
L’emploi au Canada continue à se redresser, ayant récupéré jusqu’à présent près des deux tiers des emplois perdus en mars et en avril. Kim Parlee et Beata Caranci, économiste en chef, Groupe Banque TD, discutent de la durabilité de la reprise économique et des perspectives pour le marché du logement en plein essor.
Print Transcript
[MUSIQUE]
Bonjour. Je suis Kim Parlee, et bienvenue à l’émission. Nous connaissons tous la métaphore de la tortue et du lièvre : rien ne sert de courir, il faut partir à point. Et apparemment, c’est une bonne métaphore pour l’économie nord-américaine. Beata Caranci est économiste en chef au Groupe Banque TD. Elle se joint à moi en ce moment même. Beata, ravie de vous voir. Dites-moi pourquoi nous parlons de la tortue et du lièvre en ce moment, et à qui cela s’applique.
Oui, eh bien, quand on pense à cette fable, la tortue est plus lente au début, mais elle finit par remporter la course. Si l’on examine la performance économique du Canada, on constate un ralentissement plus prononcé par rapport aux États-Unis. Toutefois, on voit que la reprise et la façon dont le pays se sort de ce ralentissement semblent plus vastes et plus durables que ce qu’on voit aux États-Unis. Le Canada a rapidement rattrapé son retard, et les taux de croissance semblent maintenant plus élevés au troisième trimestre pour le Canada que pour les États-Unis. Ils étaient les premiers au début, mais ils semblent avoir perdu du terrain au fil du temps.
Dans une note récente, vous parlez du fait que nous sommes sur le point d’entrer dans la phase du « crochet », un peu comme celui de Nike. Tout d’abord, pouvez-vous m’expliquer ce qu’est ce crochet, juste pour rafraîchir la mémoire des gens, et ensuite, où nous situons-nous par rapport à ça?
Oui, donc voici où nous en sommes... il y a eu une chute très prononcée lorsque les entreprises ont été fermées, ce qui correspond au creux du crochet, et puis il y a eu une remontée. Mais ça ne ressemble pas à un V, et pas tout à fait à un U. Il commence un peu comme le V, et puis il est très allongé par la suite. Et c’est parce que nous sommes littéralement dans la partie la plus facile de la phase de croissance, c’est-à-dire que lorsque vous reprenez les activités après une pause, vous obtenez de gros chiffres. Par exemple, au troisième trimestre, la croissance annualisée du PIB canadien pourrait atteindre 50 %.
Ce sont de très gros chiffres qui découlent de baisses vraiment importantes. Mais à l’approche du quatrième trimestre et au-delà, nous allons voir un ralentissement au fil du temps, autour de 2 %, 3 %, parce que chaque progrès cumulatif devient de plus en plus difficile, car des contraintes de capacité sont imposées à l’économie en raison de la distanciation sociale et de la capacité des restaurants et d’autres établissements à ouvrir leurs portes. Le tourisme est un secteur important qui va très probablement afficher un modèle de croissance très allongé.
Hmm. Pour revenir à la comparaison entre les économies canadienne et américaine, je crois comprendre que vous pensez que l’économie canadienne va surpasser l’économie américaine. Mais parlez-moi un peu de ça, peut-être à long terme, parce que l’économie canadienne dépend beaucoup de ce qui se passe avec l’économie américaine. Je suis certaine que cela va revenir un peu plus à la normale, je pense.
Oui, en ce moment, ces comparaisons de croissance se font dans un très petit monde, n’est-ce pas, parce que les frontières ne sont pas ouvertes entre les pays. Aucun des deux pays ne profite des retombées du tourisme ni des rentrées d’argent qui en découlent. Nous avons aussi très peu négocié en raison de ce qui se passe. Tout ce qui fait progresser ces économies, c’est la dynamique de la demande intérieure. Il faut examiner ce qui se passe avec les dépenses de consommation, le marché de l’habitation, et la réaction du marché de l’emploi sur tous les fronts.
Le Canada surpasse les États-Unis sur les trois plans. On a donc vu des rebonds plus solides. Les États-Unis ont connu des rebonds, mais les nôtres ont pris beaucoup plus d’ampleur que ceux des États-Unis. Cette partie de la reprise montre que le Canada commence maintenant à obtenir des résultats supérieurs, après avoir été à la traîne au premier semestre. Toutefois, il sera beaucoup plus difficile de maintenir cette surperformance au début de l’année prochaine. En fin de compte, nous avons besoin d’une certaine normalisation des flux de touristes, ce qui ne sera pas le cas cette année, mais plutôt en 2021, et aussi des échanges commerciaux, à l’approche de la prochaine année.
