
Kim Parlee récapitule l’actualité du jour, notamment les dernières nouvelles sur la COVID-19, puis discute des forces qui régissent actuellement le marché du pétrole avec Bart Melek, chef mondial, Stratégie relative aux produits de base, Valeurs Mobilières TD.
Print Transcript
[MUSIQUE]
KIM PARLEE : Bonjour à tous. Bienvenue au bulletin quotidien sur la COVID-19 de Parlons d’argent du jeudi 19 mars. Je m’appelle Kim Parlee. On vous présente un nouveau format, pour vous transmettre les dernières grandes nouvelles du jour et vous présenter les points de vue de certaines personnes très compétentes sur ce qui se passe en ce moment dans les marchés et relativement aux finances personnelles.
Dans quelques instants, on va examiner les prix du pétrole avec Bart Melek, chef mondial, Stratégie relative aux produits de base de Valeurs Mobilières TD. Les prix du pétrole sont à des niveaux jamais vus depuis 30 ans et avant, ça remonte aux années 1940. On le voit dans l’Ouest, où le brut lourd Western Canadian Select est fortement touché. On va en discuter dans une seconde.
Mais pour vous mettre au courant des dernières nouvelles, la BCE, la Banque centrale européenne, a annoncé un important programme d’achat d’obligations, 814 milliards de dollars pour calmer les marchés qui soutiennent l’économie de l’UE. Point favorable : la Chine a signalé l’absence de nouvelle contamination locale aujourd’hui. L’Alberta offrira 572 dollars par semaine aux citoyens, selon les critères gouvernementaux d’isolement volontaire. Air Canada suspend progressivement ses vols internationaux d’ici le 31 mars.
La Bourse de New York ferme temporairement son parquet et va poursuivre ses échanges en mode électronique, après que certains de ses négociants ont contracté le coronavirus. GM, Ford et Chrysler vont fermer toutes les usines canadiennes et américaines en Amérique du Nord jusqu’au 30 mars. Le ministre canadien des Finances, Bill Morneau, déclare qu’il reste une possibilité de nouvelles mesures de relance budgétaire, qui n’ont pas encore été écartées.
Et je vais aussi avoir quelques bonnes nouvelles. On apprend actuellement que des dauphins nagent dans les canaux à Venise, parce que la circulation a diminué. C’est donc intéressant de voir ce qui se passe sur ce plan. On apprend également, à l’instant même, que le gouvernement de New York a ordonné à 75 % de la main-d’œuvre non essentielle de rester à la maison, car le nombre de cas est passé à environ 4 000.
Il se passe beaucoup de choses, qui changent constamment. Et comme je l’ai mentionné, les prix du pétrole sont à des niveaux historiquement bas. Voici donc Bart Melek, qui nous parlera un peu de ce qui se passe en ce moment relativement aux prix du pétrole. Bart, la dernière fois qu’on a vu de tels niveaux de prix, c’était, comme je l’ai dit, il y a 30 ans. Avant ça, il faut remonter loin dans le temps. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi on assiste à un effondrement aussi important des prix du pétrole en ce moment?
BART MELEK : Eh bien, il est certain que le principal facteur est l’anticipation d’un effondrement de la demande au cours des prochains mois. La distanciation sociale en Amérique du Nord commence à s’établir. Comme les compagnies aériennes sont clouées au sol, on s’attend à une très forte diminution de la demande à l’échelle mondiale. En fait, on estime que la perte liée à la baisse de la demande sera de l’ordre de 10 à 11 millions de barils au cours des prochains mois, peut-être même plus.
Ça signifie essentiellement que, très rapidement, les stocks vont s’accumuler. Et, comme si la demande ne laissait déjà pas assez à désirer, il y a la querelle entre la Russie et l’Arabie saoudite. Et ce qu’ils n’ont pas fait, essentiellement, c’est s’entendre sur un accord de gestion de l’offre. En substance, on pensait tous qu’ils réduiraient la production en réponse à une demande plus faible. Au lieu de ça, ils se sont lancés dans une guerre des prix avec l’Arabie saoudite, ce qui n’a pas fait diminuer l’offre. Ils ont en plus changé leur fusil d’épaule, comme on dit, et ont décidé d’augmenter la production de manière agressive, la faisant passer d’un peu moins de 10 millions de barils à probablement plus de 12 millions de barils.
