, devraient présenter leurs résultats. Et cela survient après que les deux vaccins ont été temporairement suspendus en raison de préoccupations potentielles en matière de sécurité. Les deux sociétés ont toutefois obtenu le feu vert pour reprendre leurs essais et sont de nouveau de retour dans la course.
D’accord. Nous avons parlé des vaccins. J’aimerais parler un peu des traitements aux anticorps. On vient d’annoncer que le médicament à anticorps expérimental d’Eli Lilly vient d’être approuvé d’urgence par la FDA. Je me demande donc dans quelle mesure ces traitements, ces médicaments sont efficaces pour traiter la COVID-19?
Oui. Comme vous l’avez mentionné, hier soir, le traitement aux anticorps d’Eli Lilly a été le premier à obtenir une autorisation d’utilisation d’urgence de la FDA. Le traitement aux anticorps permet à notre système immunitaire d’identifier le virus plus rapidement, en plus de réduire la capacité du virus à se lier aux cellules. Bien que les médicaments à anticorps ne soient pas très efficaces pour les patients qui sont déjà hospitalisés, les essais cliniques montrent cependant qu’ils sont efficaces pour garder hors de l’hôpital les patients à risque élevé dont les symptômes sont légers ou modérés.
Par exemple, si vous avez plus de 65 ans ou si vous avez un important facteur de risque, comme le diabète, les essais cliniques montrent que vous êtes 70 % moins susceptible de vous retrouver à l’hôpital ou d’avoir besoin de soins supplémentaires si vous recevez une injection d’anticorps. Ces traitements aux anticorps peuvent donc jouer un rôle clé pour combler l’écart et réduire la mortalité jusqu’à ce qu’on puisse avoir accès à un vaccin à grande échelle.
Malgré ces développements positifs, il est certain que des reculs peuvent se produire, ce qui pourrait en fin de compte retarder la mise en marché d’un médicament. Quelle est la probabilité que les gens aient accès à ces vaccins au début de 2021?
Oui. Même si j’ai bon espoir que plusieurs vaccins contre la COVID-19 seront approuvés au cours des prochains mois, vous avez tout à fait raison de dire que les stocks seront fortement limités au début. Par exemple, d’ici le 1er janvier, Pfizer ne devrait avoir que 50 millions de doses pour le monde entier, et Moderna seulement 20 millions de doses pour le monde entier. Donc, même si d’ici la fin de l’année prochaine, on devrait avoir 10 milliards de doses, offertes par tous les fabricants de vaccins, en supposant que les essais cliniques soient couronnés de succès, les stocks demeureront probablement limités jusqu’à l’été et seront probablement réservés aux personnes présentant un risque élevé.
Par exemple, au Canada, le Comité consultatif national de l’immunisation a recommandé que la priorité soit accordée à quelques groupes de personnes. Cela comprend les aînés, les personnes ayant des problèmes de santé sous-jacents, les travailleurs de la santé, les aidants naturels, les personnes offrant des services essentiels et les collectivités autochtones. Toutefois, une fois l’été prochain arrivé, et dans le courant de l’automne, les stocks devraient commencer à être abondants. Et j’ai bon espoir que, d’ici la fin de l’année, la vaccination sera généralisée et que nous pourrons largement vaincre la COVID-19 avec ce scénario.
Quelle est la plus récente estimation du nombre de personnes qui seraient prêtes à recevoir un vaccin une fois qu’il sera disponible?
Oui. Selon un sondage réalisé par Statistique Canada au cours de l’été, 76 % des Canadiens sont prêts à recevoir le vaccin contre la COVID-19. Personnellement, je crois que ce chiffre n’est pas loin de la vérité. Je crois que c’est très réaliste. Et la raison pour laquelle je dis ça, c’est que le tiers d’entre nous se fait déjà vacciner contre la grippe chaque année. Et si vous ajoutez à cela le nombre de Canadiens qui aimeraient élargir leur bulle sociale, ainsi que ceux qui pourraient vouloir partir en vacances à l’étranger, alors peut-être qu’à l’avenir, si vous voulez partir en vacances, les pays pourraient exiger aux voyageurs d’être vaccinés pour leur éviter la quarantaine. Donc, si l’on tient compte de tous ces différents scénarios où les gens pourraient avoir besoin de se faire vacciner, je pense qu’il est très réaliste que plus de la moitié de la population finira par se faire vacciner.
Pour terminer, j’aimerais vous demander comment vous abordez la question du point de vue des placements?
La principale approche que nous, à Gestion de Placements TD, avons adoptée du point de vue d’un vaccin contre la COVID-19, du moins dans le cadre de nos placements dans le secteur des soins de santé, ça a été une approche indirecte par l’entremise de placements dans le secteur des appareils médicaux. Et ce sont ces sociétés qui fabriquent des appareils comme des stimulateurs cardiaques, des valves cardiaques artificielles et des plateformes de robotique chirurgicale, pour n’en nommer que quelques-uns. Depuis mars, plusieurs de ces sociétés ont été durement touchées. Et c’est parce que lorsque la pandémie a commencé, la plupart des hôpitaux ont annulé les chirurgies non urgentes pour faire de la place aux patients atteints de la COVID-19.
En Ontario seulement, par exemple, le retard dépasse 80 semaines. Donc, comme les vaccins contre la COVID-19 seront largement disponibles l’an prochain, nous devrions voir une forte reprise des chirurgies non urgentes. Et cela profitera à l’ensemble du secteur des appareils médicaux. Donc, non seulement les ventes peuvent revenir au niveau d’avant la COVID, mais elles devraient facilement dépasser ce niveau, car les hôpitaux devront s’occuper de tous ces patients en attente d’une intervention chirurgicale non urgente.
Tarik, merci beaucoup pour ces explications.
Merci, Anthony.
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