
Anthony Okolie récapitule les faits saillants de la journée, notamment les dernières nouvelles sur la COVID-19, puis Kim Parlee et Bill Priest, cochef des placements à Epoch Investment Partners, discutent de la durabilité de la vigueur des marchés boursiers et du caractère grandement exagéré de l’annonce de la fin des dividendes.
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Bonjour et bienvenue au bulletin quotidien COVID-19 de MoneyTalk du mercredi 13 mai. Je m’appelle Anthony Okolie. Dans quelques minutes, Kim Parlee s’entretiendra avec Bill Priest -- co-chef des placements à Epoch Investment Partners -- à propos de la durabilité de la vigueur des marchés boursiers et de la possible exagération concernant l’arrêt de la distribution de dividendes.
Mais tout d’abord, voici un survol rapide des nouvelles du jour.
Un autre coup est asséné au secteur de l’énergie canadien. Le fonds souverain de 1 000 G$ de la Norvège, le plus imposant du monde, inscrit les principales entreprises canadiennes de l’énergie sur sa liste noire en raison de leur niveau inacceptable d’émissions de gaz à effet de serre.
En même temps, le président de la Réserve fédérale déclarait que la voie que suivra l’économie après la pandémie était très incertaine et présentera d’importants risques de perte en cas de baisse.
Dans un effort supplémentaire pour atténuer les effets de la pandémie, les démocrates siégeant à la Chambre des représentants, aux É.-U., ont annoncé un programme de 3 000 G$, comprenant entre autres une seconde vague de versements directs de 1 200 $ par personne.
Enfin, l’économie britannique a reculé de près de 6 % en mars, moment où le pays se confinait, le plongeant probablement dans la plus grave récession des trois derniers siècles.
C’était le résumé des nouvelles du jour. Voici maintenant Kim Parlee en discussion avec Bill Priest.
Bill, tout le monde se demande, en gros, ce qui se passe sur les marchés. D’un côté, les données économiques sont horribles. De l’autre, les marchés se rapprochent de leurs sommets records, à peine 10 % en dessous, et certaines actions atteignent de nouveaux sommets. Que se passe-t-il?
Je dois dire que la rapide remontée des marchés des dernières semaines a étonné la plupart d’entre nous. À la fin de l’année, on prévoyait une petite crise industrielle, où les rendements boursiers seraient possiblement à un chiffre inférieur, mais le virus a tout changé. Et ce qu’on a fait, essentiellement, c’est de plonger notre économie dans un coma artificiel pour contrer les effets du virus en appliquant la distanciation sociale. Et d’ici à ce qu’on ait un vaccin, il sera très difficile de dire avec assurance que la situation est vraiment maîtrisée.
Cela dit, les autorités monétaires et les responsables des politiques budgétaires ont pris des mesures « bazooka »; ils ont littéralement dépensé des milliards de dollars pour faire face au problème; il y a eu des mesures de remplacement du revenu et d’autres de relance; l’investissement est énorme. Et je dirais que le marché s’attend à ce que cela annule les effets négatifs de l’économie elle-même. À mon avis, c’est un défi de taille.
En trois semaines, on a effacé les gains d’emploi réalisés en 350 semaines. On affiche le pire taux de chômage depuis la Dépression. Le PIB, tout comme les bénéfices, vont dramatiquement chuter. Tout ça est, en quelque sorte, coulé dans le béton. La question est de savoir si on aperçoit un autre sommet à l’horizon! Au cours des dernières semaines, le marché semble dire que c’est le cas. Personnellement, je pense que c’est plutôt optimiste. Je ne crois pas que ce soit aussi évident que ça.
Cela dit, si vous ne voyez pas un autre sommet dans un avenir rapproché, que pensez-vous d’un repli important? Enfin, se pourrait-il que les investisseurs commencent à penser que les mesures canons ne suffiront pas? Eh bien, je crois qu’il pourrait y avoir un recul.