Ça signifie qu’il va y avoir de très gros stocks et, éventuellement, un manque de capacité de stockage en Amérique du Nord et dans le monde. C’est pourquoi on a ce problème en plus, qui s’ajoute à toute la volatilité sur les marchés et le marché financier en général, la vente d’actions et le risque. Et voici où on en est. Le prix du WPI est très bas.
KIM PARLEE : Bart, laissez-moi intervenir. Parce qu’il y a tant de choses à examiner relativement au manque de liquidité et à la volatilité des marchés, que j’aborderai dans un instant concernant l’aspect financier. Mais en ce qui a trait à l’offre excédentaire, vous avez mentionné que la capacité de stockage pourrait être atteinte. Et j’ai même entendu certaines personnes parler de prix négatifs, car les producteurs cherchent simplement un moyen de réduire un peu leurs stocks, parce qu’il n’y a simplement plus d’endroit où les mettre.
BART MELEK : C’est certainement un risque, et ce n’est pas sans précédent. On a constaté quelque chose de semblable sur les marchés du gaz naturel, où le gaz naturel a été vendu à un prix négatif. On a également vu quelques incidents dans le brut, mais seulement dans des circonstances très, très particulières. Mais c’est certainement une possibilité. On doit se rappeler qu’il s’agit de produits très réglementés. Ça exige des installations de stockage spécialement conçues et agréées. Et s’il y a des réserves, il se peut qu’il soit impossible de les écouler rapidement. Il faut alors les mettre quelque part. Et puis, si personne n’en veut, vous devrez peut-être trouver un incitatif pour pouvoir pour vous en débarrasser. C’est donc très grave, en effet, au moins pour un certain temps.
KIM PARLEE : Dites-m’en plus à ce sujet. Le plus difficile, bien sûr, c’est l’ampleur de la crise et sa durée. Vous avez parlé d’une situation désespérée pendant un certain temps. Combien de temps cette offre excédentaire devrait-elle durer? Cette baisse de la demande va-t-elle provoquer la reprise des discussions entre l’Arabie saoudite et la Russie? Et où en serons-nous dans les six prochains mois ou dans un an?
BART MELEK : Eh bien, hier, nous avons publié un article qui tente d’explorer un peu ce sujet. Nous avons essayé de modéliser cette prévision. Et on est fondamentalement confrontés à un déclin important de la demande au cours des prochains trimestres. Mais malheureusement, on ne s’attend pas à une réponse importante du côté de l’offre, pour l’instant. L’Arabie saoudite dispose de plus d’un demi-billion de dollars de fonds qui peuvent provenir d’opérations de change. La Russie aussi. Et il semble qu’ils veulent nuire considérablement aux producteurs de pétrole de schiste, parce qu’ils ont pris leur part de marché. L’OPEP faisait des coupures, mais eux n’en faisaient pas.
On imagine que ça prendra au moins un trimestre, peut-être deux, pour que la pression soit suffisante pour réduire à zéro les dépenses en immobilisations auprès des producteurs de pétrole de schiste. On estime que 80 % d’entre eux ne pourront pas couvrir leur coût réel. Et ils ne seront pas tous en mesure de couvrir les coûts décaissés, le coût C1, et ça touchera peut-être autant que 50 % de l’industrie.
Mais il faudra du temps pour qu’ils réduisent réellement l’offre. Ils ne vont pas le faire volontairement. Ils vont vouloir obtenir autant d’argent que possible. Ils vont, en gros, manquer de ressources avec l’arrêt des dépenses d’immobilisations. Et ça peut prendre un certain temps. Et il est très peu probable que la Russie et l’Arabie saoudite le fassent, à moins qu’ils aient la preuve que la production des producteurs de pétrole de schiste entame une courbe descendante. Ça pourrait donc prendre quelques trimestres, j’imagine.
