
La pandémie de COVID-19 a entraîné une forte baisse de l’immigration au Canada, ce qui pourrait avoir des répercussions à long terme sur le secteur de l’habitation au pays. Anthony Okolie et Rishi Sondhi, économiste, Groupe Banque TD, discutent des perspectives du marché immobilier canadien.
Oui. Eh bien, les chiffres montrent que la croissance de la population ralentit au Canada. En avril, l’immigration a reculé de 80 % sur 12 mois. Au premier trimestre, la croissance démographique était au plus bas depuis 2015, ce qui montre clairement que la pandémie pèse sur l’influx de population au pays.
Maintenant, pour ce qui est des répercussions sur le logement, c’est assez simple. S’il y a moins de monde, il y a moins de demande pour le logement locatif ou en propriété. Bien sûr, les répercussions sur la location par rapport à l’achat dépendront des causes du ralentissement démographique. Mais encore une fois, pour répéter, c’est assez simple : quand il y a moins de gens qui viennent au pays, la demande en logements diminue.
Pensez-vous que ces répercussions seront temporaires ou à plus long terme?
Eh bien, nous pensons que par nature, on ressentira les effets à plus long terme. Les prévisions actuelles tablent sur un ralentissement de la croissance démographique de 2 % jusqu’en 2021. Nous ne pensons donc pas que les effets vont se limiter au deuxième semestre de cette année, pour se dissiper par la suite. On s’attend à ce qu’ils perdurent au moins pendant l’année prochaine.
Vous dites aussi dans votre rapport qu’en général, les immigrants et les résidents non permanents louent avant d’acheter. Quel sera l’effet d’une faible croissance démographique sur le marché locatif?
Bonne question. On va constater un effet important et immédiat sur le marché locatif. Ça va jouer sur la demande en logements locatifs. Vous avez mis le doigt sur le problème en disant que les immigrants et les résidents non permanents ont tendance à louer à leur arrivée au pays. Et dans le cas du Canada, les résidents non permanents, ce sont surtout les étudiants, les étudiants étrangers.
Donc à mesure que le ralentissement démographique va se manifester, ça va peser sur la demande de logements locatifs. N’oubliez pas qu’en ce moment, le marché locatif est déjà en berne. La demande a subi un coup dur parce que les pertes d’emplois ont touché de manière disproportionnée les jeunes travailleurs pendant la pandémie.
Comme vous le savez, nos jeunes travailleurs sont souvent locataires. Parallèlement, l’offre en logements locatifs a augmenté à un rythme très rapide. La faiblesse de la demande et la hausse de l’offre poussent donc les loyers à la baisse. Le ralentissement démographique fera baisser la demande en logements locatifs, ce qui va exercer une pression à la baisse encore plus forte sur la demande et les loyers.
Et Rishi, qu’en est-il de l’accession à la propriété et du prix des maisons? Quelles sont les répercussions, et est-ce qu’elles varient d’une région à l’autre?
Bonne question. C’est intéressant de souligner cette nuance. Comme je l’ai dit, on est en période de ralentissement démographique, et les immigrants et les résidents non permanents ont tendance à louer. Mais certains achètent. La demande va donc accuser une perte de vitesse. Sur le marché de la location, certaines unités appartiennent à des investisseurs.
Le ralentissement démographique va avoir un effet sur la demande pour ces unités. En ce sens, le ralentissement du marché locatif se répercutera sur le marché de la propriété immobilière. C’est une façon d’envisager les choses. D’un autre côté, les immigrants qui arrivent au pays ont tendance à acheter une maison. Ils sont peu nombreux à le faire initialement, mais les taux d’accession à la propriété ont tendance à augmenter avec un décalage.
La demande en logements à acheter est donc un peu pénalisée de ce côté. Et il faut aussi tenir compte de la baisse de la demande pour les propriétés d’investissement. Maintenant, en ce qui concerne les répercussions au niveau régional, il y a Toronto, Ottawa, Calgary et Montréal. Environ 60 % des immigrants qui arrivent tous les ans au pays s’installent dans ces quatre villes.
On anticipe donc des répercussions disproportionnellement importantes sur ces marchés, parce que ce sont les premières destinations des immigrants. Cela dit, Montréal devrait moins ressentir les effets, parce que les taux d’accession à la propriété y sont généralement plus faibles. En revanche, Calgary risque probablement de souffrir davantage, parce que le taux de chômage y sera sans doute relativement élevé.
Le chômage va accentuer encore le ralentissement démographique qui va peser de façon disproportionnée sur ce marché. Voilà donc pour les principales destinations des nouveaux arrivants au pays. Mais n’oublions pas les effets de l’immigration dans la région de l’Atlantique, l’Île-du-Prince-Édouard, le Nouveau-Brunswick, Terre-Neuve-et-Labrador et Nouvelle-Écosse.
Ces régions ont affiché une croissance démographique assez soutenue depuis 2016, grâce à l’immigration. Ça a vraiment alimenté la demande en logements dans ces régions. Comme la croissance de la population ralentit, il va y avoir un renversement de vapeur dans ces régions.
Compte tenu de ce qu’on sait aujourd’hui, quelles sont vos perspectives à long terme pour le marché canadien du logement?
Bonne question. Globalement, on anticipe une baisse des ventes de maisons d’environ 15 % cette année. Cela dit, on est beaucoup plus optimistes pour le deuxième semestre, par rapport au premier. Au premier semestre, la pandémie a vraiment fait des ravages. Les acheteurs et les vendeurs sont restés sur la touche dans la foulée de la pandémie.
Mais maintenant que les mesures de distanciation sociale ont été assouplies et que les gens se remettent à vendre et acheter, on assiste à une reprise assez robuste de l’activité partout au Canada. On s’attend donc à de bien meilleurs chiffres au second semestre, et c’est le résultat de la reprise de la demande, des faibles taux d’intérêt, du redressement progressif des marchés du logement et de certains facteurs démographiques favorables, qui pourraient stimuler la demande sous-jacente.
Les ventes et les prix devraient donc se redresser dans la deuxième moitié de l’année. En 2021, on s’attend à ce que le ralentissement démographique pèse sur la demande. On n’attend plus une hausse des ventes aussi soutenue que ce qu’on anticipait disons, en avril. On a donc revu nos prévisions à la baisse par rapport à avril, et le ralentissement de la croissance démographique compte pour environ un tiers de cette baisse.
En ce qui concerne les prix, on s’attend à ce qu’ils fléchissent un peu. On anticipe une baisse d’environ 1 % en moyenne l’an prochain en raison du ralentissement de la croissance démographique, du taux de chômage élevé et d’autres facteurs. L’offre reste élevée, ce qui exerce aussi une pression baissière sur les prix.
Rishi, merci beaucoup pour vos explications.
Merci, Anthony.
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