
Les marchés ont frôlé des sommets records alors que les nouvelles positives d’un vaccin contre la COVID-19 sont de plus en plus nombreuses. Bien qu’il pourrait y avoir de la lumière au bout du tunnel, les évaluations tiennent-elles compte que ce tunnel pourrait être très long? Kim Parlee en discute avec Priya Misra, chef, Stratégie mondiale liée aux taux, Valeurs Mobilières TD à New York.
Un peu plus tôt, j’ai parlé avec Priya Misra qui est chef de la stratégie mondiale des taux à Valeurs Mobilières TD à New York. Je lui ai demandé de préciser sa remarque sur le fait que les marchés ont réagi à la lumière au bout du tunnel, mais pas nécessairement au temps qu’il faudra pour sortir de ce tunnel. Voici sa réponse.
Les marchés ont vu les nouvelles sur les vaccins, et il faut dire que le taux d’efficacité rapporté dans les essais est largement supérieur à ce qu’on attendait. On espérait 60 %, 70 %. On atteint 95 %. C’est pour cela que je parle de lumière au bout du tunnel. Peut-être qu’à un moment donné, le monde entier pourra se faire vacciner. Mais il y reste énormément d’incertitudes d’ici là. Peut-on facilement distribuer le vaccin? Il faut maintenir des températures extrêmement froides.
Et qu’en est-il de l’efficacité pour des groupes démographiques pour lesquels les résultats n’ont pas été publiés? Le vaccin fonctionne-t-il aussi bien pour les plus âgés et les plus vulnérables? Et les cas asymptomatiques – le vaccin les empêche-t-il? Parce que si je ne présente aucun symptôme, et que je propage la COVID même après avoir reçu le vaccin, l’efficacité est bien moindre que ce qu’on espérait.
Je crois qu’on est donc encore dans la phase de questionnement liée au déploiement de ces vaccins. Et c’est pour cela qu’à mon avis, il faut maintenir les mesures de relance jusqu’à ce qu’on soit sûr d’avoir des solutions contre le virus. En cette période d’incertitude, les marchés sont tournés vers l’avenir, et on voit dans les cours qu’ils tiennent presque le vaccin pour acquis. Mais en réalité, pour l’instant, les cas COVID se multiplient et nous sommes en plein milieu d’une deuxième vague.
Parlons justement de la situation actuelle. J’aimerais savoir ce que vous pensez du risque de récession à double creux. Le nombre de cas est en hausse et un vaccin va arriver. Nous attendons des mesures de relance, qui seront peut-être allégées. Et le nouveau gouvernement mettra peut-être un frein à certaines mesures contre la COVID-19. Quand on tient compte de tout cela, qu’est-ce que vous anticipez?
La nouvelle administration n’est pas encore en place, et en ce moment nous sommes très préoccupés par la hausse des cas COVID. Nous n’observons aucune réduction. La croissance est exponentielle. En Europe, il y a eu des restrictions et certains signes montrent qu’elles ont un effet. Mais il y a un impact en Europe sur les données économiques. Et nos économistes voient un ralentissement de l’économie. On ne parle pas officiellement de double creux au sens où le PIB ne sera pas négatif dans les prochains mois. Mais on constate un net ralentissement du marché du travail, de l’inflation et de la consommation. Et c’est une combinaison des restrictions imposées par les gouvernements – les divers États ont mis en place des restrictions localisées – et de l’effet sur la confiance des consommateurs et les dépenses de consommation.
Des études ont été réalisées en avril et même sans aucune restriction, les gens avaient décidé de réduire leurs dépenses et de rester chez eux. Et certains indicateurs de mobilité confirment cette tendance. On s’inquiète donc de la trajectoire de l’économie à court terme.
Ensuite, comme vous l’avez dit, on attend un plan de relance budgétaire qui est en discussion au Congrès depuis juillet. Je suis peut-être cynique, mais je doute qu’on parvienne à une entente d’ici la transition à la nouvelle administration le 20 janvier. Sans entente, beaucoup de mesures de relance vont arriver à échéance, bon nombre des programmes de la Fed ont expiré. Nous craignons donc que l’augmentation des cas COVID et l’absence d’entente budgétaire portent un double coup dur aux consommateurs.
Une fois la nouvelle administration en place, nous avons bon espoir d’obtenir un accord. Vous parlez des restrictions liées à la COVID... Je ne suis pas certaine qu’il y en aura beaucoup à l’échelle nationale, mais je crois que les États vont réagir, et ils l’ont déjà fait. Mais nous verrons ensuite ce que fait l’administration Biden pour trouver un terrain d’entente avec les sénateurs républicains. Pour au moins obtenir une enveloppe d’un milliard de dollars, peut-être, en attendant d’être passés au travers et que la vaccination débute. Pouvons-nous obtenir plus de soutien budgétaire ou monétaire... C’est ce que le marché va regarder de près dans les prochains mois.
C’est intéressant, le marché se projette vraiment loin – le marché boursier, je précise – de la situation actuelle. Ce sera intéressant de voir si quelque chose fait surface dans ce domaine. Et qu’en est-il des titres à 10 ans? Vous avez déjà souligné qu’il se passe quelque chose d’intéressant. Dites-moi ce que vous voyez et pourquoi c’est important.
Je crois que les titres à 10 ans tiennent compte du vaccin. On se rapproche du niveau de 1 % sur 10 ans, ce qui n’était pas arrivé depuis le début de la COVID. Et c’est là que se situe l’attente : si les cas de COVID augmentent, s’il y a des risques de baisse de l’économie, et s’il n’y a pas d’aide budgétaire, je pense que les marchés se concentrent vraiment sur l’aide monétaire. La Fed va tenir une réunion cruciale dans quelques semaines. On espère un prolongement du programme d’assouplissement quantitatif et de son programme d’achats d’actifs, donc une politique plus expansionniste de la part de la Fed. Et c’est peut-être l’une des raisons pour lesquelles les actifs à risque sont en mesure de voir au-delà de la hausse des cas de COVID, en raison des prochaines mesures d’assouplissement monétaire.
On entend souvent des questions sur le décalage entre les actions et les taux – la Fed crée ce décalage en permettant une faiblesse presque excessive des taux d’intérêt. Elle maintient des taux bas, elle maintient les mesures d’assouplissement. Et c’est ce qui permet la hausse des actions. On s’attend donc à un assouplissement de la Fed en décembre, mais c’est un autre élément à surveiller à court terme.
Il ne me reste qu’une trentaine de secondes, Priya, mais j’ai une dernière question. Est-ce qu’il y a certaines choses dont nous n’avons pas parlé mais sur lesquelles vous gardez un œil actuellement?
Eh bien, je dirais l’abandon du LIBOR. Je pense que tout le monde devrait en être conscient... Le LIBOR risque de disparaître. Nous avons un délai d’un an mais la nouvelle a fait les manchettes : il ne vaut mieux pas utiliser le LIBOR en dollar ou dans d’autres devises. Mais plus généralement, l’année qui vient est très incertaine et il faut s’assurer d’avoir un portefeuille diversifié, car personne n’aurait pu imaginer l’année que nous venons tous de vivre. Et cette incertitude perdure. Je crois que nous sommes encore en pleine pandémie.
C’est tout à fait vrai. Priya, merci beaucoup.
Merci.
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