Huit semaines après le début de la crise entre la Russie et l’Ukraine, les combats se poursuivent, malgré la hausse des sanctions contre la Russie. Le conflit demeurera-t-il un événement pertinent pour les marchés? Kim Parlee discute avec Marko Papic, stratège en chef, Clocktower Group, des événements géopolitiques qui touchent les marchés.
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- Cela fait maintenant huit semaines que la Russie a envahi l’Ukraine. Et bien sûr, regarder ça, c’est horrible pour tout le monde. Marko Papic est ici pour nous en parler et nous dire ce qu’il regarde d’un point de vue géopolitique, et ce qu’il faut regarder sur les marchés, et il nous a conseillé dès le début sur ce qu’on devrait surveiller. Il est stratège en chef à Clocktower Group et l’auteur de Geopolitical Alpha – an Investment Framework for Predicting the Future.
Marko, c’est un plaisir de vous ravoir parmi nous. Merci de nous accorder de votre temps. Je sais que vous êtes occupé en ce moment. Pouvez-vous nous dire où nous en sommes, selon vous? Le conflit dure depuis huit semaines, alors qu’est-ce que vous voyez? Où cela s’en va-t-il? Pendant combien de temps est-ce que ça pourrait durer?
- Eh bien, je pense que ce conflit devient lentement, mais sûrement, inexorablement moins pertinent pour les marchés. Et je sais que c’est quelque chose que beaucoup de gens ne veulent pas entendre. Ça fait les manchettes. Ça continue d’être une tragédie humaine.
Mais comme le ministère de la Défense russe a essentiellement déclaré, il y a deux semaines, qu’il avait remporté la première étape du conflit, ce qu’il n’a pas fait, mais il a proclamé la victoire haut et fort, « mission accomplie », et met maintenant l’accent sur l’est, le Donbass en particulier, les oblasts de Kharkiv, Donetsk et Luhansk, le conflit s’éloigne des frontières de l’OTAN. La probabilité d’un accident diminue.
Et aussi, le conflit se déplace dans la région de l’Ukraine où, soyons francs, il y a déjà une guerre depuis huit ans. Donetsk et Luhansk sont dans une impasse, mais c’est un conflit de faible intensité depuis un certain temps. Ça montre également aux investisseurs que la Russie est rationnelle et qu’elle peut ressentir ses contraintes importantes. Et ça peut répondre à leurs inquiétudes d’une manière qui ne nous laisse pas préoccupés par le bien-fondé de leurs décisions à l’avenir.
Et ce que ça veut dire, c’est que même si la phase du conflit va toujours être vicieuse, surtout alors que les négociations approchent, habituellement juste avant la 11e heure de négociations, les conflits ont tendance à être extrêmement volatils, car les deux parties commencent à acquérir du territoire qu’elles vont utiliser comme monnaie d’échange lors des négociations à venir. Alors même s’il va y avoir encore de la volatilité dans les manchettes, la progression globale de la pertinence pour les marchés est probablement à la baisse. C’est moins pertinent.
- C’est intéressant que vous disiez ça, parce que je pense que c’est horrible de regarder certaines choses qui se produisent. Et, encore une fois, on parle des répercussions sur le marché, et non des coûts humains... c’est quelque chose qu’ils vont devoir gérer pendant des décennies, essayer de reconstruire l’Ukraine. Mais pendant que vous parliez, ça m’a fait penser : est-ce qu’on pourrait voir la Russie être plus intégrée, qui voudrait reprendre sa place dans l’économie mondiale? Ou est-ce que c’est déjà établi? Est-ce que ça s’est produit, et est-ce que c’est comme ça que ça va fonctionner pendant un certain temps?
- Non, je pense que c’est établi. La Russie est maintenant un État paria, mais pas pour tout le monde. Évidemment, l’Inde continue d’acheter du pétrole de la Russie à des prix réduits. La Chine demeure un allié symbolique. Mais, dans l’ensemble, l’Occident ne peut pas vraiment se tourner vers la Russie, si ce n’est pour acheter des produits de base, un échange qui n’a jamais vraiment disparu de toute façon.