Premièrement, pour être tout à fait honnête, je dois dire que je n’ai jamais cru, au cours du dernier mois, qu’il y aurait une remontée. Je suis abasourdi. On peut voir que les économies essaient d’optimiser leurs ressources, et, selon les notions de base en la matière, les ressources foncières, financières et ouvrières doivent officiellement être réunies pour contribuer à la croissance économique. Mais actuellement, la productivité s’érode. L’emploi a fortement reculé. Donc, le PIB réel, qui correspond en gros à la somme de ces deux variables, dégringole à un rythme alarmant. À quel moment y a-t-il reprise? Et à quoi devrait-elle ressembler? On n’a même pas touché le fond au chapitre des données économiques.
Alors, selon moi, les gens spéculent sur les comportements de l’économie. S’agira-t-il d’une reprise en V, en W ou en L? Selon nous, elle prendra plutôt la forme du logo de Nike. L’économie diminuera fortement, puis augmentera, mais à quel niveau? Combien de temps faudra-t-il? Je ne le sais pas. Je considère donc que la probabilité que le marché baisse de nouveau est raisonnablement élevée.
Permettez-moi de vous interroger davantage sur la reprise. Pourriez-vous juste nous expliquer un peu plus ce que vous pensez à cet égard. Parce qu’on a déjà parlé ensemble de l’optimisation des ressources, mais la pandémie rend ça presque impossible. Il y a en ce moment une forte vague d’achats locaux, aux dépens de la mondialisation. On voit aussi que différents États adoptent des rythmes de déconfinement différents. Donc, à quoi ressemble une reprise?
Qu’est-ce que vous regardez pour évaluer la situation? Je pense que ça devra commencer par une certaine forme de stabilisation de l’emploi. Aux États-Unis, par exemple, au début de la pandémie, quelque 155 millions de personnes avaient un emploi. Et la majeure partie de ces emplois ont été éliminés. Du côté du monde des entreprises, les prévisions ont beaucoup changé. Le cinquième des entreprises du S&P 500 ont suspendu leurs prévisions de bénéfices, 20 %, de leurs dividendes. À l’heure actuelle, même les particuliers vendent leurs actions. Le taux d’épargne des particuliers a atteint un sommet historique en avril, et les actions se négocient à des ratios inégalés depuis 20 ans.
C’est incompatible, selon moi. Je ne vois tout simplement pas comment cela peut durer encore longtemps. Soit que les données vont beaucoup s’améliorer, et plus vite que bien des gens le pensent, ou, franchement, ce niveau de valorisation du marché devra s’effriter d’une certaine façon au cours des prochaines semaines.
Que faites-vous actuellement sur le plan de l’affectation des fonds? Quelle stratégie adoptez-vous pour l’avenir?
Epoch se fonde sur quelques principes simples. Les flux de trésorerie déterminent la valeur de toute entreprise. Sans flux de trésorerie, vous n’avez, en fin de compte, pas d’entreprise. Mais c’est l’affectation de la trésorerie qui détermine, ultimement, la valeur de l’entreprise. On essaie donc de repérer celles qui dégagent des flux de trésorerie disponibles, ce qui correspond aux fonds qui peuvent être distribués aux actionnaires après la déduction de l’impôt et des dépenses en immobilisations prévues.
Les sociétés qui utilisent efficacement leurs liquidités verseront les fonds qu’elles ne peuvent pas réinvestir aux propriétaires de l’entreprise. C’est le genre d’entreprises qu’on cherche. Actuellement, on les retrouve dans nombre de secteurs d’activité, mais surtout, selon moi, dans deux principaux secteurs pour nous : les soins de santé et les technologies. Les entreprises technologiques et scientifiques nous sortiront de cette pandémie.
