
L’année 2021 ne fait que commencer, mais les taux des obligations d’État au Canada et aux États-Unis ont fortement augmenté en raison de perspectives économiques plus réjouissantes. Anthony Okolie et James Orlando, économiste principal, Groupe Banque TD, discutent de l’augmentation des taux ainsi que des perspectives de croissance et d’inflation.
Oui, c’est une bonne question. C’est vraiment fondé sur la confiance dans la reprise économique. Si on revient à l’été dernier, les taux des obligations d’État avaient atteint des creux absolus. Durant cette période, on s’attendait à ce qu’il nous faille plus d’une décennie pour nous remettre de la pandémie, et nous savons que les banques centrales et la Banque du Canada ne relèveront pas les taux d’intérêt tant que la reprise ne sera pas entièrement complète. Ça fait en sorte que... tout le monde qui veut un emploi, tout le monde qui travaille moins d’heures pour s’assurer de pouvoir obtenir l’emploi qu’il veut pour pouvoir travailler les heures qu’il veut.
Et cela se répercute sur les taux obligataires. Si un investisseur en obligations examine la situation, il verra que les taux seront effectivement nuls au cours des 10 prochaines années. Aucune prime ne sera exigée en plus de ça. Mais depuis, on a eu beaucoup de bonnes nouvelles. On a vu à quel point l’économie peut rebondir après un confinement. On a vu ça en 2020.
On a eu des nouvelles du vaccin. Le déploiement du vaccin est en cours. Tout ça fait en sorte que ça cristallise dans notre esprit la rapidité avec laquelle l’économie peut se remettre de la pandémie et aussi la rapidité avec laquelle les banques centrales peuvent augmenter leurs taux directeurs à l’avenir. Donc, si vous investissez dans les obligations et que vous vous dites : d’accord, les taux directeurs sont à zéro actuellement, mais nous pensons qu’il y a un risque qu’ils soient plus élevés à l’avenir, vous allez exiger aujourd’hui un taux de revenu plus élevé et une compensation pour ce potentiel de hausse des taux d’intérêt à l’avenir.
Ma prochaine question est la suivante : quelles sont les répercussions sur l’inflation?
La croissance économique est liée à l’inflation. Si la croissance économique se raffermit plus tôt, cela exerce des pressions sur les chaînes d’approvisionnement. Lorsqu’on parle de reprise, on parle de gens qui ont un emploi, qui sont en mesure de gagner plus d’argent, qui ont une sécurité de revenu qui les amène à dépenser plus. Et lorsque la demande de biens et de services est élevée, à un moment où l’offre ne fait que rattraper cette demande, les prix sont généralement sous pression. L’inflation est donc plus élevée.
Et quand on examine cette situation, on constate que les attentes d’inflation tiennent compte de ça. Nous avions de très faibles attentes lorsque la situation semblait désastreuse, mais maintenant que la reprise est prise en compte, l’inflation sera supérieure à 2 % dans cinq ans. Et donc ce sont d’autres aspects que les décideurs examinent. Vous connaissez la Banque du Canada. Elle vise un taux d’inflation de 2 % et souhaite que l’inflation soit légèrement dépassée pour compenser la faiblesse actuelle de l’inflation. C’est donc un autre indice que la reprise est actuellement prise en compte par les participants au marché.
J’aimerais parler un peu des devises, en particulier du dollar américain. Quelles sont les répercussions sur le billet vert? Et qu’en est-il de la reprise économique jusqu’à présent?
Si on revient aux pires moments de la pandémie, soit en mars et en avril, on a assisté à une énorme ruée vers la sécurité, ce qu’on appelle la demande pour des actifs sûrs. Et ce qu’on considère comme les actifs les plus sûrs au monde, ce sont les obligations du Trésor américain. Dans le monde entier, les investisseurs achetaient des titres du Trésor américain. Et vous devez vendre vos devises pour acheter des dollars américains, pour ensuite acheter des titres du Trésor américain. Ça entraîne donc une hausse de la demande pour les dollars américains.
Mais depuis, les actifs à risque se sont fortement redressés. On a vu le dénouement de cette ruée vers la sécurité. Mais ce qui s’est produit au cours des dernières semaines, c’est que le dollar américain se négocie maintenant au-dessous de sa valeur avant la pandémie.
