
Les marchés mondiaux ont de nouveau décroché, cette fois en raison de l’effondrement des prix du pétrole causé par une guerre des prix entre l’Arabie saoudite et la Russie. Robert Vanderhooft, chef des placements, Gestion de Placements TD, et Michael O’Brien, directeur général, Gestion de Placements TD, discutent des répercussions sur les marchés, le secteur canadien de l’énergie et les investisseurs.
[MUSIC PLAYING]
Je reçois Rob Vanderhooft, chef des Placements chez Gestion de Placements TD, et Michael O'Brien, gestionnaire de portefeuille chez Gestion de Placements TD. Messieurs, c’a été toute une journée sur les marchés! Prenez les marchés d’actions, le pétrole, plusieurs secteurs, les obligations d’État, c’a été brutal! La séance a été très brutale.
Ça me semble avoir été causé en bonne partie par le pétrole et les cours du pétrole. Michael, est-ce qu’on peut commencer par ça, par ce qui est arrivé au pétrole aujourd’hui, par la cause de tout ça?
Bien sûr, alors vendredi, il s’est produit un éclatement de l’OPEP Plus, qui regroupe les membres de l’OPEP, avec à leur tête l’Arabie saoudite, et certains non-membres, avec la Russie comme principal acteur. Pour la première fois depuis qu’ils se sont regroupés en 2016, les pays de l’OPEP Plus n’ont pu s’entendre sur une réduction de la production à leur réunion de vendredi. Le pétrole a dégringolé vendredi.
Les choses ont dégénéré pendant le week-end, les Saoudiens... les Russes déclarant : nous n’allons pas participer, tout le monde peut produire à volonté. Le samedi, les Saoudiens les ont pris au mot et ont déclaré qu’ils allaient ouvrir le robinet. Ils ont offert des rabais sans précédent sur les mélanges de bruts saoudiens, ce qui a été perçu par le marché comme une déclaration de guerre. Alors, les cours du pétrole ont sérieusement encaissé aujourd’hui!
KIM PARLEE : Dans une grande mesure... si l’on remonte un peu plus loin, pour les gens... le pétrole était déjà déprimé par les inquiétudes concernant la demande en raison de la Covid-19. C’est, je dirais, ce qui a mis le feu aux poudres.
Tout à fait. Le marché pétrolier est aux prises simultanément avec un choc de la demande et un choc de l’offre. Vous avez tout à fait raison. Le coronavirus a sérieusement sabré la demande de pétrole, d’où ce conflit sur le partage d’un gâteau amputé, qui est ce à quoi l’on assiste sur le marché pétrolier aujourd’hui,
mais la réaction des acteurs présents à la table, particulièrement des Saoudiens, a pris beaucoup de gens au dépourvu, les Saoudiens s’efforçant de signifier une fois pour toutes qu’ils n’ont pas l’intention de se sacrifier pour équilibrer le marché. Ils veulent que tous leurs partenaires contribuent à l’équilibre du marché.
Historiquement... nous avons bavardé avant l’émission... c’est une chose que les Saoudiens ont déjà dit qu’ils allaient faire, mais sont-ils allés aussi loin que ce qu’ils avaient dit qu’ils feraient?
Ouais, ils ont dit qu’ils pouvaient réagir en produisant jusqu’à 12 millions de barils par jour, du côté de l’offre. Dans le passé, l’Arabie saoudite n’a jamais produit plus de 10,5 millions de barils par jour. Il y a eu un mois, novembre 2018, où ils ont atteint 11 millions, mais ils n’ont que très rarement dépassé 10,5 millions de barils par jour. C’est vraiment la baisse de prix et la baisse de la demande auxquelles nous avons assisté qui expliquent l’impact observé.
KIM PARLEE : J’aimerais passer à l’actualité d’aujourd’hui sur les marchés, mais, pour terminer avec le pétrole, les gens se demandent notamment combien de temps ça peut durer. Vous dites que les Saoudiens ne veulent pas être seuls à faire le travail, mais combien de temps une hausse de l’offre met-elle à atteindre le marché et quel en est l’effet sur les prix?
C’est la grande question que les marchés doivent élucider et qu’ils doivent élucider rapidement. On espère qu’une ultime tentative viendra dénouer l’impasse. Le dialogue se poursuit au sein de l’OPEP. Il doit y avoir une réunion le 18 mars, au cours de laquelle le sujet sera abordé. Je pense que certains espèrent encore que la brutalité de l’effondrement des prix va ramener les gens à la raison.
Je serais un peu plus prudent à cet égard. Je pense qu’il y a plus d’éléments en jeu que ça. Et ce qui m’inquiète, c’est qu’en 2014, soit la dernière fois où les Saoudiens ont décidé d’ouvrir le robinet, ce qui a surpris tout le monde, et probablement plus les Saoudiens que nous, c’est le temps qu’il a fallu pour que cette guerre d’usure connaisse son dénouement, soit près de trois ans. Alors, j’espère qu’on ne va pas revivre ce genre de scénario.
J’aimerais passer à la réaction des marchés de façon plus générale. Vous avez mentionné que c’est arrivé vendredi, et les marchés étaient déjà durement impactés par la crise de la Covid-19. Aujourd’hui, la séance a été suspendue pour le S&P en raison du volume d’échanges. Pourquoi est-ce que ça entraîne un effondrement boursier aussi général?
Ouais, le pétrole est un facteur. C’est en fait le coronavirus et ses conséquences sur la croissance économique. Il y a eu de nouveaux cas aux États-Unis, et l’on s’est demandé si aux États-Unis le dépistage avait été à la hauteur de ce qui s’était fait ailleurs dans le monde. Les cas ne sont peut-être pas tous répertoriés.