Je pense donc qu’il va être très difficile pour les investisseurs de trouver de la valeur dans les actifs russes à l’avenir.
En même temps, je pense qu’il faut comprendre que la Russie pourrait devenir un paria. Mais une chose qui ne s’est pas produite, c’est qu’elle n’a pas menacé de riposter aux sanctions en limitant les exportations de produits de base.
J’étais extrêmement préoccupé par cette source potentielle de volatilité. Ça aurait considérablement augmenté l’IPC en Europe et aux États-Unis. Mais au cours des huit dernières semaines, Moscou a été très réticente à utiliser les exportations de pétrole ou de gaz naturel comme monnaie d’échange, ce qui est différent de ce que l’OPEP a fait en 1973 après la guerre du Yom Kippour. Et ça élimine un autre risque si la Russie hésite vraiment à utiliser les exportations de produits de base comme monnaie d’échange contre l’Occident.
- Vous n’avez pas peur de faire des suppositions. Je sais que vous en avez fait beaucoup dans le cadre de cette émission. Et vous avez récemment dit que vous donniez 12 mois ou moins à Vladimir Poutine. Pouvez-vous m’expliquer ce que vous voulez dire?
- C’est très intéressant, Kim. Essayez-vous de me faire tuer? C’était drôle. Soit dit en passant, c’est Bloomberg qui a tweeté ça quand j’ai fait cette supposition-là. Et il y avait une excellente réponse en dessous, où quelqu’un, très intelligent, a dit : « Je donne 12 mois ou moins à Marko Papic, dit Vladimir Poutine. »
- Ce n’est pas la raison pour laquelle je pose la question.
- Oui, mais ce que je vais dire à ce sujet, c’est que l’histoire russe est pleine de victoires militaires glorieuses. Et en Occident, on les célèbre parce que la Russie s’est battue du bon côté de l’histoire à de nombreuses reprises. Mais lorsque la Russie est un agresseur, son histoire militaire est beaucoup moins glorieuse. En fait, ce que l’aventurisme russe a tendance à produire, c’est un changement de régime au pays.
Maintenant, 12 mois, c’est un peu audacieux. Si j’exploitais un casino, j’aurais probablement fixé la prédiction à 18 ou 24 mois, ce qui est, selon moi, plus raisonnable. Alors oui, je pense que les problèmes politiques au pays vont s’aggraver. Pour le moment, ce n’est pas ce qui se passe. Juste pour être clair, tous les sondages montrent que le Kremlin a le soutien du public, et aussi Vladimir Poutine lui-même.
Mais à mesure que la ferveur nationaliste va se dissiper, les conséquences de cette intervention vont être très lourdes pour la population russe. Et je pense qu’au cours des 12, 18 ou 24 prochains mois, les élites du pouvoir pourraient vouloir un changement.
Donc ce n’est pas un coup d’État ou une révolution. Je pense que c’est très improbable. Ce n’est pas ce qui est prévu. Mais Khrouchtchev a pris sa retraite deux ans après la crise des missiles de Cuba. Et quelque chose comme ça pourrait se produire cette fois-ci.
- Il ne me reste environ qu’une minute, Marko. Et je m’en excuse. Mais si on met la Russie et l’Ukraine de côté un instant, si vous deviez classer par ordre d’importance dans les marchés sur le plan géopolitique, qu’est-ce que vous allez regarder au cours des 12 prochains mois?
- Je pense que le principal problème, c’est la politique zéro COVID en Chine, qui va avoir un impact sur la conjoncture mondiale, et qui pourrait être très déflationniste pour le reste du monde, ce qui est intéressant. À l’heure actuelle, Kim, tout le monde dans la communauté macroéconomique détient des positions longues sur les produits de base et des positions courtes sur les obligations, si on détient des actions, des titres sur les marchés émergents à long terme et des actifs non américains.
