
Le contexte géopolitique et politique actuel laisse croire que le développement durable, particulièrement les technologies vertes, pourrait être au cœur de la thèse de placement dans l’avenir. Kim Parlee et Marko Papic, stratège en chef du Clocktower Group, discutent des principaux thèmes de placement des dix prochaines années.
Mon invité d’aujourd’hui vient de publier un article sur l’Objectif zéro. Cet article explique que dans la prochaine décennie, on pourrait assister à une intensification politique de la course aux technologies durables et écologiques, dont l’ampleur pourrait dépasser celle de la course à l’espace durant la Guerre froide. C’est une perspective fascinante sur les occasions à saisir. Marko Papic est associé et stratège en chef chez Clocktower Group. Il est l’auteur de Geopolitical Alpha, l’un des meilleurs livres de 2020 selon Bloomberg. Il se joint à moi depuis Los Angeles.
Marko, c’est un plaisir de vous accueillir, comme toujours. J’aimerais parler de votre article. Mais avant, je dois vous poser une question sur Washington et le Capitole.
De votre point de vue géopolitique, pourquoi l’incidence de ces événements ne se fait-elle pas sentir davantage sur les marchés?
Très heureux d’être de nouveau parmi vous. Je tiens vraiment à vous remercier. Je pense que nous constatons un impact sur les marchés, qui se traduit surtout par les délestages sur le marché des obligations. À chaque fois qu’un événement comme celui-ci se produit, on s’attend à ce que la pertinence politique des troubles civils pousse les décideurs à apaiser les tensions en augmentant les dépenses. C’est un phénomène que nous avons observé tout au long de l’année dernière, durant la vague de manifestations pour la justice sociale.
La tension est très palpable. Elle s’incarne sous forme de questions précises, mais elle prend sa source dans un contexte plus large, à savoir que les États-Unis n’ont vraiment pas bien géré les inégalités de revenu depuis dix ans. Permettez-moi de faire un parallèle, Kim : regardez ce que le Canada a fait, ou ce que l’Europe a fait au cours des 75 dernières années. Je crois que l’une des grandes thèses macroéconomiques des deux prochaines années, ce sera que les États-Unis devront rattraper leur retard et égaler plus ou moins ce niveau de redistribution au cours des quatre prochaines années.
Ce que l’Europe a fait en 75 ans, depuis la fin de la guerre, les États-Unis vont devoir le faire en quatre. Et je pense que c’est une bonne nouvelle pour le marché obligataire.
Très bien, revenons donc à la raison initiale de votre présence aujourd’hui. Parlons un peu de votre article, le premier que vous avez publié, je crois, pour 2021. Qu’est-ce que l’Objectif zéro? De quels zéros parlez-vous?
Beaucoup de zéros. Beaucoup de zéros. L’Objectif zéro, c’est une façon de définir l’orientation des grandes puissances au 21e siècle. Au cours des deux derniers siècles, l’orientation des grandes puissances, la façon dont on mesurait la puissance des différents pays, reposait en fait sur une question d’échelle, sur la production de masse de divers biens et services. C’est ce que j’appelle la course aux économies d’échelle. Et ce qui se passe actuellement, c’est que les évolutions technologiques ont permis aux grandes puissances d’être vraiment concurrentielles dans la poursuite de l’Objectif zéro : il ne s’agit pas de produire plus avec moins, mais de produire moins avec moins. Et je pense que c’est ce qui définira le prochain siècle.
Pouvez-vous m’expliquer un peu ce que sont ces zéros? Vous parlez de l’échelle et de son importance. Mais, là encore, on revient à l’objectif zéro quoi? De quels zéros parle-t-on?
Les plus évidents sont les effets externes négatifs, comme les émissions de carbone. Mais il y a aussi d’autres objectifs zéro. On veut simplement éliminer l’inefficacité. Il ne s’agit pas d’armer l’infanterie. Il ne s’agit pas de creuser des tranchées. Il s’agit d’avoir des économies beaucoup plus efficaces, ce qui signifie zéro importation, zéro consommation d’énergie. Non pas de vivre en complète autarcie, pour reprendre un terme d’économie, non pas de fermer complètement l’économie et d’être autosuffisant, mais quelque chose qui s’en approche fortement.
Et c’est vraiment important si, comme la Chine en ce moment, vous tentez de devenir un pays vraiment souverain, de vous affranchir de la domination de la Marine américaine pour l’accès aux produits de base, à l’énergie, aux énergies de substitution, aux technologies de batteries et véhicules électriques. Il ne s’agit pas seulement de réduire la pollution, mais aussi d’assurer sa souveraineté. C’est une question de sécurité nationale. Même chose en Europe, par exemple, où l’on recherche l’indépendance énergétique par rapport au gaz naturel importé de Russie.
Et maintenant que l’administration Biden arrive au pouvoir, on commence à voir cette convergence de forces. Les grandes puissances s’intéressent aux technologies écologiques pour prévenir le changement climatique, mais elles commencent aussi à envisager l’utilisation des technologies sous-jacentes sous l’angle de la sécurité nationale.