Bill, regardons un graphique que votre équipe a préparé pour un récent webinaire. Il montre l’indice S&P et la valorisation que le marché en fait au chapitre des contrats à terme standardisés avec dividendes. À quoi s’attend-on sur le plan des versements. Ça ne semble pas bien joli. Ce graphique montre qu’il faudra huit ans pour que les dividendes reviennent aux niveaux de 2020. Qu’en dites-vous?
Les contrats à terme standardisés avec dividendes sur le S&P est un bon point de départ. Mais ce sont des contrats « à terme » qui fluctuent littéralement au quotidien. En janvier, on s’attendait à ce que les contrats à terme affichent une modeste hausse de 3 % à 5 % cette année. Au plus bas, ils avaient reculé de près de 40 %. Ils affichent maintenant une baisse d’environ 20 % à 25 %. Et ces données nous semblent adéquates. Il faut aussi tenir compte de la réaction des entreprises; tout repose sur une affectation judicieuse des liquidités.
Si vous pouvez réinvestir ces liquidités à votre coût du capital ou à un coût supérieur, c’est ce que vous devriez faire. Et si une entreprise dispose de nombreuses occasions de le faire - qu’il s’agisse de projets internes ou d’acquisitions - elle devrait le faire, et les dividendes seraient nuls. Parce que tant que tu peux réinvestir tes liquidités à un taux supérieur à celui de ce que ça te coûte pour obtenir un autre dollar d’investissement, c’est le moyen le plus rapide d’accroître la valeur pour les actionnaires.
D’un autre côté, les grandes entreprises matures ont très souvent très peu d’options, mais beaucoup de liquidités. Elles réinvestiront donc jusqu’à ce qu’elles n’aient plus l’impression de pouvoir obtenir un rendement du capital supplémentaire. À ce moment-là, elles devraient verser les fonds aux propriétaires de l’entreprise; ce qu’elles feront. Si elles doivent faire appel à l’aide du gouvernement ou d’une entité externe, toute affectation de ces fonds est extrêmement néfaste pour l’innovation... Vous vous retrouverez à appuyer des entreprises dites zombies, et ce n’est pas un legs qu’on veut laisser aux prochaines générations.
Si le gouvernement devient votre partenaire, vous devez faire très attention au rôle qu’il joue. Un partenariat qui doit durer indéfiniment peut avoir d’importantes connotations négatives. Donc, si on regarde du côté des dividendes, ceux-ci sont définitivement en baisse. Si on regarde ce qui s’est passé au cours des 90 dernières années, la corrélation entre les dividendes et les bénéfices se situent aux alentours de 98 %. Ils ont tendance à se suivre à long terme. Par conséquent, à moins qu’on ne prévoie une importante baisse à long terme des bénéfices, tout porte à croire que les dividendes continueront de suivre ces derniers. Est-ce que les ratios de distribution vont augmenter ou baisser? Eh bien, s’ils restent les mêmes à long terme, à la fin, les dividendes commenceront à augmenter en même temps que les bénéfices.
Mais à court terme, ils baisseront. Habituellement, leur baisse correspond à environ 50 % de celle des bénéfices. Disons que les bénéfices ont chuté de 40 % cette année. Je n’ai pas de boule de cristal, mais s’ils ont baissé de 40 %, vous pourriez raisonnablement croire que les dividendes ont perdu 20 %. Ce ne serait pas une attente déraisonnable.
Mais, au fil du temps, ils remonteront si l’économie mondiale reprend de la vigueur, et il y aura reprise économique. Quand on aura trouvé un vaccin, ce qui arrivera, selon moi, d’ici la fin de l’année prochaine, on aura une solution pour régler la source du problème. Par contre, il y aura une montagne de dettes et de nombreuses choses à surmonter. Mais je crois que la science et la technologie auront raison de ce virus d’ici la fin de 2021.
Eh bien, j’aimerais vous poser une question tendancieuse. Je sais que votre équipe a dit que les rumeurs concernant l’arrêt des versements des dividendes étaient très exagérées. Pour revenir à votre point, je pense que vous voyez les choses de manière plus positive. Pourriez-vous nous parler un peu plus de ce cycle lié aux bénéfices dont vous avez parlé, mais aussi des entreprises qui feront bonnes et mauvaises figures?
