La solide reprise après la récession causée par la pandémie a contribué à propulser l’inflation américaine à un sommet jamais vu en plusieurs décennies. Anthony Okolie discute avec Vikram Rai, économiste principal, Groupe Banque TD, de l’urgence pour la Réserve fédérale de tenter de réduire l’inflation et de la probabilité d’un « atterrissage en douceur ».
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Vikram, vous avez récemment rédigé un excellent rapport sur le coût du retard qu’a pris la Fed, alors qu’elle tente de maîtriser ce qui accélère vraiment les pressions inflationnistes. Premièrement, pouvez-vous expliquer ce que vous voulez dire par « retard »?
Merci, Anthony. Bien sûr. En fin de compte, cela signifie simplement que la Fed, ou n’importe quelle banque centrale, n’a pas relevé les taux d’intérêt assez rapidement pour suivre le rythme de l’inflation. Je suis certain que vous avez beaucoup entendu cette expression-là depuis la fin de l’année dernière.
Et la raison en est que l’inflation est supérieure à la cible de la Réserve fédérale depuis plus d’un an maintenant. Et pendant une bonne partie de cette période-là, le message de la Fed était qu’il n’y avait pas beaucoup d’inquiétude à avoir. Donc la question que je voulais poser dans ce rapport est la suivante : si c’est vraiment le cas, que doit faire la Fed pour essayer de rattraper son retard? Et à quel point est-ce que ça pourrait être difficile?
D’accord. Donc qu’est-ce qui explique la perception du marché selon laquelle la Fed est en retard dans sa lutte contre l’inflation? Dans ce contexte, n’oubliez pas ce que je viens de mentionner. Ça fait plus d’un an. L’inflation a été élevée. Elle est supérieure à la cible de la Réserve fédérale depuis 13 ou 14 mois maintenant.
Par ailleurs, je pense que deux facteurs alimentent cette perception-là. Premièrement, la Fed a été surprise plusieurs fois au cours de la dernière année. Ce n’est pas seulement que l’inflation a été élevée, mais le fait que ça a été une surprise. La façon la plus facile de prendre du retard, quand on y pense, c’est de prendre des décisions, d’établir une politique qui anticipe une inflation plus faible que celle à venir, et c’est une des choses qui s’est produite l’an dernier.
Deuxièmement, je ne vais pas parler de confirmation, mais je pense que la Fed elle-même l’a déjà reconnu. Elle a rapidement changé de ton cette année, et les marchés prennent ça au sérieux. Et maintenant, tout le monde s’attend à ce que les taux d’intérêt augmentent beaucoup plus rapidement qu’il y a six mois.
Et vous avez mentionné dans votre rapport que la Fed pourrait devoir agir plus énergiquement si les attentes deviennent moins ancrées. Qu’est-ce que vous voulez dire par là?
Oui, c’est une question très intéressante. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles je voulais rédiger ce rapport au départ. Je trouve le processus à la source de l’inflation extrêmement fascinant. Et ici, ce dont on parle, c’est que l’un des points les plus importants au sujet de l’inflation, c’est qu’elle peut devenir une prophétie qui s’auto-réalise.
Si tout le monde s’attend à ce que l’inflation soit élevée l’an prochain, on va commencer à agir en conséquence cette année. Donc les entreprises vont prévoir augmenter leurs prix, leurs fournisseurs vont prévoir augmenter leurs prix, les gens vont commencer à penser qu’ils doivent chercher un emploi mieux rémunéré, ou sinon ils vont accuser du retard sur l’inflation. Et une fois que ces sentiments et ces attentes se sont établis, c’est très difficile de les combattre. Et c’est ce que ça signifie, des attentes qui ne deviennent pas ancrées.
Certains craignent maintenant que la Fed réagisse de façon excessive en tentant de contenir l’inflation au moyen de ses politiques énergiques en matière de taux d’intérêt et qu’elle provoque une récession. Quelle est la probabilité que ce scénario se produise?
Je pense que les utilisent un peu trop le mot en « R » et qu’ils le traitent comme un résultat binaire. Mais la vérité, c’est que dans un monde où des récessions sont possibles, beaucoup de choses différentes peuvent se produire. Quelque chose d’assez modéré, comme la récession de 2001, où la croissance a été faible pendant quelques trimestres, est une possibilité. Quelque chose comme le cycle de 1990 ou de 1991, que j’ai mentionné dans le rapport, est également une possibilité.
Selon moi, il est fort probable que pendant une période prolongée, la croissance soit relativement faible, mais qu’elle ne respecte pas la définition technique d’une récession. Vous vous situez juste en dessous du plein potentiel de croissance de l’économie pendant peut-être un an, mais vous ne contractez jamais l’économie, ce qui est la définition d’une récession.
Et dans ce contexte, récemment, la mesure de l’inflation que la Fed privilégie a été allégée en avril. J’aimerais savoir ce que vous en pensez. Croyez-vous que cela indique que l’inflation a atteint un sommet aux États-Unis?
Je pense que les données sur l’inflation d’avril ont été encourageantes, compte tenu de la situation actuelle. Les mesures de l’indice global et les mesures de base ont été assouplies, comparativement au mois dernier, et certains des principaux facteurs qui ont contribué au rendement ces derniers mois, comme l’énergie, se sont aussi beaucoup atténués. Mais je tiens à souligner qu’un point de données n’est pas une tendance. Je pense qu’on doit tous surveiller les prochains mois avant de déclarer que le sommet de l’inflation est derrière nous.
En fin de compte, quelles sont vos perspectives quant à un atterrissage en douceur de la Fed pour l’économie américaine?
En fin de compte, peu importe l’angle sous lequel on aborde la question, ça va être difficile, et la Réserve fédérale a certainement beaucoup de pain sur la planche. Mais tant qu’on ne se convainc pas tous que l’inflation élevée est là pour rester éternellement, ma conclusion est que ces difficultés-là sont gérables, et que la Fed a pris les mesures nécessaires jusqu’à présent pour corriger la situation.
Vikram, merci beaucoup de vous être joint à nous. Merci beaucoup, Anthony. Ça a été un plaisir d’être ici.
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