Le problème, c’est que si la Chine introduit une vague déflationniste, toutes ces opérations-là ne se dérouleront pas comme prévu au cours des six prochains mois. Les investisseurs doivent donc surveiller de très près ce qui se passe sur le terrain en Chine, à savoir si Beijing complète la politique zéro COVID par des mesures de relance efficaces, ce qu’elle n’a pas encore fait.
- Oui, c’est quelque chose qu’on surveille. C’est toujours un plaisir, Marko. Merci beaucoup.
- Certainement. Merci, Kim.
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Marko, c’est un plaisir de vous ravoir parmi nous. Merci de nous accorder de votre temps. Je sais que vous êtes occupé en ce moment. Pouvez-vous nous dire où nous en sommes, selon vous? Le conflit dure depuis huit semaines, alors qu’est-ce que vous voyez? Où cela s’en va-t-il? Pendant combien de temps est-ce que ça pourrait durer?
- Eh bien, je pense que ce conflit devient lentement, mais sûrement, inexorablement moins pertinent pour les marchés. Et je sais que c’est quelque chose que beaucoup de gens ne veulent pas entendre. Ça fait les manchettes. Ça continue d’être une tragédie humaine.
Mais comme le ministère de la Défense russe a essentiellement déclaré, il y a deux semaines, qu’il avait remporté la première étape du conflit, ce qu’il n’a pas fait, mais il a proclamé la victoire haut et fort, « mission accomplie », et met maintenant l’accent sur l’est, le Donbass en particulier, les oblasts de Kharkiv, Donetsk et Luhansk, le conflit s’éloigne des frontières de l’OTAN. La probabilité d’un accident diminue.
Et aussi, le conflit se déplace dans la région de l’Ukraine où, soyons francs, il y a déjà une guerre depuis huit ans. Donetsk et Luhansk sont dans une impasse, mais c’est un conflit de faible intensité depuis un certain temps. Ça montre également aux investisseurs que la Russie est rationnelle et qu’elle peut ressentir ses contraintes importantes. Et ça peut répondre à leurs inquiétudes d’une manière qui ne nous laisse pas préoccupés par le bien-fondé de leurs décisions à l’avenir.
Et ce que ça veut dire, c’est que même si la phase du conflit va toujours être vicieuse, surtout alors que les négociations approchent, habituellement juste avant la 11e heure de négociations, les conflits ont tendance à être extrêmement volatils, car les deux parties commencent à acquérir du territoire qu’elles vont utiliser comme monnaie d’échange lors des négociations à venir. Alors même s’il va y avoir encore de la volatilité dans les manchettes, la progression globale de la pertinence pour les marchés est probablement à la baisse. C’est moins pertinent.
- C’est intéressant que vous disiez ça, parce que je pense que c’est horrible de regarder certaines choses qui se produisent. Et, encore une fois, on parle des répercussions sur le marché, et non des coûts humains... c’est quelque chose qu’ils vont devoir gérer pendant des décennies, essayer de reconstruire l’Ukraine. Mais pendant que vous parliez, ça m’a fait penser : est-ce qu’on pourrait voir la Russie être plus intégrée, qui voudrait reprendre sa place dans l’économie mondiale? Ou est-ce que c’est déjà établi? Est-ce que ça s’est produit, et est-ce que c’est comme ça que ça va fonctionner pendant un certain temps?
- Non, je pense que c’est établi. La Russie est maintenant un État paria, mais pas pour tout le monde. Évidemment, l’Inde continue d’acheter du pétrole de la Russie à des prix réduits. La Chine demeure un allié symbolique. Mais, dans l’ensemble, l’Occident ne peut pas vraiment se tourner vers la Russie, si ce n’est pour acheter des produits de base, un échange qui n’a jamais vraiment disparu de toute façon.
Je pense donc qu’il va être très difficile pour les investisseurs de trouver de la valeur dans les actifs russes à l’avenir.
En même temps, je pense qu’il faut comprendre que la Russie pourrait devenir un paria. Mais une chose qui ne s’est pas produite, c’est qu’elle n’a pas menacé de riposter aux sanctions en limitant les exportations de produits de base.
