
L’écart entre les dépenses et les revenus, qui a peu varié en près de 60 ans, s’est creusé en 2020 pour atteindre des niveaux historiques sous l’effet de la pandémie et des mesures extraordinaires prises par les gouvernements. Anthony Okolie et Sri Thanabalasingam, économiste principal, Groupe Banque TD, parlent de la possibilité que les ménages dépensent une plus grande part de leurs économies en 2021.
C’est exact, Anthony. Du côté des revenus, on a vu des mesures sans précédent prises par le gouvernement en ce qui a trait aux programmes de prestations en raison de la pandémie. On parle ici de la Prestation canadienne d’urgence et d’autres programmes de soutien. Ils ont vraiment fait grimper le revenu au deuxième trimestre. Au troisième trimestre, certaines de ces prestations ont pris fin. Mais elles ont quand même beaucoup stimulé les niveaux de revenu.
Il y a eu des revenus bien supérieurs à ce qu’ils auraient été dans une année normale. Ensuite, du côté des dépenses, il y a eu le confinement et, bien sûr, les problèmes de santé dus au virus, qui ont vraiment fait baisser les dépenses au deuxième trimestre. Et des millions de personnes ont aussi perdu leur emploi.
La réouverture de l’économie au troisième trimestre a entraîné une remontée des dépenses, mais pas vraiment au niveau d’avant la pandémie. Il y avait donc encore un grand écart entre les revenus et les dépenses. Et selon nos calculs, c’était environ 10 fois plus que ce que nous aurions vu dans une année typique.
Tandis qu’on aborde cette reprise inégale de l’économie, parlez-nous des secteurs qui ont vraiment été touchés par la baisse des dépenses et de ceux qui ont prospéré durant la pandémie.
Oui. Dans le secteur du commerce de détail, les dépenses liées aux articles ménagers et à l’ameublement ménager ont vraiment augmenté aux deuxième et troisième trimestres. Et c’est surtout parce que beaucoup de ménages qui, en temps normal, seraient partis en vacances, ou qui auraient dépensé de l’argent pour des services de haute technologie ou des sorties au restaurant, ils ont dépensé davantage pour rénover leur maison, d’autant plus que beaucoup de gens travaillaient aussi de la maison. C’est ce qui explique l’augmentation des dépenses dans ces catégories.
En revanche, comme je l’ai mentionné, pour ce qui est des services de restauration, de même que les voyages et le tourisme, alors que les gens ne vont plus en voyage, les dépenses ont vraiment chuté dans ces secteurs. Par exemple, dans le secteur des voyages ou des services de transport, les dépenses étaient inférieures de 72 % à ce qu’elles étaient avant la pandémie.
D’accord, Sri, parlons d’abord du revenu. Quelles sont vos perspectives pour cette année?
Du côté des revenus, on continue de s’attendre à ce qu’ils diminuent davantage par rapport à ce qu’on aurait pu prévoir, ou qu’ils se normalisent par rapport aux niveaux très élevés de 2020. Pour ce qui est des programmes de soutien gouvernementaux qui continuent de faire augmenter les revenus, il y en a quelques-uns qui vont prendre fin au début de 2021, et les gens vont cesser de recevoir des prestations d’assurance-chômage au fur et à mesure qu’ils vont reprendre leur emploi, ce qui va correspondre davantage à la reprise du marché du travail dans son ensemble. On prévoit donc que les niveaux de revenu vont commencer à se normaliser en 2021.
D’accord. Passons maintenant aux dépenses. Dans votre rapport, vous faites preuve d’un optimisme prudent quant au fait que les dépenses vont décoller. Et vous mentionnez plusieurs facteurs. Parlons d’abord du premier facteur, les développements positifs par rapport au vaccin.
Oui, le vaccin commence à être déployé au Canada. La distribution du vaccin aux populations vulnérables devrait permettre aux gouvernements de réduire certaines des restrictions actuellement en place, ce qui stimulerait les dépenses.
Un autre facteur dont vous parlez est la demande refoulée.
Oui, du côté de la demande refoulée, les Canadiens sont restés cloîtrés chez eux tout au long de l’hiver en raison des restrictions et, bien sûr, du temps froid. Avec l’arrivée du printemps et le temps plus chaud, on peut s’attendre à ce que les Canadiens profitent de nombreux services qu’ils tenaient peut-être pour acquis pendant... avant la pandémie.
Et le troisième facteur, c’est l’épargne élevée.
Les Canadiens ont épargné beaucoup aux deuxième et troisième trimestres, en particulier les ménages à revenu élevé. Étant donné qu’ils ne pouvaient pas voyager, il y en a beaucoup qui ont augmenté leur épargne. On a calculé qu’aux deuxième et troisième trimestres, les Canadiens ont épargné environ 150 milliards de dollars. Avec ce montant-là, la demande refoulée pourrait être libérée et stimuler la croissance des dépenses dans son ensemble cette année.
Enfin, la richesse des ménages est plus élevée.
Oui, les Canadiens ont vu leurs actifs prendre de la valeur, et la plus grande partie de cette hausse provient du marché de l’habitation, qui a été assez chaud pendant l’été, jusqu’à la fin de l’année. Avec cette augmentation de la richesse, nous serions censés voir une hausse de la consommation au cours de l’année. On s’attend donc à ce que ça stimule également les dépenses.
Dans l’ensemble, donnez-nous un aperçu de vos perspectives en matière de dépenses et de croissance économique.
Sur le plan des dépenses, on s’attend à ce que ce soit le principal moteur de la croissance économique à moyen terme. On parle ici des deux prochaines années. On prévoit donc une croissance annuelle moyenne de la consommation d’environ 4,6 %. C’est une croissance assez forte. Et comme je l’ai mentionné, avec ces économies excédentaires, si les Canadiens en dépensent une plus grande partie, la croissance de la consommation pourrait augmenter. Mais en même temps, du côté du vaccin et du virus, s’il y a des développements négatifs, ça pourrait aussi restreindre les dépenses.
Il y a donc des risques de hausse et de baisse à ça. Et l’avenir est en grande partie incertain. Mais compte tenu de l’évolution actuelle, on s’attend à ce que la croissance de la consommation soit assez forte cette année et l’année prochaine.
Sri, merci beaucoup pour votre temps.
Merci, Anthony.
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