
Les six banques canadiennes ont enregistré des résultats par action records et surpassé les prévisions consensuelles par la marge la plus élevée jamais enregistrée au dernier trimestre. Pourquoi les banques canadiennes enregistrent-elles enfin d’excellents résultats? Continueront-elles à afficher des rendements supérieurs en 2021? Kim Parlee en discute avec Mario Mendonca, directeur général, Valeurs Mobilières TD.
J’aimerais qu’on parle d’abord du trimestre. Le résultat par action global a augmenté de 12 % au cours du trimestre. Pourquoi?
Oui, des résultats très solides pour l’ensemble des banques. C’est probablement attribuable aux pertes liées au crédit qui ont diminué de 44 % en glissement annuel. Il est clair que les banques ont été prudentes et qu’elles ont constitué des réserves de crédit suffisantes.
Comme le contexte commence à sembler un peu plus favorable, plusieurs banques, la plupart d’entre elles en fait, ont débloqué des réserves de crédit. Et les pertes réelles ont également été très faibles. Elles ont été inférieures aux prévisions, et les réserves ont été libérées. Je pense que c’est la principale raison derrière ces excellents résultats.
Mais ce n’est pas tout. Les chiffres d’affaires se portent bien. Les revenus des marchés des capitaux sont en forte hausse de 19 % sur 12 mois. On commence à voir d’autres sources de revenus importantes gagner du terrain, comme les frais des services bancaires de détail. Et il semble que même le revenu d’intérêts net, qui avait beaucoup diminué en 2020, commence à se stabiliser. Donc un très bon trimestre pour les banques.
Dans un instant, nous parlerons de la marge nette d’intérêt, parce qu’il se passe des choses vraiment intéressantes sur le marché. Mais d’après vous, peut-on s’attendre à ce que les banques maintiennent le rythme?
Oui. Si on regarde certains facteurs, comme le crédit, je m’attends à ce que les pertes liées au crédit augmentent à mesure que les aides du gouvernement s’amenuisent. Mais il faut bien garder en tête que les banques ont établi des réserves de crédit importantes en 2020. À mesure que les pertes réelles augmenteront, elles seront en mesure de libérer des réserves de crédit. Je ne vois donc rien de nouveau dans le contexte du crédit, dans l’horizon de crédit, qui fera dérailler cette tendance.
Pour ce qui est du chiffre d’affaires, on pourrait assister à un changement de garde. Ce qui a alimenté le chiffre d’affaires tout au long de 2020, ce sont des revenus extrêmement forts sur les marchés des capitaux. Et on s’attend à ce que ça se poursuive au deuxième trimestre. Mais à mesure qu’on avancera dans l’année, on peut s’attendre à ce que la marge d’intérêt nette prenne une place plus importante ou plus généralement, le revenu d’intérêts net. Et les frais bancaires, comme les frais de crédit, de carte de crédit ou de dépôt, on s’attend à ce qu’ils génèrent plus de revenus avec la fin du confinement.
Nous y reviendrons, mais pour nous en tenir aux évolutions récentes, qu’est-ce qui ressort particulièrement des résultats de ce trimestre?
La Banque Nationale et la Banque de Montréal affichent des résultats très solides. Elles ont généré une croissance des bénéfices avant impôt et avant provisions, ce qui exclut les effets de l’impôt et des pertes liées au crédit. La Banque Nationale a progressé de 20 % et la Banque de Montréal de 17 % sur 12 mois. C’est bien mieux que les autres, qui ont progressé d’environ 5 % sur 12 mois.
Et ce qui explique les résultats de ces deux banques, c’est leurs domaines d’activités. Elles sont un peu plus présentes sur les marchés des capitaux que leurs homologues. Mais en plus, ce sont les deux seules banques à avoir produit une croissance du revenu d’intérêts net. C’est vraiment remarquable. Leurs marges d’intérêt et sur prêt sont beaucoup plus stables que celles des autres banques du groupe.
Hum. Très bien, revenons maintenant sur les taux d’intérêt et le revenu d’intérêts net. L’inflation suscite beaucoup d’inquiétudes actuellement. Ces craintes ont secoué les marchés. Les taux de certains titres à 5 et 10 ans ont commencé à remonter. Et, bien sûr, tout cela est fondé sur l’inflation et sur le fait que les banques centrales finiront par décider de relever les taux. Quelles seront les répercussions pour les banques?
Avec le recul, si vous observez ce qui s’est produit en 2020 et au premier trimestre 2021, la Banque Nationale et la Banque de Montréal ont affiché des marges beaucoup plus stables que les autres. À l’autre extrême, il y a RBC pour qui la pression sur les marges est beaucoup plus forte.
La différence principale entre RBC d’une part, et la Banque Nationale et la Banque de Montréal d’autre part, c’est que RBC a beaucoup plus de dépôts à faible coût. Réfléchissez en termes de dépôts et de dépôts à préavis. Quand les taux baissent, la pression sur les marges est beaucoup plus forte pour une banque comme RBC, à cause de ces dépôts à faible coût. C’est impossible d’aller plus bas qu’un dépôt à taux d’intérêt nul, mais le rendement sur les actifs continue de diminuer.
Mais l’inverse est également vrai. Si, en effet, les taux à cinq ans augmentent – et ça s’est déjà produit au Canada et aux États-Unis – je crois que l’écart de rendement se refermera entre RBC et peut-être la Scotia et CIBC, qui sont un peu plus sensibles aux taux que la Banque Nationale et la Banque de Montréal. Ces banques afficheront de meilleures marges que la Banque Nationale et de Montréal. Et je pense que c’est une tendance qui se matérialisera si, effectivement, les taux continuent d’augmenter.