Permettez-moi de vous demander autre chose... De toute évidence, le marché est sensible à cet argument. Les actions vertes, par exemple, ont bondi d’environ 200 % en 2020. Mais l’engouement est-il passé? Ou pensez-vous que ce n’est qu’un début?
Oui, c’est une question très intéressante. Il se passe tellement de choses sur ce front. J’aimerais beaucoup en parler. D’abord, oui, les actions vertes sont en hausse de 200 % par rapport aux creux de 2020. On voit aussi une forte corrélation entre le cuivre et les actions des VE, par exemple. Les prix des produits de base commencent donc aussi à monter sur la base de cette thèse. Mais à mon avis, ce n’est qu’un début parce qu’actuellement, beaucoup d’investisseurs se disent encore... d’accord, vous êtes en train de parier sur le fait que les gens se soucieront du changement climatique.
C’est l’influence d’Al Gore. L’influence de Greta. Il s’agit d’investir dans l’idée que le changement climatique est une question importante. Ça va beaucoup plus loin, Kim. Les décideurs tentent de stimuler la croissance par des dépenses budgétaires dans des domaines validés d’un point de vue idéologique, comme la lutte contre le changement climatique qui, dans la plupart des sociétés, est devenu une cause vraiment valable pour l’opinion. Beaucoup de dépenses vont être engagées dans ce sens. Mais la véritable raison sous-jacente, c’est de créer de l’emploi.
Sur le plan géopolitique, comme je l’ai dit, il y a un élément de sécurité nationale. On ne veut pas se faire devancer par un autre pays sur le plan de ces technologies. Il va donc y avoir donc une énorme pression législative dans toutes les grandes économies pour soutenir cette entreprise. C’est très sérieux. Et donc, je dis cela un peu en plaisantant, mais je pense qu’on est à l’année 1994 du NASDAQ. La situation n’est pas comparable à celle de 1998, 1999 ou 2010. Selon cette thèse, nous amorçons une très longue période de pocomanie.
J’aimerais qu’on regarde un tableau dont vous êtes l’auteur, parce que je veux m’assurer que nous faisons le tour de la question. Il ne nous reste que quelques minutes. Vous mettez côte à côte, comme on le voit ici, les initiatives vertes à l’échelle mondiale, le volume des dépenses, et c’est incroyable, Marko, toutes les entreprises humaines de l’Histoire. C’est vraiment si énorme?
Ce n’est pas du tout un graphique hyperbolique. Je plaisante. C’est un petit graphique un peu mal ficelé. Je ne sais pas si j’ai bien fixé le prix de toutes les entreprises humaines de l’Histoire. Mais ce qui est sérieux là-dedans, c’est qu’on n’a jamais dépensé autant d’argent pour quoi que ce soit. Même le programme Apollo est éclipsé par les montants en jeu. Les sommes engagées dans le projet Manhattan sont ridicules en comparaison. Écoutez, ce n’est pas la peine de vous ruer sur les titres Tesla. Ce n’est pas ce que je dis. Je ne fais pas de sélection de titres. Je ne choisis pas des actions individuelles.
Il y a d’autres façons de formuler cette thèse. D’abord les produits de base, en particulier le secteur minier. Il va falloir extraire beaucoup de métaux du sol pour passer aux énergies de substitution. Ensuite, par exemple, il y a le secteur des produits industriels. Le secteur des TI et des communications a ôté le pain de la bouche de l’industrie. Pour la prochaine décennie, je vois un changement après la surperformance du secteur des logiciels-services et des technologies par rapport au secteur industriel. Je crois que certaines innovations et technologies vont permettre au secteur industriel d’innover réellement et d’améliorer les marges bénéficiaires, en fin de compte.
Marko, il nous reste à peine 30 secondes. Pour ceux qui peuvent jeter un œil à cet article, vous affectionnez les produits industriels, mais aussi le pétrole, un sujet qui intéresse vivement beaucoup de Canadiens.
Oui. Oui, et c’est ironique. Pendant longtemps, Kim, on se disait que les producteurs pétroliers allaient extraire le plus de pétrole possible pour parer à l’émergence des enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance. On pensait qu’ils feraient du dumping sur le marché libre. Ce n’est pas ce que je constate. Ce n’est pas l’orientation prise en Arabie saoudite. Je vois qu’ils investissent dans des projets d’infrastructure. Il y a aujourd’hui un demi-billion de dollars en jeu pour ces nouvelles technologies.
Je pense que nous allons entrer dans un monde où les dépenses en immobilisations vont tellement diminuer dans la production d’énergie, dans la production pétrolière, que l’offre diminuera avant la demande. De ce fait, le prix du pétrole pourrait en fait augmenter peu à peu, même si la demande s’effondre. Ce qui ne fera qu’accélérer l’adoption des énergies de substitution et des véhicules électriques.
Marko, c’est un plaisir de vous accueillir. Merci beaucoup.
C’était un plaisir. C’est toujours un plaisir. Merci.
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