Le nombre de femmes faisant carrière en sciences, en technologie, en génie et en mathématiques (STGM) augmente, mais très lentement. Beata Caranci, économiste en chef à la TD, discute avec Kim Parlee d’un nouveau rapport des Services économiques TD qui explore les raisons sous-jacentes et propose des idées pour réduire l’écart entre les genres dans ces domaines et en général.
Beata Caranci, économiste en chef à la TD, m’a rejointe plus tôt et je l’ai questionnée au sujet de cette étude et des raisons qui l’ont incitée à traiter ce sujet.
Deux raisons... Une chose m’a inspirée. Je vérifiais sur Internet qui la Banque du Canada avait sélectionné parmi les femmes susceptibles de figurer sur un billet. Elizabeth McGill faisait partie de ces femmes. J’ai lu sa biographie et trouvé que c’était une personne très intéressante. Premier ingénieur électricien au Canada dans les années 1920, elle est allée aux États-Unis faire une maîtrise en génie aéronautique, pour ensuite revenir au Canada et travailler à mettre au point un des meilleurs avions de chasse de la Deuxième Guerre mondiale.
C’est fascinant qu’une personne dans les années 1920 ait choisi un tel parcours professionnel. Cela a piqué ma curiosité intellectuelle d’économiste. Comme nous sommes dans un monde fortement numérisé et que c’est un domaine en plein essor, j’ai voulu savoir comment les femmes réussissent aujourd’hui après ses efforts de pionnière.
Une des choses les plus intéressantes, vous l’avez dit, c’est que cette femme incroyable, je n’en avais jamais entendu parler, et cela fait partie du problème. Alors, parlons du problème. Quel problème observez-vous?
Le domaine des STIM, à savoir des sciences, des technologies, de l’ingénierie et des mathématiques, ce groupe de disciplines, est l’un de ceux où la croissance de l’emploi est la plus forte. Après la récession, il a connu une croissance de 22 %, soit le triple du taux observé dans le reste de l’économie. Il touche tous les secteurs.
Ce n’est plus juste les grosses boîtes de TI. C’est le secteur financier, la fabrication, les services publics. Cela touche presque toute l’économie.
Et cela soulève la question, liée à la forte tendance, chez les femmes, de décrocher un bac ou une maîtrise à l’université... Elles sont 50 % ou plus des diplômés. Comment se fait-il qu’elles ne soient pas dans les STIM, qu’elles n’y sont qu’entre 20 % et 30 %, alors que c’est un domaine où les salaires sont les plus élevés, et la croissance, la plus forte?
C’est un problème parce que, si ça se poursuit, cette faible représentation des femmes dans les STIM, ça peut faire persister l’écart salarial entre les sexes, car la croissance des salaires dans ce domaine est plus forte que dans le reste des secteurs en moyenne.
L’autre fait intéressant que j’ai relevé concerne les femmes qui obtiennent un diplôme dans un domaine autre que les STIM, comparativement, au ratio des domaines dans lesquels elles étudient à l’université... L’autre fait que j’ai trouvé intéressant et un peu perturbant, c’est que les femmes qui travaillent dans les STIM ont un salaire inférieur à celui des hommes dans le même domaine.
Oui, c’est un phénomène intéressant, et quelque chose que je n’ai appris qu’en épluchant les documents un peu. Après qu’une femme a réussi ses études dans les STIM, à son entrée sur le marché du travail, deux voies s’offrent à elle : soit un poste de professionnel, ingénieur en logiciel, par exemple, soit un poste de technicien, consistant à soumettre le logiciel à des tests plutôt qu’à le concevoir.
Le technicien est moins payé que le professionnel. Ce dernier est payé de 30 % à près de 40 % plus cher que le technicien. Nous avons découvert que les femmes détenant un bac en STIM occupent une part disproportionnée des postes de technicien.
Elles choisissent le domaine le mieux payé, un poste de technicien vous vaut un meilleur salaire en moyenne qu’un poste dans un autre domaine, mais c’est la moins bien payée des deux voies. Alors, cela contribue à perpétuer l’écart salarial entre les sexes, cette répartition quant à la nature des postes sur le marché du travail.