Vous avez parlé du marché de l’habitation. J’aimerais qu’on y revienne. Mais avant d’aller plus loin, vous avez parlé du tourisme et de toutes ces rentrées d’argent que nous pouvons obtenir, mais le Canada est évidemment très lié au secteur de l’énergie. De moins en moins, semble-t-il, chaque année, mais ça reste quand même un aspect très important. L’endettement des ménages demeure assez élevé, et je sais qu’une grande partie de cet endettement est liée au marché de l’habitation. Alors, pourquoi le Canada... malgré ces deux éléments? À l’heure actuelle, ces éléments me semblent très négatifs.
Oui, oui. Je vais vous expliquer deux ou trois choses. Premièrement, comme vous l’avez mentionné, le secteur de l’énergie connaît déjà un cycle baissier. Il était déjà faible. Il n’a pas eu d’incidence importante sur les investissements des entreprises et la croissance de l’emploi. Il n’était donc pas déjà en position de force. Ensuite, en ce qui concerne le niveau d’endettement élevé des ménages, la baisse des taux d’intérêt et des taux hypothécaires a amélioré l’abordabilité pour les particuliers à l’avenir.
C’est ce qui alimente le marché de l’habitation. Ce n’est pas seulement un phénomène canadien. Je crois qu’au Canada, nous sommes tellement habitués à un marché de l’habitation très vigoureux. Mais nous observons une vigueur très semblable aux États-Unis, même au Royaume-Uni et dans d’autres pays. C’est donc dire que les gens réagissent à cette impulsion des prêts hypothécaires à des taux très faibles.
L’autre facteur qui ressort, c’est que ceux qui ont été les plus durement touchés au cours du présent cycle de récession ne sont pas ceux qui ont tendance à acheter une maison. Il ne s’agit pas des revenus moyens et élevés, ni des emplois qualifiés qui ont été préservés dans une bien plus grande mesure que ce que nous avons vu durant la crise financière de 2008. Les caractéristiques du cycle sont donc très différentes. De même, il alimente davantage des secteurs sensibles aux taux d’intérêt, comme la demande d’automobiles et le marché de l’habitation.
Et l’aspect du marché de l’habitation est fascinant, pour revenir à ce que vous disiez, en ce qui concerne... je suppose que cela illustre une bifurcation qui existait déjà dans la société et qui s’élargit encore plus à ce stade. Mais pour ce qui est du marché de l’habitation, encore une fois, j’ai vu certains chiffres... les ventes ont augmenté de 40 % à Toronto et de 20 % à Vancouver. Ce sont des chiffres énormes. Vous constatez que la vigueur va persister au Canada et partout dans le monde au cours des prochains mois, même lorsque les reports de prêts hypothécaires vont commencer à... vous savez, le calendrier des prêts commence à changer?
Eh bien, l’élan devrait certainement ralentir. La grande question.. et je crois que c’est ce qui préoccupe les analystes... est de savoir si le marché pourrait se contracter de nouveau.
Et c’est un aspect plus difficile à prévoir. La raison est que, quand on examine le taux de chômage, on constate que le marché de l’habitation ne devrait pas se comporter de cette façon-là, lorsque le taux de chômage est de 10 %.
Tout modèle qui utilise le taux de chômage comme principal indicateur prévisionnel, comme la plupart des modèles le feraient, vous indiquerait que les ventes et les prix affichent une progression beaucoup plus lente. Toutefois, lorsque vous changez le taux de chômage pour la mesure du revenu, vous obtenez exactement ce que vous voyez dans les données de l’Association canadienne de l’immeuble sur les ventes et les prix des maisons.
Et c’est parce que le revenu actuel ne se comporte pas comme s’il y avait une récession. Il est en fait soutenu au même niveau ou à un niveau supérieur que lors des récessions précédentes. Il y a donc un décalage total entre le taux de chômage et le niveau de revenu. Et c’est ce qui, au bout du compte, alimente en partie le marché de l’habitation.
L’autre facteur, c’est qu’on parle du marché de l’habitation comme d’un seul aspect, mais il est évident qu’il y a plusieurs sous-marchés au sein de ce marché. Le marché des condos ne se comporte pas comme celui des maisons isolées. L’offre est importante sur le marché des condos. Sur le marché des maisons isolées, l’offre est exceptionnellement limitée et la demande est forte.
Et c’est le contraire de ce que vous auriez vu au cours des années précédentes, où la demande était plus forte du côté du marché des condos, parce qu’il était beaucoup plus abordable d’acheter un condo. Mais avec la baisse des taux d’intérêt, maintenant que le marché des maisons isolées s’est amélioré sur le plan de l’abordabilité de cette seule dynamique et qu’il souffre d’un marché très serré, l’abordabilité ne durera pas. Ça va empiéter sur les niveaux d’endettement des gens au fil du temps, mais à l’heure actuelle, ce marché semble toujours favorable à ce qui se passe sur le marché des condos.
