Le stress au travail touche de plus en plus de personnes et a des répercussions sur la productivité et les résultats. Le Dr David Posen, auteur de Is Work Killing You?, discute avec Kim Parlee de la gestion du stress au travail et de la raison pour laquelle les employeurs et les employés doivent collaborer pour combattre le stress.
Votre livre s’intitule Is Work Killing You? (Le travail est-il en train de vous tuer?) La question, c’est : est-ce que c’est vrai?
C’est littéralement possible... une crise cardiaque, une attaque. Un interne, à Londres, en Angleterre, un jeune homme, d’environ 21 ans, qui travaillait sans relâche depuis trois semaines, a été pris de convulsions et est décédé. Le travail, surtout, mine l’énergie, mine l’engagement, mine le moral, mine l’attitude. Et vous savez quoi d’autre? Il mine le rendement et la productivité.
La chose fascinante chez les travailleurs stressés, c’est qu’une bonne partie du temps et de l’énergie dépensés est improductive. Au-delà d’un certain point, c’est l’inverse de l’effet recherché que produisent les longues heures et le stress excessif. Ça mine beaucoup de choses, y compris le résultat. L’aspect rentabilité justifie amplement que l’on s’intéresse à la question.
Sans en venir immédiatement aux mesures à prendre, le problème va-t-il plus loin? A-t-il des causes particulières? Je sais que vous avez relevé trois problèmes majeurs au travail.
Comme vous l’avez dit, il y en a plusieurs... rapidité du changement, technologie, etc., mais j’ai ramené ça à trois. Il y a le volume de travail que l’on demande aux gens d’accomplir, particulièrement avec la rationalisation. Les effectifs sont réduits au minimum. Les « chanceux » qui restent doivent faire le travail de ceux qui sont partis.
Il y a la vitesse, le rythme de travail, qui s’est beaucoup accéléré en raison des technologies, mais aussi l’irréalisme des attentes et l’impatience. Tout le monde veut quelque chose sur le champ.
Tertio, il y a les abus, l’intimidation, le harcèlement, la brutalité au travail. Ça peut être des abus sexuels, des comportements racistes. Souvent, ça passe inaperçu, on ne s’occupe pas du problème. Souvent, l’entreprise connaît les auteurs de tels actes, mais ne sévit pas contre eux. Les patients que je reçois le plus longtemps sont ceux dont le principal problème au travail a trait aux abus dont ils sont victimes. Le volume, la vitesse et le rythme de travail ainsi que les abus, voilà pour moi les trois problèmes majeurs.
Vous avez parlé d’un jeune interne qui est décédé d’avoir trop travaillé. Que se passe-t-il sur le plan physiologique, biologique, quand ce volume, ce rythme de travail, ces abus se répètent constamment?
Eh bien, la réaction au stress est innée, cette réaction de lutte ou fuite, qui nous donne l’énergie de lutter ou de fuir face au danger. Cette réaction classique au stress remonte à l’époque de l’homme des cavernes. Elle fait intervenir l’adrénaline, la noradrénaline, la cortisone et toutes les hormones générées par le stress. Or, vous ne pouvez demander indéfiniment à votre organisme de vous donner de l’énergie, si vous n’avez pas le temps de vous arrêter pour reconstituer votre réserve d’énergie.
L’organisme est comme un compte en banque. Vous devez l’approvisionner avant de pouvoir effectuer un retrait. Résultat, quand quelqu’un se surmène, comme ce jeune homme l’a fait, pendant des semaines, sans aucun répit, l’organisme flanche. Les surrénales s’épuisent. Ça affecte le cœur, le cerveau, la tension, le cholestérol, tout le reste. L’organisme ne peut supporter ça.
Comment remédier à la situation? J’allais dire, l’abus, je pense, est une chose plutôt flagrante, bien qu’il semble que ça passe très souvent inaperçu d’après ce que vous dites. Dans le cas des gens aux prises avec un stress lié au volume et au rythme de travail, que faites-vous pour ça, car il s’agit d’une personne face à une entreprise?
Fait intéressant à ce sujet, les gens qui attribuent le travail sont souvent eux aussi stressés. Le message s’adresse à tout le monde le long de la chaîne alimentaire. C’est une chose. La deuxième chose, c’est que beaucoup d’entreprises considèrent qu’il revient à l’individu de régler le problème. Vous avez ce travail à exécuter. Nous avons des délais à respecter. Trouvez le moyen de réduire votre stress. Trouvez un équilibre entre vie et travail, etc.