Eh bien, je pense qu’on doit préciser ce que les gens entendent par dividendes. La plupart du temps, il s’agit des dividendes en espèces. Mais les dividendes peuvent prendre deux autres formes. Il y a les rachats d’actions. Puis, il y a le remboursement de dettes au moyen du flux de trésorerie d’exploitation; c’est l’équivalent financier d’un dividende, parce que la participation dans l’entité augmente à mesure que la proportion « dividendes » diminue.
Mais le véritable problème, cette année, concerne surtout les rachats d’actions. Est-il adéquat de faire des rachats? Comment pouvez-vous racheter des actions quand vous licenciez des employés? Ce genre de questionnement. Eh bien, je pense que si vous recevez de l’aide du gouvernement, vous ne devriez pas être autorisé à racheter des actions. Vous ne devriez pas être autorisé à verser des dividendes. Mais si vous ne recevez pas d’aide gouvernementale, tout repose sur l’efficacité de votre affectation de ce capital aux actionnaires. C’est ça, la base du capitalisme.
Si je reviens aux dividendes, les entreprises devraient réinvestir jusqu’au dernier cent si elles peuvent obtenir une prime sur le coût du capital, mais de nombreux secteurs ne peuvent pas le faire. Les secteurs qui seront le plus touchés seront ceux des produits industriels, des matériaux et des finances. Ils souffriront cette année. Leurs bénéfices dégringoleront; il y aura réduction des dividendes; et bon nombre de ces entreprises élimineront assurément leurs rachats d’actions. Mais si tu regardes du côté des technologies, des soins de santé, des biens de consommation de base, et même de certains services publics, les dividendes continueront d’augmenter. Donc, ça ira bien pour certains secteurs. Mais d’autres seront durement touchés.
On en a parlé lors d’un épisode précédent. On a écrit un article faisant allusion aux « bits » contre les « atomes ». La meilleure façon de regarder ça, c’est d’utiliser la formule qu’on appelle souvent la formule du rendement des capitaux propres de DuPont. On multiplie les marges bénéficiaires par le ratio d’activité, puis par l’effet de levier. Et comme la technologie s’intègre de plus en plus à nos vies, la plupart des entreprises tentent de remplacer la main-d’œuvre par la technologie. Et si vous pouvez remplacer la main-d’œuvre par la technologie tout en assurant la constance de vos revenus, vos marges bénéficiaires augmenteront. Et si la technologie peut servir à réduire votre besoin en espaces physiques, comme nombre de détaillants l’ont fait en vendant leurs produits sur Internet, votre chiffre d’affaires par dollar d’actif augmentera.
Toutes les entreprises du monde cherchent à adopter ce modèle d’affaires exigeant peu de capitaux, mais il se produit une chose très intéressante quand tu mets ce modèle en place. La troisième composante de cette formule de calcul du rendement des capitaux correspond à l’effet de levier, c’est-à-dire aux actifs par dollar de capitaux propres. Donc, si on regarde un bilan... Le côté gauche correspond à vos actifs, et le côté droit, à vos passifs et aux fonds propres. Si je peux remplacer la main-d’œuvre et les actifs physiques par la technologie, je n’ai pas besoin de déployer ces actifs dans mon entreprise. Je peux retirer des fonds de celle-ci, tant que je génère des rentrées, tout en continuant d’offrir un rendement des capitaux propres très élevé.
La technologie devrait commencer à accroître efficacement les ratios de distribution. Quand on y regarde de plus près, on voit que les entreprises n’ont pas besoin d’investir autant aujourd’hui pour obtenir le même niveau de ventes; leurs ratios de distribution devraient lentement commencer à augmenter. Pour l’instant, c’est simplement que... tout le monde est accablé par le virus, ce qui est catastrophique. Mais avec le temps, les perspectives sont en fait très bonnes, parce que les entreprises n’ont pas besoin d’autant de capital pour générer le même niveau de revenus.