On se demande ce que ça signifie pour la croissance économique mondiale, en plus de l’impact des prix pétroliers. C’est ce qui explique la réaction que vous avez pu observer en matinée. Michael a parlé de l’effondrement des prix pétroliers. Il y a eu dégringolade également dans le secteur financier.
J’aimerais savoir, quand vous regardez ça... La dernière fois que nous nous sommes parlé, il y a une dizaine de jours, nous avons eu une discussion approfondie sur la durée possible du problème, et le marché tâche d’en estimer le coût. Qu’en pensez-vous?
Encore une fois, c’est difficile à déterminer au stade actuel. Chaque cas est particulier. En 2008, nous avions un problème systémique et craignions de perdre le système financier. Au moment du krach de 1987, la situation était très, très différente. Chaque situation est particulière. Nous prévoyons un impact sur la croissance économique, sur les rendements attendus, mais avons néanmoins un scénario favorable aux actions à long terme.
Les taux d’intérêt sont maintenant très, très bas. Malheureusement, la situation peut persister un certain temps, il est difficile de savoir combien de temps ça va durer, de prédire le point le plus bas, mais nous sommes raisonnablement optimistes.
Qu’en est-il... je sais que le Comité de répartition des actifs de Gestion de patrimoine se réunit, qu’il examine évidemment de façon régulière l’analyse des risques pour différents secteurs et différents endroits. Vous avez effectué certains changements en conséquence de ce qui se passe.
Nous avons apporté de petits changements à notre scénario. Nous sommes passés d’une petite surpondération des actions, du côté des États-Unis, des pays émergents, à une position neutre vis-à-vis des actions. Nous avons opéré une petite réduction, en conséquence de l’impact du coronavirus sur la croissance économique et de l’impact des prix pétroliers.
Les prix pétroliers ont aussi fait partie des facteurs qui nous ont incités à réduire la pondération du dollar canadien. Plus grande neutralité vis-à-vis de l’or, surtout pour des raisons de gestion des risques et de couverture contre le système financier. Donc, de très petits changements à notre répartition des actifs à ce stade-ci.
J’aimerais savoir... en ce qui concerne les marchés. Bien entendu, le monde entier suit ça de près. Il y a des gens intéressés dans l’Ouest qui suivent ça de plus près encore quand il s’agit des prix de l’énergie. Quelle est votre opinion au sujet du secteur canadien de l’énergie? Il a été durement éprouvé déjà. Qu’est-ce que ça signifie?
C’est un autre coup dur pour les producteurs de l’Ouest canadien. Comme vous l’avez dit, ils font deux pas en avant, un pas en arrière depuis quelques années, en raison d’un problème d’accès aux marchés.
Les entreprises qui restent ont nettement amélioré leur structure de coûts, elles sont bien plus légères, bien meilleures, bien plus efficaces qu’elles ne l’étaient en 2014, 2015.
Malheureusement, dans le contexte actuel, elles vont devoir opérer des compressions. Ça veut dire renoncer à des projets de croissance intéressants? Il va s’agir plutôt d’assurer la permanence, de survivre au jour le jour. Bon nombre des meilleures entreprises sont bien placées pour réussir ça.
Les producteurs américains de pétrole de schiste présentent un rythme d’épuisement des réserves très élevé; un des atouts des producteurs canadiens, c’est qu’ils connaissent un rythme d’épuisement des réserves beaucoup plus faible. Ça veut dire qu’en pratique le maintien de leur production nécessite beaucoup moins de dépenses.
Je pense donc que le défi pour les Canadiens, c’est de garder les coûts le plus bas possible. Pour les Américains, le problème, c’est de devoir continuer à investir pour maintenir la croissance de la production. De part et d’autre, on fait face à des problèmes différents.
KIM PARLEE : Au sujet des banques centrales, vous avez indiqué que les taux pourraient baisser et rester bas longtemps. Peuvent-ils baisser davantage? La dernière baisse de taux opérée par la Fed n’a pas été trop bien accueillie, mais faut-il s’attendre à d’autres mesures de la part des banques centrales?
Le comportement des marchés aujourd’hui appelle certainement de nouvelles baisses par la Fed et les banques centrales. Les anticipations vont intégrer de telles baisses dès la semaine prochaine. Alors, oui, attendez-vous à ça. Des mesures d’assouplissement quantitatif, de relance budgétaire, sont également très possibles.
Je vais vous poser la même question que la dernière fois que nous nous sommes parlé. C’a été des jours, des semaines très difficiles pour les gens qui ont suivi le parcours en montagnes russes des marchés. Que diriez-vous à ceux qui se demandent ce qu’ils devraient faire?
Encore une fois, eh bien, les rendements boursiers ont été fort négatifs par rapport à leur niveau il y a 10 jours, mais, comme je l’ai dit la dernière fois, les rendements équilibrés n’ont pas été si négatifs par rapport au niveau où ils étaient il y a 10 jours. Nous avons peut-être perdu 1 % de plus. Les portefeuilles équilibrés ont inscrit un rendement négatif de 1 % ou 2 % en général par rapport à leurs très forts rendements de l’année dernière,
qui ont souvent atteint 15 %, 16 %, 17 %. Il faut situer les choses dans leur contexte. Il importe de détenir un portefeuille bien diversifié, bien équilibré au moment d’un épisode de fortes turbulences boursières comme celui que nous connaissons.
Rob, Michael, merci beaucoup.
[MUSIC PLAYING]