
Contrairement à ce qui s’était vu dans le passé, de nombreux ménages sortiront de la récession en meilleure santé financière qu’au moment où ils y sont entrés, avec une épargne et un patrimoine plus élevés. Anthony Okolie discute avec Ksenia Bushmeneva, économiste, Groupe Banque TD, de la façon dont les ménages canadiens ont réussi à traverser cette période tumultueuse.
Ksenia, tu as récemment publié un rapport sur l’état actuel des finances des ménages canadiens. Une chose qui a retenu mon attention dans ce rapport est que tu dis que de nombreux ménages sont en meilleure santé financière maintenant qu’avant la pandémie. Peux-tu nous dire pourquoi, et expliquer où on en était et où on en est aujourd’hui?
Bonjour, Tony, absolument. Donc, pour revenir à la situation d’il y a environ un an. Il y a environ un an, à la fin de 2019, le nombre de consommateurs insolvables augmentait rapidement au Canada. C’était la même chose pour les coûts du service de la dette. En fait, le ratio d’amortissement de la dette, qui est une moyenne de l’argent que les ménages canadiens dépensent pour rembourser leurs dettes, et qu’on sait être assez élevé. Ce ratio a donc atteint un sommet sans précédent au deuxième semestre de 2019. Cela a évidemment pesé sur les finances des ménages : ce qu’ils pouvaient épargner en cas d’imprévu et ce qu’ils pouvaient dépenser.
Donc, qu’en est-il aujourd’hui? Le nombre de consommateurs insolvables a en fait diminué d’environ 30 % l’année dernière au lieu d’augmenter. Cette baisse est assez remarquable. Même chose pour le ratio d’amortissement de la dette, qui a en fait énormément diminué en raison de la baisse des taux d’intérêt. C’est donc une façon évidente dont les ménages ressentent en général moins de pression.
D’une autre part, les ménages ont aussi accumulé des économies importantes l’année dernière. Il y a évidemment plusieurs raisons qui expliquent cette situation. Les programmes de soutien du revenu du gouvernement ont aidé les ménages qui ont perdu leur emploi. On a aussi vu des ménages qui ont réduit leurs dépenses, comme les vacances et les restaurants. Les activités des commerces non essentiels ont été perturbées à plusieurs reprises. Tout cela a permis aux ménages d’accumuler des économies importantes l’année dernière. Enfin, ils ont également continué à accroître leur patrimoine, qui a augmenté d’environ 10 % l’année dernière grâce à de solides gains boursiers, mais aussi grâce à des gains sur le marché de l’habitation, avec les prix et la vente de maisons qui ont augmenté de plus de 10 %.
La plupart des ménages épargnent donc plus. Examinons maintenant la question de la dette. Quelles sont les tendances sur ce plan?
Mm-hmm. Tout à fait. Même si les ménages ont plus d’argent dans leurs comptes bancaires, ils ont continué à emprunter l’an dernier; l’endettement des ménages a augmenté en chiffres absolus et par habitant. En chiffres absolus, ça représente une hausse d’environ 4 % par rapport à la fin de 2019. Mais si on compare la dette au revenu disponible, qui essentiellement mesure l’équilibre dans les ménages, ça s’est en fait amélioré l’an dernier parce que, encore une fois, le revenu disponible a augmenté grâce aux transferts gouvernementaux. Même si cette amélioration devrait aussi être temporaire, le ratio de la dette au revenu avait en fait déjà commencé à augmenter, et selon nos projections pour le revenu et la dette des ménages, on prévoit qu’il va revenir à son niveau d’avant la pandémie ou même le surpasser au cours des prochains trimestres.
Qu’est-ce qui fait augmenter l’endettement des ménages?
C’est les prêts hypothécaires. En fait, le crédit hypothécaire a contribué à l’ensemble de l’augmentation de l’endettement des ménages, et plus encore. Parce que, encore une fois, les prix et la vente de maisons ont augmenté très rapidement au cours de la dernière année. Et si on regarde le crédit à la consommation, les ménages ont remboursé leur solde, le crédit à la consommation qu’ils détiennent, en particulier pour les cartes de crédit et les lignes de crédit non garanties, où les soldes sont environ 15 % plus bas qu’il y a un an.
Encore une fois, j’ai déjà mentionné certaines des raisons qui expliquent ça. L’épargne supplémentaire a permis aux ménages de payer leurs factures de carte de crédit. Mais ils ont aussi réduit les dépenses typiquement payées par carte de crédit, comme les vacances, les restaurants, l’essence, ce genre de choses.
La pandémie a révélé un réel fossé financier. Peux-tu nous en parler un peu?
Les Canadiens à faible revenu ont été beaucoup plus touchés par les pertes d’emplois pendant cette pandémie. C’est surtout parce que généralement ils travaillent dans les secteurs qui ont été les plus touchés par les mesures de confinement et autres restrictions.
Heureusement, les programmes de soutien du revenu du gouvernement ont vraiment aidé à réduire les difficultés dans ces ménages. Dans bien des cas, ils dépassaient même le revenu habituel des ménages. En général, les ménages à faible revenu ont en fait vu leur revenu disponible augmenter. L’écart entre le ménage au revenu le plus faible et celui au revenu le plus élevé au Canada a en fait diminué l’an dernier. Encore une fois, je parle de la moyenne des ménages.
Si on regarde l’endettement et le transfert de patrimoine de ces ménages, ils ont largement reproduit les tendances observées dans la population générale. Ils ont donc réduit leur crédit à la consommation et augmenté leur créance hypothécaire. Ils ont également connu des gains de patrimoine légèrement supérieurs à la moyenne.
Bien que ces développements soient certainement encourageants, le fait qu’on ait vu ces améliorations l’an dernier, si on regarde à long terme, ces ménages ont encore un patrimoine beaucoup plus bas que celui des ménages à revenu élevé. Et ces inégalités ont très peu changé l’année dernière.
Cela dit, encore une fois, grâce aux programmes de soutien du revenu du gouvernement, l’écart ne s’est pas creusé, au moins.
Et quelles sont tes prévisions pour la dette des ménages canadiens à court et à long terme?
À court terme, on croit que l’endettement des ménages va continuer à croître rapidement, encore une fois, en se basant sur le marché de l’habitation. Les prêts hypothécaires vont en constituer la majeure partie. À long terme, on prévoit que la croissance de la dette des ménages va ralentir un peu, tout comme l’augmentation de la créance hypothécaire. Encore une fois, il y a des raisons à cela, comme la très faible abordabilité dans le marché de l’habitation. Les décideurs pourraient également modifier les politiques macroprudentielles pour tenter de ralentir le marché de l’habitation. Aussi, les taux hypothécaires vont finir par augmenter.
D’un autre côté, on s’attend à ce que les consommateurs se tournent plus vers le crédit à la consommation à l’avenir. Aussi, à mesure que les gens vont se faire vacciner, ce qui va mettre fin à la pandémie, on prévoit que les ménages vont reprendre leurs activités normales. Ils vont recommencer à voyager et à aller au restaurant, ce qui va stimuler la croissance du crédit à la consommation. Par contre, les économies importantes signifient qu’il faudra beaucoup de temps avant que les ménages reviennent à leurs soldes de cartes de crédit d’avant la pandémie.
Ksenia, merci beaucoup du temps que tu nous as accordé.
Le plaisir est pour moi, Tony.
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