Bonjour et bienvenue au bulletin quotidien COVID-19 de MoneyTalk du mercredi 13 mai. Je m’appelle Anthony Okolie. Dans quelques minutes, Kim Parlee s’entretiendra avec Bill Priest -- co-chef des placements à Epoch Investment Partners -- à propos de la durabilité de la vigueur des marchés boursiers et de la possible exagération concernant l’arrêt de la distribution de dividendes.
Mais tout d’abord, voici un survol rapide des nouvelles du jour.
Un autre coup est asséné au secteur de l’énergie canadien. Le fonds souverain de 1 000 G$ de la Norvège, le plus imposant du monde, inscrit les principales entreprises canadiennes de l’énergie sur sa liste noire en raison de leur niveau inacceptable d’émissions de gaz à effet de serre.
En même temps, le président de la Réserve fédérale déclarait que la voie que suivra l’économie après la pandémie était très incertaine et présentera d’importants risques de perte en cas de baisse.
Dans un effort supplémentaire pour atténuer les effets de la pandémie, les démocrates siégeant à la Chambre des représentants, aux É.-U., ont annoncé un programme de 3 000 G$, comprenant entre autres une seconde vague de versements directs de 1 200 $ par personne.
Enfin, l’économie britannique a reculé de près de 6 % en mars, moment où le pays se confinait, le plongeant probablement dans la plus grave récession des trois derniers siècles.
C’était le résumé des nouvelles du jour. Voici maintenant Kim Parlee en discussion avec Bill Priest.
Bill, tout le monde se demande, en gros, ce qui se passe sur les marchés. D’un côté, les données économiques sont horribles. De l’autre, les marchés se rapprochent de leurs sommets records, à peine 10 % en dessous, et certaines actions atteignent de nouveaux sommets. Que se passe-t-il?
Je dois dire que la rapide remontée des marchés des dernières semaines a étonné la plupart d’entre nous. À la fin de l’année, on prévoyait une petite crise industrielle, où les rendements boursiers seraient possiblement à un chiffre inférieur, mais le virus a tout changé. Et ce qu’on a fait, essentiellement, c’est de plonger notre économie dans un coma artificiel pour contrer les effets du virus en appliquant la distanciation sociale. Et d’ici à ce qu’on ait un vaccin, il sera très difficile de dire avec assurance que la situation est vraiment maîtrisée.
Cela dit, les autorités monétaires et les responsables des politiques budgétaires ont pris des mesures « bazooka »; ils ont littéralement dépensé des milliards de dollars pour faire face au problème; il y a eu des mesures de remplacement du revenu et d’autres de relance; l’investissement est énorme. Et je dirais que le marché s’attend à ce que cela annule les effets négatifs de l’économie elle-même. À mon avis, c’est un défi de taille.
En trois semaines, on a effacé les gains d’emploi réalisés en 350 semaines. On affiche le pire taux de chômage depuis la Dépression. Le PIB, tout comme les bénéfices, vont dramatiquement chuter. Tout ça est, en quelque sorte, coulé dans le béton. La question est de savoir si on aperçoit un autre sommet à l’horizon! Au cours des dernières semaines, le marché semble dire que c’est le cas. Personnellement, je pense que c’est plutôt optimiste. Je ne crois pas que ce soit aussi évident que ça.
Cela dit, si vous ne voyez pas un autre sommet dans un avenir rapproché, que pensez-vous d’un repli important? Enfin, se pourrait-il que les investisseurs commencent à penser que les mesures canons ne suffiront pas? Eh bien, je crois qu’il pourrait y avoir un recul.