Hum. Une autre question importante sur laquelle tout le monde s’interroge, c’est celle des ratios de fonds propres qui battent des records, toutes banques confondues. Qu’est-ce qui se passe avec ces ratios?
Eh bien, quand on m’interroge sur les ratios de fonds propres, le mot qui me vient toujours à l’esprit, c’est la gloutonnerie. Nos banques sont bien au-delà du niveau auquel je m’attendais. Et les ratios de fonds propres ont monté en flèche malgré une situation de crise réelle. La pandémie coupe court aux simulations. Et que s’est-il passé? Les ratios de fonds propres ont augmenté au lieu de diminuer.
On pourrait dire que c’est en partie parce que les banques n’ont pas augmenté leurs dividendes ni racheté d’actions. Mais je crois que la vraie raison, c’est que les banques ont bien géré le risque et leurs résultats demeurent relativement solides. Nous en sommes à un point où, à l’échelle mondiale, les banques commencent à racheter des actions et à augmenter les dividendes. On constate une levée des restrictions. Ce n’est pas le cas au Canada. Il y a toujours un moratoire sur les hausses de dividendes et les rachats d’actions.
L’hypothèse la plus probable, à mon avis, c’est qu’en juin ou juillet prochain, le Bureau du surintendant des institutions financières augmentera la réserve pour stabilité intérieure. Ils l’ont fait passer de 200 à 100 points de base. Je crois qu’ils la ramèneront à 200 et diront que les perspectives sont bonnes.
Et je pense qu’à ce moment-là, peut-être en juin ou en juillet, nos banques seront autorisées à augmenter les dividendes et à racheter des actions. C’est l’ordre dans lequel il faut envisager les choses... augmenter les dividendes, racheter des actions, puis, peut-être, un peu plus tard, on verra de nouvelles fusions et acquisitions.
Hum. L’idée des fusions et acquisitions est intéressante. Les banques canadiennes ont été forcées – à tort ou à raison, je ne porte pas de jugement – d’adopter des positions de fonds propres plus fortes, et elles sont donc mieux placées pour de futures acquisitions.
Oui. De toute évidence, quand le ratio de capital est très élevé, c’est plus facile de conclure un accord parce que vous pouvez utiliser une plus grande partie de votre capital actuel. L’opération contribue davantage aux bénéfices ou du moins, ça réduit la dilution. Ça évite de faire appel au marché public pour obtenir beaucoup de fonds comme vous l’auriez fait par le passé. C’est donc très intéressant d’avoir des fonds propres pour faire une acquisition.
Mais les investisseurs devraient se souvenir que nos banques ne prennent pas ces décisions selon leur position de fonds propres. Les décisions de fusion et d’acquisition dépendent des occasions, de l’adéquation, de l’intérêt stratégique et financier, et non du capital excédentaire qu’elles détiennent actuellement.
On entend beaucoup de questions ces temps-ci sur le risque de fusion et d’acquisition, maintenant que les banques ont beaucoup de capitaux. Je ne vois pas les choses de cette façon. Nos banques ne fonctionnent pas comme ça. Elles ne se promènent pas dans les rues américaines avec des sacs de capitaux à la recherche d’une entente. Il faut que l’opération soit justifiée. Il faut que l’occasion se présente. Et si elles ont des capitaux excédentaires, tant mieux.
Oui. Belle image que ces banques qui arpentent les rues avec des sacs d’argent. Vous avez dit que les perspectives sont assez bonnes, semble-t-il, pour la plupart des banques canadiennes. Je sais que vous ne couvrez pas la TD, mais donnez-nous simplement votre point de vue sur les autres banques.
Oui. À très court terme, dans les trimestres qui viennent, c’est la Scotia qui, à mon avis, tire son épingle du jeu. Et c’est surtout parce qu’elle a connu une année 2020 très difficile. Les confinements en Amérique latine et l’arrêt des liaisons avec les Caraïbes ont vraiment plombé leurs activités internationales.
Je crois que ça commence à s’assouplir. En Amérique latine, c’est l’été. Les pays ont tendance à sortir du confinement. Je m’attendrais à ce que la Scotia, qui se négocie à un niveau inférieur aux autres, bénéficie de cette reprise en Amérique latine. Je la situe très haut dans le classement.
De mon point de vue, la Banque de Montréal est aussi en très bonne position. Ces activités sont en plein essor en ce moment, avec le plus fort levier d’exploitation du groupe au dernier trimestre, à 7 %. C’est la différence entre la croissance de leurs revenus et celle de leurs charges. La Banque de Montréal se classe très haut.
Mais j’aimerais nuancer mon propos. Je ne vois pas la Banque de Montréal remplir directement tous mes critères cette année. Même si j’ai confiance dans la Banque de Montréal, je crois que dans le courant de l’année, d’autres banques la dépasseront dans mon classement. L’une qui pourrait monter dans le classement, c’est la Banque Royale. Comme on vient de le dire, elle bénéficie de l’accentuation des mesures de relance. Quand les taux augmenteront un peu, je crois que cette banque pourrait en être l’une des bénéficiaires.
La prochaine banque sur la liste, c’est la CIBC. La CIBC répond à bon nombre de mes critères : une solide croissance des prêts hypothécaires, une moindre exposition aux marchés des capitaux. Je fais preuve d’une certaine prudence à l’égard de la CIBC, surtout parce que la banque s’est orientée vers une hausse des dépenses au deuxième semestre de l’année, en raison du remaniement de ses activités de détail au pays. En augmentant ses dépenses plus rapidement que les autres banques, la CIBC risque de faire retomber un peu l’enthousiasme des investisseurs.
Mario, c’est toujours un plaisir. Merci beaucoup.
Merci.
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