KIM PARLEE : Permettez-moi de vous demander, une seconde, par rapport au brut Western Canadian Select. J’ai mentionné hier que les prix ont atteint un plancher de 7 dollars et des poussières, ce qui était une baisse vertigineuse. L’Ouest canadien était déjà confronté à ses propres difficultés, évidemment, en matière de fixation des prix. Avez-vous une idée de ce qui pourrait se passer concernant la fixation des prix?
BART MELEK : Au moins à court terme, elle continuera à subir des pressions. Le problème est que ces marchés vont être inondés de brut. Et avec l’éloignement social généralisé auquel on assiste, il est peu probable qu’il y ait de la demande. Dans les raffineries qui l’utilisent, le produit sert à fabriquer du diesel et de l’essence. On a vu les marges de craquage s’effondrer, ce qui signifie qu’il n’y a peut-être pas de demande pour ce brut. Ce n’est plus une contrainte de capacité. Il s’agit désormais d’une contrainte de la demande et d’une surabondance des stocks aux États-Unis.
J’ai donc peur qu’il n’y ait pas beaucoup de raisons de penser que ça va rebondir. Il est fort possible que les gouvernements au Canada devront, encore une fois, restreindre l’offre de ce produit pour faire monter les prix, comme l’a fait l’Alberta il y a quelque temps, comme vous le savez.
KIM PARLEE : Parlez-moi des marchés eux-mêmes. Est-ce que les marchés manquent de liquidité, à l’heure actuelle? On constate une grande volatilité dans tous les domaines, et le pétrole ne fait pas exception. Que pensez-vous du négoce pétrolier?
BART MELEK : Eh bien, la volatilité est énorme. On a atteint des leviers records. Lorsqu’on rajuste le cours fixe en fonction des nouvelles méthodes, il est même plus élevé que pendant la crise financière. Et ça signifie que beaucoup de courtiers en marchandises, beaucoup d’autres fonds systématiques et de fonds algorithmiques pour lesquels la volatilité est un facteur déterminant de leur positionnement, réduiront leur exposition à toutes sortes de produits. C’est ce qu’on voit certainement dans le cas de l’or, qui est considéré comme une protection. Les gens le vendent, non pas parce qu’il n’est pas bien en soi, mais puisque la volatilité et des raisons de liquidité les y poussent. Donc, les marchés sont très erratiques. Et c’est un problème qui émane surtout de l’incertitude. On ne sait pas comment se terminera la partie. On n’est pas sûrs de ce que seront les retombées fiscales. On découvre que tous ces programmes de relance massifs des banques centrales de la Réserve fédérale, par exemple, ou le marché des pensions, soit 5,5 billions de dollars, offrent un soutien, mettent en place de nouvelles facilités de crédit, comme ils l’ont fait pendant la crise financière, pour s’assurer qu’il y a de la liquidité dans les marchés. Rien de tout ça n’a vraiment aidé.
Et fondamentalement, la raison en est, à mon avis, qu’on ne sait pas à quel point cette situation de la COVID-19 va s’aggraver, si on va s’en remettre, et s’il y aura suffisamment de solvabilité, du côté des entreprises et des particuliers, pour avoir un environnement sain qui nous permettra de croître une fois la crise du virus passée. Il y a donc beaucoup d’incertitude, qui relève en grande partie de la politique. C’est un problème de santé que les liquidités de la banque centrale ne pourront pas résoudre.
KIM PARLEE : Permettez-moi de vous poser une dernière question, Bart. J’apprécie vos observations. Personne n’a de boule de cristal. Mais quand on regarde d’ici un an ou deux - je ne sais pas si les gens ont la capacité de le faire, en ce moment - prévoyez-vous des changements structurels en raison de ce qui se passe aujourd’hui, qui pourraient se répercuter sur les marchés pétroliers à l’avenir?
BART MELEK : Je crois que oui. Je pense qu’un changement majeur sera le fait qu’une grande partie des producteurs d’appoint à coût élevé qui comptent sur des dépenses en immobilisations constantes pour continuer leurs affaires représenteront probablement une part de marché moins importante qu’aujourd’hui. On a déjà du mal à attirer le capital de risque vers les sociétés pétrolières de toutes sortes en raison des préoccupations environnementales, des problèmes et c’est déjà le cas.