Premièrement, pour être tout à fait honnête, je dois dire que je n’ai jamais cru, au cours du dernier mois, qu’il y aurait une remontée. Je suis abasourdi. On peut voir que les économies essaient d’optimiser leurs ressources, et, selon les notions de base en la matière, les ressources foncières, financières et ouvrières doivent officiellement être réunies pour contribuer à la croissance économique. Mais actuellement, la productivité s’érode. L’emploi a fortement reculé. Donc, le PIB réel, qui correspond en gros à la somme de ces deux variables, dégringole à un rythme alarmant. À quel moment y a-t-il reprise? Et à quoi devrait-elle ressembler? On n’a même pas touché le fond au chapitre des données économiques.
Alors, selon moi, les gens spéculent sur les comportements de l’économie. S’agira-t-il d’une reprise en V, en W ou en L? Selon nous, elle prendra plutôt la forme du logo de Nike. L’économie diminuera fortement, puis augmentera, mais à quel niveau? Combien de temps faudra-t-il? Je ne le sais pas. Je considère donc que la probabilité que le marché baisse de nouveau est raisonnablement élevée.
Permettez-moi de vous interroger davantage sur la reprise. Pourriez-vous juste nous expliquer un peu plus ce que vous pensez à cet égard. Parce qu’on a déjà parlé ensemble de l’optimisation des ressources, mais la pandémie rend ça presque impossible. Il y a en ce moment une forte vague d’achats locaux, aux dépens de la mondialisation. On voit aussi que différents États adoptent des rythmes de déconfinement différents. Donc, à quoi ressemble une reprise?
Qu’est-ce que vous regardez pour évaluer la situation? Je pense que ça devra commencer par une certaine forme de stabilisation de l’emploi. Aux États-Unis, par exemple, au début de la pandémie, quelque 155 millions de personnes avaient un emploi. Et la majeure partie de ces emplois ont été éliminés. Du côté du monde des entreprises, les prévisions ont beaucoup changé. Le cinquième des entreprises du S&P 500 ont suspendu leurs prévisions de bénéfices, 20 %, de leurs dividendes. À l’heure actuelle, même les particuliers vendent leurs actions. Le taux d’épargne des particuliers a atteint un sommet historique en avril, et les actions se négocient à des ratios inégalés depuis 20 ans.
C’est incompatible, selon moi. Je ne vois tout simplement pas comment cela peut durer encore longtemps. Soit que les données vont beaucoup s’améliorer, et plus vite que bien des gens le pensent, ou, franchement, ce niveau de valorisation du marché devra s’effriter d’une certaine façon au cours des prochaines semaines.
Que faites-vous actuellement sur le plan de l’affectation des fonds? Quelle stratégie adoptez-vous pour l’avenir?
Epoch se fonde sur quelques principes simples. Les flux de trésorerie déterminent la valeur de toute entreprise. Sans flux de trésorerie, vous n’avez, en fin de compte, pas d’entreprise. Mais c’est l’affectation de la trésorerie qui détermine, ultimement, la valeur de l’entreprise. On essaie donc de repérer celles qui dégagent des flux de trésorerie disponibles, ce qui correspond aux fonds qui peuvent être distribués aux actionnaires après la déduction de l’impôt et des dépenses en immobilisations prévues.
Les sociétés qui utilisent efficacement leurs liquidités verseront les fonds qu’elles ne peuvent pas réinvestir aux propriétaires de l’entreprise. C’est le genre d’entreprises qu’on cherche. Actuellement, on les retrouve dans nombre de secteurs d’activité, mais surtout, selon moi, dans deux principaux secteurs pour nous : les soins de santé et les technologies. Les entreprises technologiques et scientifiques nous sortiront de cette pandémie.
Bill, regardons un graphique que votre équipe a préparé pour un récent webinaire. Il montre l’indice S&P et la valorisation que le marché en fait au chapitre des contrats à terme standardisés avec dividendes. À quoi s’attend-on sur le plan des versements. Ça ne semble pas bien joli. Ce graphique montre qu’il faudra huit ans pour que les dividendes reviennent aux niveaux de 2020. Qu’en dites-vous?
