
Que vous soyez progressiste, conservateur ou quelque part entre les deux, laisser vos convictions politiques influencer vos décisions de placement peut nuire à vos résultats. Kim Parlee discute avec Marko Papic, stratège en chef du Clocktower Group et auteur de Geopolitical Alpha.
Selon mon prochain invité, l’ère de l’ignorance géopolitique a fait son temps. L’époque où un investisseur pouvait prospérer sans trop saisir les enjeux politiques ne sera qu’une parenthèse dans l’histoire, et la compréhension des marchés repose tant sur les considérations politiques et géopolitiques que sur les évaluations, les taux d’intérêt et les gains. J’accueille depuis Los Angeles Marko Papic. Il est associé et stratège en chef du Clocktower Group et auteur d’un nouvel ouvrage intitulé Geopolitical Alpha.
Marko, c’est un plaisir! Ça fait un moment. On est ravis de vous parler à nouveau. Je commence en citant un extrait de votre ouvrage, où vous parlez de votre cadre d’analyse politique – qui représente une part très importante de votre travail. Vous dites, en gros : « Soyez très attentif à vos préjugés, et enveloppez-vous d’indifférence. » Comment faire ça, surtout dans l’environnement actuel?
Il suffit de trouver une grande baignoire et de la remplir d’indifférence! Non, sérieusement, c’est très important – les enjeux politiques et géopolitiques sont vite devenus des obligations fiduciaires des investisseurs. Il ne faut pas succomber à l’émotion, car, ultimement, on essaie de prévoir quelles politiques vont influencer les évaluations et transformer les mouvements en multiples. Il faut donc redoubler d’efforts pour séparer en soi l’investisseur de l’humain.
Et c’est très difficile à faire pour bien des gens. C’est selon moi la principale raison pour laquelle les gens manquent ce qui se passe vraiment sur la scène politique. Qu’il s’agisse d’anticiper les 12 à 18 premiers mois de l’administration Trump ou les retombées de l’élection imminente sur les prix des actifs – trop de gens se laissent prendre par l’émotion et font des erreurs.
C’est intéressant, on se laisse vraisemblablement aller à l’émotion, c’est vraiment le cas. Mais aussi, comme vous le dites, les acteurs du marché ne sont pas très habiles à tenir compte des risques géopolitiques, et le marché est composé de vraies personnes, voilà pourquoi. Alors, qu’est-ce qu’on fait? Comment faire pour composer avec ce désalignement, quel est votre point de vue?
Le titre de mon ouvrage y fait justement référence, Geopolitical Alpha. Le marché n’est qu’un ensemble de parieurs qui essaient de voir venir le jeu, comme au football. Exemple : les Patriots l’emporteront sur les Bills par 7 points. C’est tout ce que fait le marché.
Et on doit se demander si les principales contraintes des décideurs permettent un tel dénouement. Bien souvent, le marché établit les prix en regard d’un événement politique donné en se basant, comme vous le dites, sur la réaction d’investisseurs émotifs. Puis il se produit autre chose. Il faut donc se préparer en menant une analyse politique.
Et c’est essentiellement là-dessus que porte le livre. Il s’agit d’outiller les investisseurs pour qu’ils puissent mener une analyse politique, sans trop compter sur les consultants et les fournisseurs de recherche, qui n’ont pas toutes les réponses, surtout ceux qui échangent avec de grands sages évoluant dans les corridors brumeux du pouvoir. C’est ce qui servira le moins les investisseurs à partir d’ici, je pense.
Et qu’entrevoyez-vous? Quelles sont vos perspectives actuelles?
Ce que je vois, pour le moment, c’est que l’élection n’a rien d’un affrontement Biden-Trump. Cette élection oppose un résultat pro-croissance à un résultat anti-croissance. Et par croissance, j’entends un élan budgétaire pour les 12 à 18 prochains mois. La réaction du marché dans les derniers jours – soit l’accalmie de septembre remplacée par un bel enthousiasme en octobre, à la surprise de plusieurs – s’explique par le fait que le marché est plutôt à l’aise avec la manifestation d’une « vague bleue ». C’est ce qui rassure les investisseurs quant à l’éventualité d’un élan budgétaire vigoureux dans les 12 à 18 prochains mois.
