La hausse des taux d’intérêt a aidé à ralentir certains secteurs du marché canadien du logement en pleine effervescence. Francis Fong, économiste principal, Groupe Banque TD, s’entretient avec Greg Bonnell pour expliquer que, malgré la baisse des ventes et des prix, beaucoup pourraient toutefois trouver que le marché est encore trop cher.
La hausse des taux d’intérêt a un effet modérateur sur certaines parties du marché canadien de l’habitation. Mais ce n’est pas parce que les prix ont baissé et qu’on prévoit qu’ils devraient baisser encore que l’immobilier devient plus abordable. On va maintenant examiner ça avec notre invité de la journée, Francis Fong, économiste principal, Services économiques TD.
Francis, c’est un plaisir de vous avoir avec nous. C’est une notion intrigante, n’est-ce pas? L’idée que, oui, il y a des prévisions sur le prix des maisons, y compris celles des Services économiques TD, selon lesquelles les prix vont reculer. Vous dites qu’il ne faut pas se laisser emporter par cette abordabilité-là. Expliquez-moi ça.
Oui. Par exemple, si vous êtes un acheteur potentiel d’une maison et que vous pensez que les prix vont commencer à baisser, que c’est peut-être le moment d’acheter. Malheureusement, l’histoire ne sera pas aussi simple que ça. Faisons le point là-dessus.
Le prix des maisons a déjà chuté d’environ 10 %. Les ventes ont diminué d’environ 25 %. Et on prévoit qu’au cours du reste de l’année, les prix moyens vont diminuer d’environ 10 points de pourcentage de plus, environ. Donc, au total, ça va atteindre environ 20 % du sommet au creux jusqu’à la fin de l’année. Mais tout ça est attribuable à la hausse des taux d’intérêt, comme on le sait tous.
La Banque du Canada a déjà augmenté les taux d’environ 125 points de base. Les taux hypothécaires ont augmenté d’environ 140 points de base par rapport à l’automne dernier. Donc si on prévoit une hausse encore plus marquée des taux d’intérêt, on va observer une hausse importante des taux hypothécaires dans leur ensemble.
Alors, selon nos estimations, si les taux d’intérêt augmentent d’environ un point de pourcentage, il va falloir une baisse des prix de 8 % à 11 % environ pour que votre paiement hypothécaire mensuel demeure sensiblement le même. Essentiellement, la baisse des prix est à peu près conséquente avec ce qu’on anticipe par rapport aux taux d’intérêt.
Donc, dans l’ensemble, même si les prix sont un peu plus bas, vous allez tout de même avoir un paiement mensuel plus élevé. Et ça va être un défi pour les gens qui espèrent acheter. Mais évidemment, ça aide pour la mise de fonds. Mais dans le même ordre d’idées, si votre épargne a été sur le marché au cours de la dernière année, ça n’a pas été très positif non plus.
Et vous avez parlé d’un pourcentage impressionnant, à savoir que si les prévisions se réalisent, le prix va diminuer de 20 % par rapport au sommet. Mais ça ne nous ramène même pas, je crois, à la période précédant la pandémie, car les prix ont fortement augmenté durant cette période-là.
Oui. Tout à fait. Prenons l’exemple de l’Ontario. On a vu une augmentation spectaculaire de plus de deux tiers dans la RGT. Mais les hausses de prix à l’extérieur de la RGT dans l’ensemble de la province ont été plus élevées.
Donc, vraiment, cette sorte de baisse de l’abordabilité a touché tout le monde, alors qu’on a vu beaucoup de gens pendant la pandémie quitter les grandes villes et chercher des propriétés plus abordables ailleurs. Alors oui, il y a certainement eu une hausse massive des prix après la pandémie. Et cette baisse de 20 % ne fait que corriger la situation. On reviendrait donc à des niveaux un peu semblables à ceux du début de 2020 ou de la fin de 2019, je ne me rappelle pas exactement quand, où les prix étaient tout à fait abordables pour les gens.
Certains disent, évidemment, que lorsque ce type de hausse de taux exerce des pressions sur les prêts hypothécaires et les ménages, cela pourrait entraîner de très graves répercussions pour le marché canadien de l’habitation. Je ne fais aucune prédiction, car je ne suis pas économiste. C’est pourquoi je vous ai invité.
Mais quelle est la dynamique du marché? Au cours des 10 dernières années, pendant lesquelles je couvrais vraiment l’immobilier canadien, le marché a connu beaucoup d’obstacles, et il semble tous les surmonter. Les gens se demandent sans doute quand le marché va être incapable de surmonter un de ces obstacles-là.
Oui, cette histoire de résilience a vraiment été, selon moi, une caractéristique distinctive de l’économie canadienne par rapport à beaucoup d’autres pays dans le monde. Et cette histoire-là a toujours été fondée sur quelques éléments clés. Si on regarde les cycles d’expansion et de repli qu’on a vus dans d’autres marchés de l’habitation par le passé, par exemple aux États-Unis, et l’exemple évident, c’est entre 2000 et 2006 : une forte hausse des prix, et un énorme effondrement pendant la crise financière.