Beata, merci beaucoup. Des commentaires très intéressants, comme toujours.
Ça m’a fait plaisir.
[MUSIQUE]
Bonjour. Je suis Kim Parlee, et bienvenue à l’émission. Nous connaissons tous la métaphore de la tortue et du lièvre : rien ne sert de courir, il faut partir à point. Et apparemment, c’est une bonne métaphore pour l’économie nord-américaine. Beata Caranci est économiste en chef au Groupe Banque TD. Elle se joint à moi en ce moment même. Beata, ravie de vous voir. Dites-moi pourquoi nous parlons de la tortue et du lièvre en ce moment, et à qui cela s’applique.
Oui, eh bien, quand on pense à cette fable, la tortue est plus lente au début, mais elle finit par remporter la course. Si l’on examine la performance économique du Canada, on constate un ralentissement plus prononcé par rapport aux États-Unis. Toutefois, on voit que la reprise et la façon dont le pays se sort de ce ralentissement semblent plus vastes et plus durables que ce qu’on voit aux États-Unis. Le Canada a rapidement rattrapé son retard, et les taux de croissance semblent maintenant plus élevés au troisième trimestre pour le Canada que pour les États-Unis. Ils étaient les premiers au début, mais ils semblent avoir perdu du terrain au fil du temps.
Dans une note récente, vous parlez du fait que nous sommes sur le point d’entrer dans la phase du « crochet », un peu comme celui de Nike. Tout d’abord, pouvez-vous m’expliquer ce qu’est ce crochet, juste pour rafraîchir la mémoire des gens, et ensuite, où nous situons-nous par rapport à ça?
Oui, donc voici où nous en sommes... il y a eu une chute très prononcée lorsque les entreprises ont été fermées, ce qui correspond au creux du crochet, et puis il y a eu une remontée. Mais ça ne ressemble pas à un V, et pas tout à fait à un U. Il commence un peu comme le V, et puis il est très allongé par la suite. Et c’est parce que nous sommes littéralement dans la partie la plus facile de la phase de croissance, c’est-à-dire que lorsque vous reprenez les activités après une pause, vous obtenez de gros chiffres. Par exemple, au troisième trimestre, la croissance annualisée du PIB canadien pourrait atteindre 50 %.
Ce sont de très gros chiffres qui découlent de baisses vraiment importantes. Mais à l’approche du quatrième trimestre et au-delà, nous allons voir un ralentissement au fil du temps, autour de 2 %, 3 %, parce que chaque progrès cumulatif devient de plus en plus difficile, car des contraintes de capacité sont imposées à l’économie en raison de la distanciation sociale et de la capacité des restaurants et d’autres établissements à ouvrir leurs portes. Le tourisme est un secteur important qui va très probablement afficher un modèle de croissance très allongé.
Hmm. Pour revenir à la comparaison entre les économies canadienne et américaine, je crois comprendre que vous pensez que l’économie canadienne va surpasser l’économie américaine. Mais parlez-moi un peu de ça, peut-être à long terme, parce que l’économie canadienne dépend beaucoup de ce qui se passe avec l’économie américaine. Je suis certaine que cela va revenir un peu plus à la normale, je pense.
Oui, en ce moment, ces comparaisons de croissance se font dans un très petit monde, n’est-ce pas, parce que les frontières ne sont pas ouvertes entre les pays. Aucun des deux pays ne profite des retombées du tourisme ni des rentrées d’argent qui en découlent. Nous avons aussi très peu négocié en raison de ce qui se passe. Tout ce qui fait progresser ces économies, c’est la dynamique de la demande intérieure. Il faut examiner ce qui se passe avec les dépenses de consommation, le marché de l’habitation, et la réaction du marché de l’emploi sur tous les fronts.
Le Canada surpasse les États-Unis sur les trois plans. On a donc vu des rebonds plus solides. Les États-Unis ont connu des rebonds, mais les nôtres ont pris beaucoup plus d’ampleur que ceux des États-Unis. Cette partie de la reprise montre que le Canada commence maintenant à obtenir des résultats supérieurs, après avoir été à la traîne au premier semestre. Toutefois, il sera beaucoup plus difficile de maintenir cette surperformance au début de l’année prochaine. En fin de compte, nous avons besoin d’une certaine normalisation des flux de touristes, ce qui ne sera pas le cas cette année, mais plutôt en 2021, et aussi des échanges commerciaux, à l’approche de la prochaine année.
