Le Canada compte 1,14 million de petites entreprises, dont le fardeau fiscal s’alourdira probablement en raison des réformes annoncées cet été. Ces réformes portent entre autres sur le fractionnement du revenu, les exonérations fiscales et les placements détenus dans des sociétés privées. Kim Parlee discute des changements proposés et de leurs répercussions potentielles sur les petites entreprises avec Annie Boivin, planificatrice spécialiste de la fiscalité et des successions, Gestion de patrimoine TD.
Les principaux points qui touchent les entreprises... Les voici en bref. Premièrement, il sera plus difficile pour le propriétaire d’une entreprise d’opérer un fractionnement de revenu avec sa famille. Deuxièmement, on songe à empêcher le propriétaire d’entreprise d’utiliser sa famille en vue d’accroître l’exonération cumulative des gains en capital. Troisièmement, on envisage de modifier la fiscalité des investissements passifs détenus dans une société.
Depuis Montréal, pour nous expliquer cette réforme, ce projet, devrais-je dire, et son incidence sur les petites entreprises, voici Annie Boivin planificatrice spécialiste de la fiscalité et des successions, Gestion de patrimoine TD. Annie, merci d’être des nôtres pour nous éclairer sur ce qui s’en vient.
Et j’aimerais commencer par le premier point. Parlons un peu du fractionnement du revenu. Quelle est la situation quant au fractionnement du revenu du propriétaire d’entreprise entre les membres de la famille et quelle serait la situation si le projet de réforme était adopté?
OK. Actuellement, il y a la fameuse stratégie de la société qui est employée par beaucoup de propriétaires d’entreprise. Généralement, ce dernier détient des actions privilégiées de la société, et une fiducie familiale détient les actions ordinaires.
Les membres de la famille, comme le conjoint et les enfants, sont les bénéficiaires de la fiducie. En vertu de la réglementation actuelle, cette structure permet d’attribuer ou de distribuer certains, mettons, dividendes à la fiducie familiale, qui les distribue ensuite à la famille. Tout membre de la famille qui n’a aucun autre revenu peut toucher, mettons 50 000 $ à titre d’exemple, sans payer d’impôt.
La réglementation ne permet pas d’attribuer un dividende à un mineur, un enfant de moins de 18 ans, mais permet de répartir le revenu entre les enfants majeurs et les membres de la famille. Le projet présenté cet été par le gouvernement prévoit de lever, mettons l’impôt sur le revenu fractionné avec des mineurs, aux gens ayant entre 18 et 24 ans. Il ne serait plus possible d’opérer un fractionnement avec des enfants de moins de 24 ans.
Et après 25 ans... mettons après 24 ans et entre 18 et 25 ans... il faudrait qu’un bénéficiaire satisfasse à une autre condition pour que le fractionnement du revenu soit autorisé. Ce sera plus restrictif... de plus en plus difficile de fractionner le revenu entre les membres de la famille.
C’est le premier élément qui pourrait toucher les propriétaires d’entreprise. Le deuxième que j’ai mentionné concerne un changement relatif à l’exonération cumulative des gains en capital. Cela entre en jeu de façon très importante au moment de la vente d’une entreprise. Ici encore, cela concernerait les membres de la famille, n’est-ce pas?
Tout à fait. Et l’on utilise ici aussi la structure juridique que j’ai expliquée... certaines actions de la société sont détenues par une fiducie familiale, et quand les tests sont réussis et que l’entreprise est vendue, la réglementation actuelle permet de multiplier l’exonération des gains en capital avec les membres de la famille.
À titre d’exemple, prenons une entreprise vendue 5 millions $, dont les actions sont détenues par une fiducie familiale. Actuellement, si les actions répondent aux conditions concernant l’exonération cumulative des gains en capital, chaque membre de la famille peut épargner 220 000 $ d’impôt par, mettons à titre d’exemple, 800 000 $ reçus à la vente de l’entreprise. Cela permet de réduire l’impôt à la vente de l’entreprise.
Selon la nouvelle réglementation, ce ne sera plus possible, si le bénéficiaire de la fiducie familiale ou si certaines actions sont détenues par la fiducie et si tous les bénéficiaires ne travaillent pas activement dans l’entreprise.
Mon dernier point est un changement concernant la fiscalité des investissements passifs détenus dans une société. Et je pense que ce point retient l’attention de beaucoup des gens. Quelle incidence cela aurait-il?
OK. Actuellement, il n’y a aucun avantage au fait d’avoir un revenu de placement dans une société. Cela ne fait guère de différence que vous perceviez un tel revenu à titre personnel ou dans une société, mais il faut savoir qu’il existe deux types de revenu dans une société : le revenu actif et le revenu passif. Le revenu actif est soumis à un taux d’imposition moindre, s’appliquant au revenu d’entreprise dans l’entreprise.
Le gouvernement veut apporter une modification concernant le cas où un revenu actif est perçu dans une société et où l’argent est investi dans une société et génère un revenu passif. C’est ce que vise le changement prévu. Le revenu actif étant soumis à un taux d’imposition moindre, il est possible, quand le revenu actif est perçu dans une société, d’investir davantage que si vous le perceviez à titre personnel. La modification qu’on veut apporter vise le revenu passif perçu dans une société.
Maintenant, je comprends... Une dernière question... Tous ces changements proposés, et je sais que certains sont très controversés... Beaucoup de gens parlent de cela. Ils n’ont pas été trop bien accueillis par beaucoup de gens.
Y a-t-il des mesures que les gens devraient envisager de prendre en prévision d’une telle éventualité? Encore une fois, nous ne savons pas si ça va se faire, c’est à l’étape de la consultation, mais y a-t-il des choses auxquelles les gens devraient songer dès maintenant?
La réforme pourrait prendre effet en 2018. Le propriétaire d’entreprise qui a la structure de société permettant un fractionnement de revenu entre les membres de la famille devrait verser un dividende aux membres de sa famille en 2017, car la réforme pourrait être en vigueur l’an prochain.
En outre, s’il détient des actions d’une société et qu’il n’a jamais demandé l’exonération cumulative des gains en capital, il devrait prendre certaines mesures de planification fiscale en 2017 ou même en 2018, car le gouvernement a indiqué qu’il accorderait une autre année à des fins de planification fiscale. Il sera aussi essentiel de revoir la planification fiscale et successorale, car, aux termes des nouvelles dispositions, il existe une stratégie post mortem qui ne sera plus applicable, et si l’on ne peut plus utiliser cette stratégie, l’impôt à payer au décès sera plus élevé, à la mort du propriétaire d’entreprise. Il est donc essentiel que chacun rencontre son conseiller fiscal et analyse les conséquences dans sa situation.
Absolument. Sage conseil! Et nous allons nous revoir lorsque nous connaîtrons l’issue de ce dossier. Merci beaucoup.