Les contrats à terme standardisés avec dividendes sur le S&P est un bon point de départ. Mais ce sont des contrats « à terme » qui fluctuent littéralement au quotidien. En janvier, on s’attendait à ce que les contrats à terme affichent une modeste hausse de 3 % à 5 % cette année. Au plus bas, ils avaient reculé de près de 40 %. Ils affichent maintenant une baisse d’environ 20 % à 25 %. Et ces données nous semblent adéquates. Il faut aussi tenir compte de la réaction des entreprises; tout repose sur une affectation judicieuse des liquidités.
Si vous pouvez réinvestir ces liquidités à votre coût du capital ou à un coût supérieur, c’est ce que vous devriez faire. Et si une entreprise dispose de nombreuses occasions de le faire - qu’il s’agisse de projets internes ou d’acquisitions - elle devrait le faire, et les dividendes seraient nuls. Parce que tant que tu peux réinvestir tes liquidités à un taux supérieur à celui de ce que ça te coûte pour obtenir un autre dollar d’investissement, c’est le moyen le plus rapide d’accroître la valeur pour les actionnaires.
D’un autre côté, les grandes entreprises matures ont très souvent très peu d’options, mais beaucoup de liquidités. Elles réinvestiront donc jusqu’à ce qu’elles n’aient plus l’impression de pouvoir obtenir un rendement du capital supplémentaire. À ce moment-là, elles devraient verser les fonds aux propriétaires de l’entreprise; ce qu’elles feront. Si elles doivent faire appel à l’aide du gouvernement ou d’une entité externe, toute affectation de ces fonds est extrêmement néfaste pour l’innovation... Vous vous retrouverez à appuyer des entreprises dites zombies, et ce n’est pas un legs qu’on veut laisser aux prochaines générations.
Si le gouvernement devient votre partenaire, vous devez faire très attention au rôle qu’il joue. Un partenariat qui doit durer indéfiniment peut avoir d’importantes connotations négatives. Donc, si on regarde du côté des dividendes, ceux-ci sont définitivement en baisse. Si on regarde ce qui s’est passé au cours des 90 dernières années, la corrélation entre les dividendes et les bénéfices se situent aux alentours de 98 %. Ils ont tendance à se suivre à long terme. Par conséquent, à moins qu’on ne prévoie une importante baisse à long terme des bénéfices, tout porte à croire que les dividendes continueront de suivre ces derniers. Est-ce que les ratios de distribution vont augmenter ou baisser? Eh bien, s’ils restent les mêmes à long terme, à la fin, les dividendes commenceront à augmenter en même temps que les bénéfices.
Mais à court terme, ils baisseront. Habituellement, leur baisse correspond à environ 50 % de celle des bénéfices. Disons que les bénéfices ont chuté de 40 % cette année. Je n’ai pas de boule de cristal, mais s’ils ont baissé de 40 %, vous pourriez raisonnablement croire que les dividendes ont perdu 20 %. Ce ne serait pas une attente déraisonnable.
Mais, au fil du temps, ils remonteront si l’économie mondiale reprend de la vigueur, et il y aura reprise économique. Quand on aura trouvé un vaccin, ce qui arrivera, selon moi, d’ici la fin de l’année prochaine, on aura une solution pour régler la source du problème. Par contre, il y aura une montagne de dettes et de nombreuses choses à surmonter. Mais je crois que la science et la technologie auront raison de ce virus d’ici la fin de 2021.
Eh bien, j’aimerais vous poser une question tendancieuse. Je sais que votre équipe a dit que les rumeurs concernant l’arrêt des versements des dividendes étaient très exagérées. Pour revenir à votre point, je pense que vous voyez les choses de manière plus positive. Pourriez-vous nous parler un peu plus de ce cycle lié aux bénéfices dont vous avez parlé, mais aussi des entreprises qui feront bonnes et mauvaises figures?