Vous avez parlé du marché de l’habitation. J’aimerais qu’on y revienne. Mais avant d’aller plus loin, vous avez parlé du tourisme et de toutes ces rentrées d’argent que nous pouvons obtenir, mais le Canada est évidemment très lié au secteur de l’énergie. De moins en moins, semble-t-il, chaque année, mais ça reste quand même un aspect très important. L’endettement des ménages demeure assez élevé, et je sais qu’une grande partie de cet endettement est liée au marché de l’habitation. Alors, pourquoi le Canada... malgré ces deux éléments? À l’heure actuelle, ces éléments me semblent très négatifs.
Oui, oui. Je vais vous expliquer deux ou trois choses. Premièrement, comme vous l’avez mentionné, le secteur de l’énergie connaît déjà un cycle baissier. Il était déjà faible. Il n’a pas eu d’incidence importante sur les investissements des entreprises et la croissance de l’emploi. Il n’était donc pas déjà en position de force. Ensuite, en ce qui concerne le niveau d’endettement élevé des ménages, la baisse des taux d’intérêt et des taux hypothécaires a amélioré l’abordabilité pour les particuliers à l’avenir.
C’est ce qui alimente le marché de l’habitation. Ce n’est pas seulement un phénomène canadien. Je crois qu’au Canada, nous sommes tellement habitués à un marché de l’habitation très vigoureux. Mais nous observons une vigueur très semblable aux États-Unis, même au Royaume-Uni et dans d’autres pays. C’est donc dire que les gens réagissent à cette impulsion des prêts hypothécaires à des taux très faibles.
L’autre facteur qui ressort, c’est que ceux qui ont été les plus durement touchés au cours du présent cycle de récession ne sont pas ceux qui ont tendance à acheter une maison. Il ne s’agit pas des revenus moyens et élevés, ni des emplois qualifiés qui ont été préservés dans une bien plus grande mesure que ce que nous avons vu durant la crise financière de 2008. Les caractéristiques du cycle sont donc très différentes. De même, il alimente davantage des secteurs sensibles aux taux d’intérêt, comme la demande d’automobiles et le marché de l’habitation.
Et l’aspect du marché de l’habitation est fascinant, pour revenir à ce que vous disiez, en ce qui concerne... je suppose que cela illustre une bifurcation qui existait déjà dans la société et qui s’élargit encore plus à ce stade. Mais pour ce qui est du marché de l’habitation, encore une fois, j’ai vu certains chiffres... les ventes ont augmenté de 40 % à Toronto et de 20 % à Vancouver. Ce sont des chiffres énormes. Vous constatez que la vigueur va persister au Canada et partout dans le monde au cours des prochains mois, même lorsque les reports de prêts hypothécaires vont commencer à... vous savez, le calendrier des prêts commence à changer?
Eh bien, l’élan devrait certainement ralentir. La grande question.. et je crois que c’est ce qui préoccupe les analystes... est de savoir si le marché pourrait se contracter de nouveau.
Et c’est un aspect plus difficile à prévoir. La raison est que, quand on examine le taux de chômage, on constate que le marché de l’habitation ne devrait pas se comporter de cette façon-là, lorsque le taux de chômage est de 10 %.
Tout modèle qui utilise le taux de chômage comme principal indicateur prévisionnel, comme la plupart des modèles le feraient, vous indiquerait que les ventes et les prix affichent une progression beaucoup plus lente. Toutefois, lorsque vous changez le taux de chômage pour la mesure du revenu, vous obtenez exactement ce que vous voyez dans les données de l’Association canadienne de l’immeuble sur les ventes et les prix des maisons.
Et c’est parce que le revenu actuel ne se comporte pas comme s’il y avait une récession. Il est en fait soutenu au même niveau ou à un niveau supérieur que lors des récessions précédentes. Il y a donc un décalage total entre le taux de chômage et le niveau de revenu. Et c’est ce qui, au bout du compte, alimente en partie le marché de l’habitation.
L’autre facteur, c’est qu’on parle du marché de l’habitation comme d’un seul aspect, mais il est évident qu’il y a plusieurs sous-marchés au sein de ce marché. Le marché des condos ne se comporte pas comme celui des maisons isolées. L’offre est importante sur le marché des condos. Sur le marché des maisons isolées, l’offre est exceptionnellement limitée et la demande est forte.
Et c’est le contraire de ce que vous auriez vu au cours des années précédentes, où la demande était plus forte du côté du marché des condos, parce qu’il était beaucoup plus abordable d’acheter un condo. Mais avec la baisse des taux d’intérêt, maintenant que le marché des maisons isolées s’est amélioré sur le plan de l’abordabilité de cette seule dynamique et qu’il souffre d’un marché très serré, l’abordabilité ne durera pas. Ça va empiéter sur les niveaux d’endettement des gens au fil du temps, mais à l’heure actuelle, ce marché semble toujours favorable à ce qui se passe sur le marché des condos.
Beata, merci beaucoup. Des commentaires très intéressants, comme toujours.
Ça m’a fait plaisir.
[MUSIQUE]