Kim Parlee et Hussein Allidina, chef, Produits de base, Gestion de Placements TD (GPTD), discutent des raisons pour lesquelles il croit que les prix du pétrole pourraient être élevés pendant longtemps dans un contexte d’offre restreinte, qui existait même avant les pressions supplémentaires découlant du conflit Russie-Ukraine.
Eh bien, alors qu’on regarde tous avec horreur ce qui se passe entre la Russie et l’Ukraine, la guerre se poursuit, et on observe de la volatilité du côté des marchés et des prix du pétrole. Pour nous aider à faire la part des choses, j’accueille Hussein Allidina. Il est chef, Produits de base à Gestion de Placements TD.
Hussein, c’est toujours un plaisir de vous avoir avec nous. J’aimerais commencer par examiner le prix du pétrole au cours du dernier mois. Il s’est montré volatil. Et je suis curieuse, comment pouvez-vous, étant donné que vous suivez le marché, essayer d’y trouver un certain équilibre? Est-ce même possible dans des périodes comme celles-ci?
HUSSEIN ALLIDINA : Je pense que c’est très difficile, Kim. Merci de m’avoir invité. Je pense que c’est très difficile de déterminer où les prix vont se diriger à l’avenir, car, franchement, on ne sait pas dans quelle mesure l’approvisionnement de la Russie va être perturbé. Et on a commencé 2020 et 2021 avec un équilibre serré. Et personne ne sait la quantité de production qui va être perdue.
La Russie n’est pas un petit producteur de pétrole et de gaz naturel. C’est difficile. Les stocks continuent de diminuer. Kim, si vous examinez les données quotidiennes qui ont été publiées plus tôt cette semaine, l’équilibre continue de diminuer. Il ne semble pas que la demande ait été rationnée à ces niveaux-là. Je ne crois donc pas qu’on soit en équilibre si on perd une offre supplémentaire de la Russie.
Et c’est difficile aussi, j’en suis sûre, parce qu’on entend dire, bien sûr, que le Canada a imposé un embargo sur le pétrole russe. Et les États-Unis semblent sur le point de le faire. Et puis, on entend aussi parler de la possibilité que le Canada accélère la mise en marché de son pétrole. Il y a tellement de facteurs qui entrent en compte. Il y a encore beaucoup de choses qui vont se produire.
Oui, écoutez, je pense que le contexte, la taille et l’ampleur de la Russie en ce qui concerne le pétrole, en particulier, sont importants. Si on regarde ses exportations de pétrole brut et de produits, ça représente de sept à huit millions de barils par jour. Et, bien sûr, une grande partie va à l’Europe. Les États-Unis et le Canada ne reçoivent qu’une petite partie de la production de la Russie. Nous n’avons pas de capacité de réserve.
Kim, vous et moi en avons déjà parlé, nous n’avons pas de capacité de réserve pour remplacer la Russie. Et la logistique associée au remplacement de la Russie est complexe aussi. Si vous êtes un pays d’Europe de l’Est qui est approvisionné au moyen de pipelines et que vous êtes enclavé, vous n’avez pas beaucoup de choix.
Oui, et c’est là le problème, cette infrastructure, comme on l’a entendu à maintes reprises, ça prend des décennies, souvent, à construire, à mettre en place. Ce n’est pas quelque chose qu’on construit rapidement. J’aimerais présenter un graphique, Hussein, que vous avez apporté. Et je pense que vous vouliez le présenter parce qu’il montre à quel point le marché est tendu en ce moment. Pouvez-vous me dire ce qu’on voit et les raisons derrière ces données?
HUSSEIN ALLIDINA : Je pense que vous regardez le graphique qui montre la courbe, le degré de déport de la courbe du WTI aujourd’hui... et il y a aussi les courbes des semaines et des mois précédents. Et le degré de déport ou la volonté du marché de payer une prime substantielle, soit une prime de 10 $, 12 $ ou 15 $ pour le pétrole aujourd’hui par rapport à une livraison dans un an, ça fait ressortir la rareté et le caractère serré du marché sous-jacent. La forme de cette courbe est fortement corrélée avec le degré absolu de nos stocks.