Eh bien, je pense qu’on doit préciser ce que les gens entendent par dividendes. La plupart du temps, il s’agit des dividendes en espèces. Mais les dividendes peuvent prendre deux autres formes. Il y a les rachats d’actions. Puis, il y a le remboursement de dettes au moyen du flux de trésorerie d’exploitation; c’est l’équivalent financier d’un dividende, parce que la participation dans l’entité augmente à mesure que la proportion « dividendes » diminue.
Mais le véritable problème, cette année, concerne surtout les rachats d’actions. Est-il adéquat de faire des rachats? Comment pouvez-vous racheter des actions quand vous licenciez des employés? Ce genre de questionnement. Eh bien, je pense que si vous recevez de l’aide du gouvernement, vous ne devriez pas être autorisé à racheter des actions. Vous ne devriez pas être autorisé à verser des dividendes. Mais si vous ne recevez pas d’aide gouvernementale, tout repose sur l’efficacité de votre affectation de ce capital aux actionnaires. C’est ça, la base du capitalisme.
Si je reviens aux dividendes, les entreprises devraient réinvestir jusqu’au dernier cent si elles peuvent obtenir une prime sur le coût du capital, mais de nombreux secteurs ne peuvent pas le faire. Les secteurs qui seront le plus touchés seront ceux des produits industriels, des matériaux et des finances. Ils souffriront cette année. Leurs bénéfices dégringoleront; il y aura réduction des dividendes; et bon nombre de ces entreprises élimineront assurément leurs rachats d’actions. Mais si tu regardes du côté des technologies, des soins de santé, des biens de consommation de base, et même de certains services publics, les dividendes continueront d’augmenter. Donc, ça ira bien pour certains secteurs. Mais d’autres seront durement touchés.
On en a parlé lors d’un épisode précédent. On a écrit un article faisant allusion aux « bits » contre les « atomes ». La meilleure façon de regarder ça, c’est d’utiliser la formule qu’on appelle souvent la formule du rendement des capitaux propres de DuPont. On multiplie les marges bénéficiaires par le ratio d’activité, puis par l’effet de levier. Et comme la technologie s’intègre de plus en plus à nos vies, la plupart des entreprises tentent de remplacer la main-d’œuvre par la technologie. Et si vous pouvez remplacer la main-d’œuvre par la technologie tout en assurant la constance de vos revenus, vos marges bénéficiaires augmenteront. Et si la technologie peut servir à réduire votre besoin en espaces physiques, comme nombre de détaillants l’ont fait en vendant leurs produits sur Internet, votre chiffre d’affaires par dollar d’actif augmentera.
Toutes les entreprises du monde cherchent à adopter ce modèle d’affaires exigeant peu de capitaux, mais il se produit une chose très intéressante quand tu mets ce modèle en place. La troisième composante de cette formule de calcul du rendement des capitaux correspond à l’effet de levier, c’est-à-dire aux actifs par dollar de capitaux propres. Donc, si on regarde un bilan... Le côté gauche correspond à vos actifs, et le côté droit, à vos passifs et aux fonds propres. Si je peux remplacer la main-d’œuvre et les actifs physiques par la technologie, je n’ai pas besoin de déployer ces actifs dans mon entreprise. Je peux retirer des fonds de celle-ci, tant que je génère des rentrées, tout en continuant d’offrir un rendement des capitaux propres très élevé.
La technologie devrait commencer à accroître efficacement les ratios de distribution. Quand on y regarde de plus près, on voit que les entreprises n’ont pas besoin d’investir autant aujourd’hui pour obtenir le même niveau de ventes; leurs ratios de distribution devraient lentement commencer à augmenter. Pour l’instant, c’est simplement que... tout le monde est accablé par le virus, ce qui est catastrophique. Mais avec le temps, les perspectives sont en fait très bonnes, parce que les entreprises n’ont pas besoin d’autant de capital pour générer le même niveau de revenus.