J’étais extrêmement préoccupé par cette source potentielle de volatilité. Ça aurait considérablement augmenté l’IPC en Europe et aux États-Unis. Mais au cours des huit dernières semaines, Moscou a été très réticente à utiliser les exportations de pétrole ou de gaz naturel comme monnaie d’échange, ce qui est différent de ce que l’OPEP a fait en 1973 après la guerre du Yom Kippour. Et ça élimine un autre risque si la Russie hésite vraiment à utiliser les exportations de produits de base comme monnaie d’échange contre l’Occident.
- Vous n’avez pas peur de faire des suppositions. Je sais que vous en avez fait beaucoup dans le cadre de cette émission. Et vous avez récemment dit que vous donniez 12 mois ou moins à Vladimir Poutine. Pouvez-vous m’expliquer ce que vous voulez dire?
- C’est très intéressant, Kim. Essayez-vous de me faire tuer? C’était drôle. Soit dit en passant, c’est Bloomberg qui a tweeté ça quand j’ai fait cette supposition-là. Et il y avait une excellente réponse en dessous, où quelqu’un, très intelligent, a dit : « Je donne 12 mois ou moins à Marko Papic, dit Vladimir Poutine. »
- Ce n’est pas la raison pour laquelle je pose la question.
- Oui, mais ce que je vais dire à ce sujet, c’est que l’histoire russe est pleine de victoires militaires glorieuses. Et en Occident, on les célèbre parce que la Russie s’est battue du bon côté de l’histoire à de nombreuses reprises. Mais lorsque la Russie est un agresseur, son histoire militaire est beaucoup moins glorieuse. En fait, ce que l’aventurisme russe a tendance à produire, c’est un changement de régime au pays.
Maintenant, 12 mois, c’est un peu audacieux. Si j’exploitais un casino, j’aurais probablement fixé la prédiction à 18 ou 24 mois, ce qui est, selon moi, plus raisonnable. Alors oui, je pense que les problèmes politiques au pays vont s’aggraver. Pour le moment, ce n’est pas ce qui se passe. Juste pour être clair, tous les sondages montrent que le Kremlin a le soutien du public, et aussi Vladimir Poutine lui-même.
Mais à mesure que la ferveur nationaliste va se dissiper, les conséquences de cette intervention vont être très lourdes pour la population russe. Et je pense qu’au cours des 12, 18 ou 24 prochains mois, les élites du pouvoir pourraient vouloir un changement.
Donc ce n’est pas un coup d’État ou une révolution. Je pense que c’est très improbable. Ce n’est pas ce qui est prévu. Mais Khrouchtchev a pris sa retraite deux ans après la crise des missiles de Cuba. Et quelque chose comme ça pourrait se produire cette fois-ci.
- Il ne me reste environ qu’une minute, Marko. Et je m’en excuse. Mais si on met la Russie et l’Ukraine de côté un instant, si vous deviez classer par ordre d’importance dans les marchés sur le plan géopolitique, qu’est-ce que vous allez regarder au cours des 12 prochains mois?
- Je pense que le principal problème, c’est la politique zéro COVID en Chine, qui va avoir un impact sur la conjoncture mondiale, et qui pourrait être très déflationniste pour le reste du monde, ce qui est intéressant. À l’heure actuelle, Kim, tout le monde dans la communauté macroéconomique détient des positions longues sur les produits de base et des positions courtes sur les obligations, si on détient des actions, des titres sur les marchés émergents à long terme et des actifs non américains.
Le problème, c’est que si la Chine introduit une vague déflationniste, toutes ces opérations-là ne se dérouleront pas comme prévu au cours des six prochains mois. Les investisseurs doivent donc surveiller de très près ce qui se passe sur le terrain en Chine, à savoir si Beijing complète la politique zéro COVID par des mesures de relance efficaces, ce qu’elle n’a pas encore fait.
- Oui, c’est quelque chose qu’on surveille. C’est toujours un plaisir, Marko. Merci beaucoup.
- Certainement. Merci, Kim.
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