Maintenant, avec cet autre ensemble massif de volatilité et de risque sur ce marché - souvenez-vous - les investisseurs vont devoir tenir compte du fait qu’on pourrait voir l’Arabie saoudite et d’autres acteurs étatiques, comme les Russes, s’attaquer au marché et leur causer du tort. Et aussi un petit problème : la sagesse de faire baisser le capital des producteurs à coût élevé, comme le sont beaucoup de producteurs de pétrole de schiste et d’autres acteurs non conventionnels, par exemple dans le secteur des sables bitumineux.
On aura donc probablement moins de croissance et probablement une plus petite part de marché que ce qu’on a aujourd’hui.
KIM PARLEE : Bart, excellentes observations, je vous remercie de votre temps. Et je suis sûre que vous êtes très occupé en ce moment. Merci beaucoup.
BART MELEK : Avec plaisir. Merci infiniment.
KIM PARLEE : M. Bart Melek, chef mondial, Stratégie relative aux produits de base de Valeurs Mobilières TD. Cela conclut notre bulletin quotidien d’aujourd’hui sur la COVID-19 de Parlons d’argent. Portez-vous bien.
[MUSIQUE]
KIM PARLEE : Bonjour à tous. Bienvenue au bulletin quotidien sur la COVID-19 de Parlons d’argent du jeudi 19 mars. Je m’appelle Kim Parlee. On vous présente un nouveau format, pour vous transmettre les dernières grandes nouvelles du jour et vous présenter les points de vue de certaines personnes très compétentes sur ce qui se passe en ce moment dans les marchés et relativement aux finances personnelles.
Dans quelques instants, on va examiner les prix du pétrole avec Bart Melek, chef mondial, Stratégie relative aux produits de base de Valeurs Mobilières TD. Les prix du pétrole sont à des niveaux jamais vus depuis 30 ans et avant, ça remonte aux années 1940. On le voit dans l’Ouest, où le brut lourd Western Canadian Select est fortement touché. On va en discuter dans une seconde.
Mais pour vous mettre au courant des dernières nouvelles, la BCE, la Banque centrale européenne, a annoncé un important programme d’achat d’obligations, 814 milliards de dollars pour calmer les marchés qui soutiennent l’économie de l’UE. Point favorable : la Chine a signalé l’absence de nouvelle contamination locale aujourd’hui. L’Alberta offrira 572 dollars par semaine aux citoyens, selon les critères gouvernementaux d’isolement volontaire. Air Canada suspend progressivement ses vols internationaux d’ici le 31 mars.
La Bourse de New York ferme temporairement son parquet et va poursuivre ses échanges en mode électronique, après que certains de ses négociants ont contracté le coronavirus. GM, Ford et Chrysler vont fermer toutes les usines canadiennes et américaines en Amérique du Nord jusqu’au 30 mars. Le ministre canadien des Finances, Bill Morneau, déclare qu’il reste une possibilité de nouvelles mesures de relance budgétaire, qui n’ont pas encore été écartées.
Et je vais aussi avoir quelques bonnes nouvelles. On apprend actuellement que des dauphins nagent dans les canaux à Venise, parce que la circulation a diminué. C’est donc intéressant de voir ce qui se passe sur ce plan. On apprend également, à l’instant même, que le gouvernement de New York a ordonné à 75 % de la main-d’œuvre non essentielle de rester à la maison, car le nombre de cas est passé à environ 4 000.
Il se passe beaucoup de choses, qui changent constamment. Et comme je l’ai mentionné, les prix du pétrole sont à des niveaux historiquement bas. Voici donc Bart Melek, qui nous parlera un peu de ce qui se passe en ce moment relativement aux prix du pétrole. Bart, la dernière fois qu’on a vu de tels niveaux de prix, c’était, comme je l’ai dit, il y a 30 ans. Avant ça, il faut remonter loin dans le temps. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi on assiste à un effondrement aussi important des prix du pétrole en ce moment?