De même, advenant la victoire de Trump... Je pense que le président Trump a prouvé qu’en termes budgétaires, il peut collaborer avec la présidente de la Chambre Pelosi. Ils pourraient sûrement élaborer un plan de relance budgétaire si Trump était élu. Ce que le marché appréhende vraiment en ce moment – et à raison –, même si ce n’est pas des plus probables, c’est l’obstruction.
Un scénario d’obstruction adjoindrait à l’administration Biden un Sénat à majorité républicaine, ce qui donnerait lieu à un élan budgétaire probablement moindre au cours des 12 prochains mois – une situation qui risque d’empirer si les sénateurs républicains malmènent Biden côté relance, comme ils l’ont fait avec Obama de 2010 à 2016. Selon moi, c’est ce qui importe le plus pour le moment d’un point de vue tactique.
Ma foi, c’est décidément optimiste comme point de vue – sauf pour le dernier scénario que vous venez de décrire. Et j’imagine qu’il faut avoir une bonne idée des probabilités... Mais je veux aussi vous demander... Beaucoup de gens... On a observé un énorme rebond depuis le début de la pandémie et, comme vous le dites, un enthousiasme inattendu en octobre. Mais on voit... On parle d’une reprise en K, montrant que les marchés vont bien – les marchés mieux pourvus vont bien, et d’autres, non. Est-ce que ça nous rattrape à un moment?
Absolument. Premièrement, cette reprise en forme de K est un peu surestimée. Oui, le marché boursier s’est redressé assez vite, mais tout dépend des éléments qu’on regarde dans l’économie. Le taux de chômage a chuté plutôt rapidement – depuis des sommets centennaux d’environ 14 % à 8 %. On a vu la consommation de biens durables se redresser pratiquement en trois mois, ce qui avait pris six ans dans le dernier cycle.
Je dirais donc que la reprise économique est assez rapide, comparativement aux récessions précédentes. Voilà le pouvoir des mesures budgétaires. C’est pourquoi on cherche essentiellement à savoir, pour les 12 à 18 prochains mois, si la politique budgétaire restera expansionniste.
Vous dites que c’est foncièrement optimiste. Je suis d’accord. Je dirais que le marché envisage un scénario d’obstruction à 15 %. Selon moi, c’est de l’ordre de 30 %. Je vois une possibilité envisageable et non négligeable que Biden n’ait pas l’appui du Sénat.
Laissez-moi vous demander encore, avant l’issue de l’élection. Il pourrait y avoir une période de contestation des résultats. Qu’est-ce que ça implique? L’impact pourrait-il excéder des semaines ou des mois si les résultats sont contestés?
Non, je ne pense pas. En cas d’élection contestée – une situation peu probable, qui s’explique... Mais si ça arrive, je pense que les risques se situeront en décembre. Quoi qu’il en soit, dans la première semaine de janvier, toute contestation sera résolue. J’imagine que les investisseurs pourraient être portés à exagérer ce risque éventuel à long terme.
D’accord, mais pourquoi? Expliquez-moi pourquoi vous y voyez un risque moindre.
Eh bien, premièrement, les sondages n’indiquent pas que les choses iront dans ce sens. Et c’est intéressant, j’ai l’impression que beaucoup de gens sont restés marqués par 2016. Ils ont l’impression que les sondages ne valent rien. Pourtant, ils comptent. Les sondages nationaux comptent vraiment. Pourquoi? D’abord, parce qu’ils sont très fiables, contrairement aux sondages d’État.
Ensuite, parce qu’il est très difficile de remporter les votes du Collège électoral quand on perd l’élection nationale par plus de 3 % des votes. Ça ne s’est jamais vu. En fait, Donald Trump est le premier à avoir remporté le vote du collège électoral en perdant par plus de 2 % le scrutin général. Et il a réussi en remportant les États du Midwest par 80 000 voix.
Il doit donc réitérer l’exploit. C’est possible, mais l’écart entre lui et Biden devra se resserrer et passer de 10 % à 5 % ou moins d’ici le jour de l’élection. C’est beaucoup demander en seulement 20 jours.
Marko, on doit se laisser, mais ce fut un plaisir de vous parler. Il faudrait se revoir bientôt pour poursuivre la discussion. Merci beaucoup.
Bien sûr. Merci, Kim. Ce fut un plaisir de vous reparler.
[MUSIQUE]