L’économie américaine a subi une croissance négative deux trimestres de suite. Malgré cette constatation, un doute plane sur le fait que la première économie mondiale soit entrée en récession ou non. Anthony Okolie reçoit Thomas Feltmate, économiste principal à la TD, qui parle des indicateurs positifs qu’il observe.
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Les marchés sont mitigés dans l’attente du rapport de vendredi sur l’emploi américain. Et même si ce dernier a fait preuve de vigueur, deux trimestres consécutifs de croissance négative du PIB laissent à penser que la plus grande économie du monde pourrait déjà être en récession ou sur le point d’en connaître une. Thomas Feltmate nous rejoint pour nous donner son avis sur la question. Il est économiste principal aux Services économiques TD. Thomas, vous avez entendu le débat… dans certains marchés, on affirme que les États-Unis sont déjà en récession. Les marchés, plus fermes dernièrement, affirment que la Fed relèvera tellement les taux que l’économie tombera en récession. D’autres, comme James Bullard, président de la Fed de St. Louis, ne sont pas de cet avis. Il a déclaré que la Fed n’allait probablement pas nuire à l’économie et réussirait un atterrissage en douceur. Quel avenir entrevoyez-vous pour l’économie américaine? Quel est votre avis sur la question? Oui, alors. À l’heure actuelle, la question est de savoir si l’économie américaine est en récession. Et, bien sûr, vous avez déjà souligné que les donnes du deuxième trimestre sur le PIB indiquaient 0,9 % en glissement trimestriel annualisé négatif, ce qui a envoyé des signaux d’alarme indiquant que l’économie américaine pourrait déjà être en récession. Deux trimestres de contraction de la croissance économique, c’est, premièrement, relativement peu pour affirmer une récession ou non d’une économie. Mais ce qu’il faut vraiment prendre en considération, c’est le Bureau national de recherche économique, qui est l’institut de recherche le plus important responsable de la datation des cycles économiques, utilise de nombreux autres indicateurs économiques pour déterminer si une économie est en récession ou non. Ils se penchent sur l’emploi, la production, les ventes au détail, les mesures du revenu également, etc. Et, bien sûr, lorsqu’on examine tous ces facteurs, on constate qu’ils sont encore très bons pour indiquer que l’économie américaine n’est pas encore en récession. Si on se penche sur l’emploi par exemple, l’économie américaine a créé 2,7 millions d’emplois au cours des six premiers mois de l’année. Le rythme des embauches demeure donc très sain. Le taux de chômage de 3,6 % se situe toujours près des creux historiques. Et puis, il y a aussi les offres d’emploi. Bien qu’elles aient diminué, il n’en demeure pas moins qu’il y a 1,8 emploi pour chaque personne actuellement sans emploi qui recherche activement. Du point de vue du marché de l’emploi, cela donne donc à penser que l’économie américaine n’est certainement pas encore en récession. Pour en revenir aux données sur le PIB, il y a certainement de quoi s’inquiéter, certains pensent qu’il pourrait y avoir une erreur de mesure dans le PIB. Examinons les fluctuations du PIB, c’est-à-dire les dépenses de l’économie, comparativement à des facteurs comme le revenu intérieur brut, qui correspond aux revenus de l’économie… chaque dollar dépensé doit figurer quelque part sous forme de revenu… ces mesures évoluent généralement en même temps. Mais on a observé une divergence récemment, ce qui donne à penser qu’il pourrait y avoir des problèmes dans la façon dont le PIB est mesuré. Et une partie de l’activité économique encore présente pourrait être sous-estimée dans l’économie aujourd’hui. Cela ne veut pas dire que la croissance économique n’a pas ralenti. Récemment, la confiance des consommateurs et des entreprises a vraiment diminué. Et cela commence à se faire sentir dans les mesures des dépenses de consommation. On observe un repli assez marqué de l’activité sous-jacente. Il y a donc certainement des signes de ralentissement, mais pas encore de récession. La Fed a clairement indiqué qu’elle était davantage tributaire des données plutôt qu’elles servent à titre indicatif. Les investisseurs ont vu que la Fed a augmenté les taux d’intérêt de 75 points de base. Et ils attendent toujours des nouvelles à ce niveau. Que pensez-vous de la dernière hausse de taux de la Fed? Je pense qu’elle était conforme à nos attentes. L’IPC de juin nous a indiqué qu’elle allait probablement procéder à une autre hausse de taux qualifiée de gigantesque, parce qu’on a constaté une hausse inattendue, une accélération accrue de l’IPC. Et on sait que la Fed s’en préoccupe en ce moment. La stabilité des prix est sa priorité en ce moment. Et l’inflation trop élevée. Elle aimerait que le taux se rapproche de la cible de 2 % de la Fed. Cela signifie que les taux doivent devenir plus restrictifs rapidement. Le président Powell a d’ailleurs souligné récemment l’importance de sortir rapidement la politique monétaire d’un état qui était très expansionniste et d’entrer dans un état très restrictif le plus rapidement possible. Cela justifiait cette hausse de 75 points de base. La question est de savoir si cette hausse est suffisante pour maîtriser l’inflation. Parce qu’on a entendu parler d’attentes d’inflation qui ne se réalisent pas et de la Fed qui pourrait devoir être plus audacieuse à l’avenir pour maîtriser l’inflation. Alors, a-t-elle fait suffisamment pour freiner l’inflation? Et peut-on y parvenir sans causer de récession? Qu’est-ce que vous en pensez? Très bonne question. Pour le moment, je dirais que non, pas nécessairement. Elle n’en a pas encore assez fait. Le taux directeur actuel est de 2,5 %, il est conforme au consensus du FOMC quant à la position du taux neutre. Et le taux directeur neutre, la meilleure façon de l’envisager, c’est un taux d’intérêt qui n’est ni restrictif ni expansionniste. Et parce qu’on sait qu’elle tente d’amener l’économie dans un territoire plus restrictif, ça donne à penser que les taux d’intérêt devront augmenter encore pour contenir l’inflation. Comme je l’ai dit, on a commencé à observer un certain ralentissement des données économiques, suggérant que les hausses de taux précédentes commencent à faire effet. Néanmoins, l’inflation est toujours là. Et c’est certainement un facteur clé qui jouera sur les futures hausses de taux d’intérêt. Vous avez déjà fait référence au président Powell qui a adopté cette stratégie plus axée sur les données pour procéder aux hausses de taux. Et je pense que les prochains rapports sur l’IPC, l’emploi… on en a deux de chaque avant la prochaine rencontre de la Fed… vont certainement nous indiquer les hausses qu’on devrait voir cette année. Maintenant, si on regarde le consensus des membres du FOMC, ils prévoient actuellement que nous aurons un autre resserrement de 100 points cette année seulement… ce qui, encore une fois, placera le taux directeur en territoire restrictif. Quant à savoir si cela va ou non plonger l’économie dans une récession, je pense que la plupart des prévisionnistes essaient encore de mieux comprendre la situation. Les données sur l’emploi au cours des prochains mois seront très révélatrices. Parce que, comme je l’ai dit, il y a encore un écart entre la croissance très forte de l’emploi et quelque chose qui n’indiquerait pas nécessairement une récession. Mais on sait que les choses peuvent changer rapidement. [MUSIQUE]