Et ce que ça signifie, c’est que les gens tiennent compte de la façon dont la reprise se déroule. La reprise ne se déroule pas partout de la même façon. Regardez la Chine, par exemple. La Chine se porte très bien actuellement. C’est la seule grande économie du monde qui prévoit une croissance économique positive pour 2020, la seule économie.
Alors qu’aux États-Unis... on a obtenu les chiffres sur le PIB aujourd’hui, et nous sommes à 2 % ou 3 % au-dessous des niveaux de 2019.
Et cette croissance supplémentaire en Chine signifie que ses activités et les produits dans lesquels elle se spécialise se portent très bien. Et nous savons que la Chine est exposée aux exportations, en particulier dans le secteur manufacturier. Et nous avons vu la reprise du secteur manufacturier partout dans le monde. On a vu que les gens achètent des biens, que ce soit des meubles, du matériel d’entraînement, des choses qui vous feraient mal si elles vous tombaient sur les pieds, ce genre de choses. La Chine tire donc profit de cette situation. Donc, la monnaie chinoise, le renminbi, se porte très bien par rapport au dollar américain.
Comme vous l’avez mentionné, le dollar américain s’est déprécié, mais notre huard s’est raffermi. Qu’est-ce qui explique cette force? Quelles perspectives voyez-vous pour le dollar canadien au cours des prochains mois?
Oui, le huard a aussi grandement profité de la façon dont la reprise s’est déroulée. Revenons à la situation de la Chine. Nous savons, et nous l’avons vu dans le passé, que lorsque la Chine se porte bien, les pays qui sont exposés aux matières premières et qui en tirent parti, les produits de base, en général, se portent très bien. Le minerai de fer, les métaux de base et le cuivre, par exemple, ont tous enregistré une appréciation des prix extrêmement importante, bien supérieure à celle de l’an dernier. Le huard s’est donc apprécié. Nous sommes assez près des niveaux de la juste valeur en fonction de ce que nous pensons être la juste valeur à long terme, soit autour de 78 ou 79 cents américains pour le dollar canadien.
Le dollar australien est une autre devise qui se porte très bien. C’est aussi un pays et une devise qui tirent parti de ce qui se passe en Chine et de la reprise économique en Chine. Donc quelles seraient les perspectives pour le huard? Les métaux de base ont exercé beaucoup de pressions sur les prix, mais le huard pourrait même augmenter si les prix de l’énergie commencent à augmenter après ceux des métaux de base. Les prix de l’énergie ne se sont pas redressés autant que ceux des métaux de base, mais ils pourraient augmenter en 2021, étant donné que la mobilité est plus grande, et que les gens commencent à prendre davantage la voiture et l’avion. Cela ferait grimper les prix de l’énergie et aussi le dollar canadien.
Et j’aimerais revenir aux taux obligataires. Si la courbe des taux continue de s’accentuer, dans quelle mesure est-il probable que la Fed et la Banque du Canada puissent maintenir cette politique de taux d’intérêt à long terme?
Je ne crois pas que l’accentuation de la courbe des taux va pousser la Banque du Canada ou la Réserve fédérale à faire quoi que ce soit. Je crois que ce que ces banques centrales surveillent, ce sont la durée et l’évolution de la reprise économique. C’est tout ce qui compte vraiment pour elles. Si on observe des gains d’emploi, une baisse du taux de chômage ou un retour de la croissance économique au-delà des niveaux d’avant la pandémie et bien au-dessus de notre taux de croissance économique potentiel, c’est le signe d’une hausse des taux.
La hausse des taux obligataires reflète simplement la possibilité que la croissance économique rebondisse plus rapidement et à un niveau plus élevé que ce qui était prévu auparavant. Et c’est pourquoi la courbe des taux s’accentue. Et je dois dire que c’est en fait un phénomène très naturel qui se produit à ce stade-ci du cycle. Nous sommes au point du cycle où la récession a commencé et où nous commençons à nous en sortir.
Au cours des trois derniers cycles économiques, la hausse des taux à long terme par rapport aux taux à court terme a été extrêmement fréquente. Ils tiennent compte de cet avenir optimiste à un moment où les banques centrales s’engagent à maintenir les taux à de faibles niveaux pour les prochaines années.
James, merci beaucoup pour votre temps.
Merci.
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