Une autre chose que j’ai trouvé intéressante dans l’étude, c’est qu’elle a un petit côté normatif que l’on ne retrouve pas en général dans les études économiques. Qu’est-ce qui peut être fait? Vous indiquez que cela ne tient pas à une différence au plan des aptitudes.
Non.
Ce n’est pas le cas. Mettons cela de côté et cessons d’en parler. Qu’est-ce qui peut être fait?
Oui. C’est intéressant, j’essayais de trouver des exemples où... La proportion de femmes en ingénierie et en informatique, en particulier, ne progresse guère. Depuis 10 ans, la proportion n’a pas progressé beaucoup. De fait, en informatique, elle a même empiré, car les hommes se dirigent vers ce domaine en plus grande proportion que les femmes.
Ce que nous avons fait, c’est que nous nous sommes demandé quels étaient les pays ou les entreprises qui avaient réussi à changer les choses en incitant les femmes à étudier dans le domaine et à y travailler. Nous avons découvert que beaucoup de mesures sont mises en œuvre par les universités. Nous avons découvert des exemples formidables aux États-Unis.
Il y a l’université Harvey Mudd, de même que Standford, que l’on connaît bien. Ces institutions ont adopté des mesures différentes, mieux ciblées, pour intéresser les femmes au domaine. Ce n’est pas une question de non-préférence. Ce qui se produit, c’est qu’à l’étape des études les femmes ne voient pas le parcours professionnel qui leur convient.
L’informatique évoque le jeu pour la plupart des gens, mais c’est bien plus que cela. On crée des logiciels dans le domaine de la santé, par exemple.
Ça touche tous les domaines, vous l’avez dit.
Quand on fait ce lien et que l’on montre l’application des études dans le monde du travail, davantage de femmes s’orientent vers le domaine et y demeurent. Harvey Mudd a quadruplé le taux d’obtention de diplômes en l’espace de quatre ans.
Comment le Canada se compare-t-il aux autres pays quant à la proportion de femmes dans les STIM?
Cela varie selon le pays. Dans un pays comme la Suisse, par exemple, la proportion de femmes en informatique et en ingénierie est environ 10 points de pourcentage plus élevée qu’au Canada. En ingénierie, au Canada, par exemple, 10 % environ des diplômés sont des femmes. En Suisse, la proportion est plus élevée d’environ 10 % sur le plan de l’emploi. La proportion est donc plus importante là-bas.
Singapour est un autre exemple. La Chine en est un autre, la Corée. C’est selon le pays. Vous allez voir la proportion varier.
On emploie différentes tactiques. À Singapour, on met l’accent sur une formation des enseignants qui aide ceux-ci à faire le lien avec le marché du travail. Ils ont droit à plus de 100 heures de perfectionnement professionnel.
Nous avons pris connaissance d’une étude du Conseil scolaire du district de Toronto indiquant que les enseignants interrogés sont très intéressés à enseigner cela, mais estiment ne pas disposer des ressources nécessaires. 40 % des enseignants interrogés avaient du mal à repérer des emplois pour les étudiants. Il est difficile d’enseigner un sujet quand vous ne pouvez faire ce lien.
Une dernière question. Quelle est la chose la plus encourageante et quelle est la chose plus décourageante que l’étude a révélées? Ou qu’est-ce qui vous a surpris?
La chose la plus encourageante, ce sont les exemples, très forts, d’universités qui ont obtenu de bons résultats, telle Harvey Mudd. Même l’université de Toronto Waterloo a récemment vu les inscriptions augmenter. C’est la chose encourageante, le fait de constater que l’on progresse. Et nous devrions constater cela sur le marché du travail dans trois ou quatre ans, quand ces gens y feront leur entrée.
La chose décourageante est le choix du type de poste qui est fait. Les mêmes normes doivent s’appliquer aux femmes et aux hommes entrant sur le marché. Si les femmes sont orientées vers des postes de technicien plutôt que vers des postes de professionnel, les entreprises doivent agir à cet égard également... revoir leur politique ou leur méthode d’embauche et même le mentorat offert aux femmes. Il faut que tout le monde soit sur le même pied.
Très intéressant, Beata. Merci beaucoup.
Je vous en prie.
C’était Beata Caranci, économiste en chef à la TD, sur l’avenir des femmes dans les STIM.