Un des messages de mon livre, c’est qu’il s’agit d’une responsabilité partagée. Le problème est systémique. Il ne peut être résolu par les individus seuls, qui sont souvent, entre guillemets, « les victimes » de la situation. L’entreprise doit assumer sa part de responsabilité. Quel niveau de stress impose-t-elle ou niveau de pression et ainsi de suite? Vous pouvez exceller à réduire le stress. Vous pouvez courir, méditer, bien manger, dormir beaucoup, etc., si le stress ou la pression vous assaillent plus rapidement que vous ne pouvez les chasser, vous serez toujours en déficit. C’est une responsabilité partagée.
Quant à ce que les individus et les entreprises peuvent faire, la première chose est de limiter les heures de travail, car les études le révèlent, et c’est fascinant, le nombre d’heures par semaine qui assure la productivité optimale tourne autour de 40. Vous pouvez étirer ça à 45 ou 50. Au-delà, vos roues commencent à patiner. Vous n’obtenez plus beaucoup de productivité, mais vous vous épuisez. Donc, limitation du nombre d’heures.
Pauses régulières, soit une pause en avant-midi, une pause le midi, une pause en après-midi; la pause du midi divise la journée en ce qu’on appelle les rythmes ultradiens. En plus du cycle veille-sommeil de 24 heures, nous avons des cycles de deux heures pendant la journée. Si vos pauses sont synchronisées avec vos cycles énergétiques, vous serez beaucoup plus productif. Certaines personnes me disent pouvoir faire une pause au milieu de la matinée et une pause pour le lunch. Si vous faites ça, votre productivité va augmenter.
En troisième lieu, il faut se pencher sur la charge de travail. Il y a une expression, « ajoutez une chose, retranchez une chose ». Vous ne pouvez pas toujours ajouter des choses. Par ailleurs, la personne doit aussi apprendre à dire non et fixer des limites. C’est là que la responsabilité individuelle peut s’affirmer.
Pour ce qui est de la vitesse, il faut mettre fin à l’emploi excessif de la technologie. Il faut aussi cesser de s’attendre à une disponibilité 24 h sur 24, 7 jours sur 7, à ce que les gens vérifient leurs messages à 23 h 30 et à ce qu’ils répondent. L’autre chose, c’est l’équilibre vie-travail... les gens doivent avoir une vie après le travail. Le travail n’a plus guère de limite.
Une de mes expressions, c’est que le travail n’a plus de limite. Or, la physiologie nous impose des limites. Nos capacités sont limitées. Les gens doivent se fixer des limites et se ménager du temps pour le sommeil, l’exercice, les loisirs, les hobbys, les amis et la famille. Cet équilibre vous permettra non seulement de vous sentir mieux, mais de fonctionner mieux. Votre rendement et votre productivité s’amélioreront.
Excellentes suggestions! J’ai une dernière question, qui concerne surtout l’aspect technologie. Par rapport à ce que vous avez observé et aux gens à qui vous avez parlé, dans le cas de bien des gens, les appareils fonctionnent en permanence, vous êtes connectés 24 h sur 24, 7 jours sur 7. D’un autre côté, ça procure une certaine flexibilité, ça permet à certains de quitter le travail plus tôt pour faire autre chose. Est-il possible d’avoir cette flexibilité que procure la technologie sans devenir esclave de la technologie?
Absolument. Premièrement, sortez la technologie de votre chambre. Deux patients, en l’espace d’une semaine, m’ont dit s’être couchés le soir avec un iPad d’un côté et un iPhone de l’autre, dans le lit. C’est chercher les ennuis. J’appelle ça « chercher les ennuis ». Utilisez la technologie, mais cessez de la laisser vous utiliser.
Déterminez les heures de connexion et les heures de déconnexion, l’accessibilité d’un portable selon l’heure. Quand est-ce qu’il sera dans votre poche ou sur le buffet dans une autre pièce? Servez-vous-en pour gagner en flexibilité; pouvoir quitter le travail tôt le vendredi, etc., c’est génial, mais cessez de vérifier votre portable à 23 h, le soir. L’étude a révélé que de consulter un écran une heure avant de se coucher nuit au sommeil, car ça envoie au cerveau le message qu’il doit rester éveillé.
Nous devons établir des limites, et beaucoup de gens le font. Certains, quand ils partent en vacances, n’apportent plus leurs portables. Des patients m’ont dit qu’ils n’avaient pas eu d’aussi bonnes vacances depuis des années. Vous pouvez faire ces choix.
Merci.
Je vous en prie. C’est moi qui vous remercie.