Le facteur de différenciation entre les États-Unis et le Canada, c’est en fait la qualité du crédit, où la forte hausse des prix aux États-Unis a été provoquée par des emprunteurs qui n’avaient fondamentalement pas les moyens d’acheter ces maisons-là. Eh bien, si on compare ça à ce qui se passe au Canada, et ce qu’on a vu au cours des 10 ou 20 dernières années, c’est cette hausse graduelle de la qualité du crédit, ce qui est, selon moi, assez incroyable pour beaucoup de gens.
Parce que, essentiellement, ce que ça signifie, c’est que les gens qui achètent à ces prix incroyablement élevés sont peut-être ceux qui sont les plus en mesure de se le permettre. Si on ajoute à ça le fait que la formation continue des ménages surpasse l’offre de logements ou la construction de logements neufs, et la croissance de la demande globale provenant de toutes sortes de personnes, on constate que le marché canadien de l’habitation s’est essentiellement maintenu malgré tous les chocs qu’on a vus ces derniers temps.
Un excellent exemple de ça, c’est l’Alberta après 2014. Les prix du pétrole se sont effondrés. On pourrait croire que la forte hausse des prix qu’ils ont connue avant ça... parce que le taux de chômage a doublé, ce qui était aussi associé à une hausse des taux d’intérêt à ce moment-là. Pourtant, on n’a jamais assisté à un effondrement majeur des prix des maisons. En fait, ils ont perdu du terrain, jusqu’à ce que la situation s’améliore récemment.
Alors oui, pour revenir à votre point, il y a eu énormément de résilience. Mais actuellement, on pourrait dire qu’on teste ça à l’échelle nationale. On anticipe une très, très forte hausse des taux d’intérêt. Et je pense que toute cette notion de résilience du marché canadien de l’habitation va vraiment être mise à l’épreuve.
Est-ce que c’est lié, en fin de compte, au marché du travail? Je pense à la période où, avant les perturbations causées par la pandémie et avant que tout ce qu’on pensait avoir compris ne dérape, si j’avais des invités devant moi qui parlaient du marché de l’habitation, je leur demandais, en fin de compte, quel serait le plus grand défi pour le marché canadien de l’habitation? Et ils me répondaient : les emplois.
Quand les gens ont un emploi, ils essaient de faire leurs paiements hypothécaires. C’est le manque d’emplois. Quelle est la situation actuelle de l’emploi au Canada? Je sais quelle est la situation, mais qu’est-ce qui nous attend de ce côté-là? Est-ce que ça pourrait être un problème?
Oui, absolument. De toute évidence, le taux de chômage a atteint un creux record de 5,1 %, soit son plus bas niveau depuis 1974. Le marché du travail est donc extrêmement serré en ce moment. C’est donc évidemment une bonne chose.
C’est un bon point de départ. Mais dans le même ordre d’idées, ça signifie qu’il y a un certain risque qu’il y ait des revirements, certainement à mesure que les taux d’intérêt vont commencer à grimper. Donc, je pense qu’il y a assurément une certaine vulnérabilité du marché de l’habitation par rapport aux pertes d’emplois.
Mais je pense que la vraie difficulté, encore une fois, par exemple, si on regarde en arrière, même récemment, en Alberta... encore une fois, le taux de chômage a doublé pendant cette période-là. Cette province a été la seule à être durement touchée, en quelque sorte, parce qu’elle est la plus exposée aux prix du pétrole, et pourtant, on n’a toujours pas observé de baisse structurelle des prix des maisons.
Donc ça soulève vraiment la question de savoir, en fin de compte, qu’est-ce qui peut toucher le marché? Si le marché a déjà subi une forte hausse du chômage et des taux d’intérêt, qu’est-ce que ça prend de plus pour l’abattre?
Je vais vous poser une dernière question.
Oui, bien sûr.
Parce que tout le monde essaie de comprendre ce qui se passait dans le marché immobilier canadien, quel était le véritable moteur. Est-ce que c’était une combinaison de facteurs? L’intérêt des investisseurs... même la Banque du Canada a récemment effectué des recherches sur l’ampleur de l’activité des investisseurs sur le marché. Et c’est assez important. Est-ce qu’il y a un risque, dans une baisse comme celle-ci, que les investisseurs commencent à disparaître?
Oui, absolument. Selon des données récentes de la Banque du Canada, dont les recherches phénoménales proviennent de son système financier, la proportion des acheteurs d’une première maison, qui représente habituellement plus de 50 % de l’ensemble des achats, a diminué de façon graduelle. Mais le repli s’est quelque peu accentué, les investisseurs ayant pris la relève au cours des deux dernières années, après la pandémie, si on peut dire.
Est-ce que cette situation peut se renverser? Le vrai défi, selon moi, c’est de déterminer d’où provient la croissance de la demande des ménages. En fin de compte, il y a eu une forte demande des ménages provenant de l’immigration, des jeunes seulement qui ont quitté la maison de leurs parents et sont partis ailleurs. Est-ce que ce type de repli se produit si les taux d’intérêt commencent à augmenter et que l’abordabilité commence à se détériorer? Parce qu’on entre dans une situation très, très difficile du point de vue de l’abordabilité, simplement parce que les taux sont si élevés.
Est-ce que c’est un repli? Oui. Absolument. Oui, tout à fait, je pense que c’est un risque. Mais, chose certaine, le temps va nous dire si un tel événement peut déclencher un problème structurel.
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