Comme les stocks se sont resserrés et ont diminué, le déport a été plus prononcé. Et vous savez, cela vous dit en temps réel, je pense, à quel point le marché sous-jacent est serré, que les raffineurs et les consommateurs sont prêts à payer cette prime importante pour avoir la molécule aujourd’hui par rapport à demain.
KIM PARLEE : Est-ce que je peux vous demander... jusqu’à présent, on a beaucoup parlé de l’offre. Quelle est la situation du côté de la demande? Avec la situation qui revient « à la normalité » après la crise de la COVID, même s’il y a encore des confinements en Chine et dans d’autres régions du monde, est-ce que la demande va être freinée par le fait que, simplement parce que les prix du pétrole sont si élevés, on voit la demande s’effondrer ou l’inflation se mettre en place? À quoi ressemble la demande?
Très bonnes questions, Kim. Je pense donc à quelques points. Premièrement, il faut comprendre que, pour revenir à ce que vous avez dit, la réouverture des économies a un effet favorable sur la demande, en l’absence de fluctuations des prix. Deuxièmement, à l’approche des deuxième et troisième trimestres de l’année, soit la saison de conduite estivale, la demande augmente considérablement de façon saisonnière. Donc ces forces-là se manifestent même si les prix à la pompe atteignent des sommets nominaux.
Je pense qu’on en a parlé la dernière fois que j’ai participé à l’émission, Kim. En termes réels, les prix doivent tout de même atteindre 200 $ le baril si on veut revenir aux niveaux qu’on a vus en 2008, quand la demande mondiale a été anéantie. Je regarde les données à haute fréquence. Les données sur l’essence et la demande aux États-Unis, qui sont publiées chaque semaine, ne montrent aucun signe de destruction de la demande par les prix pour le moment. Ça, et les marges de raffinage sont deux éléments à surveiller pour voir si le consommateur commence à fléchir sous l’effet de la hausse des prix. Rien n’indique que ce soit le cas jusqu’à maintenant.
D’accord. Je me demande si ce n’est pas simplement le fait que les gens sont si enthousiastes et heureux de sortir et de voyager de nouveau qu’ils sont prêts à payer ce prix supplémentaire pour le faire. On verra si c’est le cas au fil du temps. Dites-moi ce à quoi vous vous attendez de l’évolution des prix du pétrole dans six mois ou deux ans? Dites-nous en plus. Que va-t-il se passer?
Oui, avant l’invasion de l’Ukraine par la Russie, les prévisions indiquaient que l’équilibre était sur le point de se resserrer en raison d’un manque structurel d’investissement au cours des 10 dernières années sur un marché baissier. C’est vrai pour le pétrole. C’est vrai pour le cuivre. C’est vrai pour le nickel. Et, de façon générale, c’est le cas pour tous les produits de base.
Maintenant, le défi que pose la situation entre la Russie et l’Ukraine, c’est qu’il faut rationner la demande à court terme pour trouver un équilibre. Et ça pourrait finir par pousser les prix à des niveaux qui nuisent vraiment à la croissance mondiale. Kim, dans six mois, parce que le prix du pétrole est passé à 150 $ ou 200 $ le baril pour limiter la demande, on pourrait se retrouver en récession, et les prix pourraient redescendre à 70 $ ou 80 $ le baril.
En fin de compte, quand je pense au moyen terme et à l’équilibre au cours des trois à cinq prochaines années, je vois que les prix doivent continuer de se négocier à des niveaux élevés, au-delà de 80 $ le baril, au-delà de 90 $ le baril pour rationner la demande, car l’offre n’est pas encore suffisante. Et, évidemment, il y a aussi les facteurs ESG et une sorte de pic pétrolier qui entrent en ligne de compte.
KIM PARLEE : On a donc une tempête parfaite causée par de nombreux facteurs. On est heureux que vous soyez venu nous expliquer la situation, Hussein. Merci beaucoup.
Merci de m’avoir invité.
[MUSIQUE]