BART MELEK : Eh bien, il est certain que le principal facteur est l’anticipation d’un effondrement de la demande au cours des prochains mois. La distanciation sociale en Amérique du Nord commence à s’établir. Comme les compagnies aériennes sont clouées au sol, on s’attend à une très forte diminution de la demande à l’échelle mondiale. En fait, on estime que la perte liée à la baisse de la demande sera de l’ordre de 10 à 11 millions de barils au cours des prochains mois, peut-être même plus.
Ça signifie essentiellement que, très rapidement, les stocks vont s’accumuler. Et, comme si la demande ne laissait déjà pas assez à désirer, il y a la querelle entre la Russie et l’Arabie saoudite. Et ce qu’ils n’ont pas fait, essentiellement, c’est s’entendre sur un accord de gestion de l’offre. En substance, on pensait tous qu’ils réduiraient la production en réponse à une demande plus faible. Au lieu de ça, ils se sont lancés dans une guerre des prix avec l’Arabie saoudite, ce qui n’a pas fait diminuer l’offre. Ils ont en plus changé leur fusil d’épaule, comme on dit, et ont décidé d’augmenter la production de manière agressive, la faisant passer d’un peu moins de 10 millions de barils à probablement plus de 12 millions de barils.
Ça signifie qu’il va y avoir de très gros stocks et, éventuellement, un manque de capacité de stockage en Amérique du Nord et dans le monde. C’est pourquoi on a ce problème en plus, qui s’ajoute à toute la volatilité sur les marchés et le marché financier en général, la vente d’actions et le risque. Et voici où on en est. Le prix du WPI est très bas.
KIM PARLEE : Bart, laissez-moi intervenir. Parce qu’il y a tant de choses à examiner relativement au manque de liquidité et à la volatilité des marchés, que j’aborderai dans un instant concernant l’aspect financier. Mais en ce qui a trait à l’offre excédentaire, vous avez mentionné que la capacité de stockage pourrait être atteinte. Et j’ai même entendu certaines personnes parler de prix négatifs, car les producteurs cherchent simplement un moyen de réduire un peu leurs stocks, parce qu’il n’y a simplement plus d’endroit où les mettre.
BART MELEK : C’est certainement un risque, et ce n’est pas sans précédent. On a constaté quelque chose de semblable sur les marchés du gaz naturel, où le gaz naturel a été vendu à un prix négatif. On a également vu quelques incidents dans le brut, mais seulement dans des circonstances très, très particulières. Mais c’est certainement une possibilité. On doit se rappeler qu’il s’agit de produits très réglementés. Ça exige des installations de stockage spécialement conçues et agréées. Et s’il y a des réserves, il se peut qu’il soit impossible de les écouler rapidement. Il faut alors les mettre quelque part. Et puis, si personne n’en veut, vous devrez peut-être trouver un incitatif pour pouvoir pour vous en débarrasser. C’est donc très grave, en effet, au moins pour un certain temps.
KIM PARLEE : Dites-m’en plus à ce sujet. Le plus difficile, bien sûr, c’est l’ampleur de la crise et sa durée. Vous avez parlé d’une situation désespérée pendant un certain temps. Combien de temps cette offre excédentaire devrait-elle durer? Cette baisse de la demande va-t-elle provoquer la reprise des discussions entre l’Arabie saoudite et la Russie? Et où en serons-nous dans les six prochains mois ou dans un an?
BART MELEK : Eh bien, hier, nous avons publié un article qui tente d’explorer un peu ce sujet. Nous avons essayé de modéliser cette prévision. Et on est fondamentalement confrontés à un déclin important de la demande au cours des prochains trimestres. Mais malheureusement, on ne s’attend pas à une réponse importante du côté de l’offre, pour l’instant. L’Arabie saoudite dispose de plus d’un demi-billion de dollars de fonds qui peuvent provenir d’opérations de change. La Russie aussi. Et il semble qu’ils veulent nuire considérablement aux producteurs de pétrole de schiste, parce qu’ils ont pris leur part de marché. L’OPEP faisait des coupures, mais eux n’en faisaient pas.
On imagine que ça prendra au moins un trimestre, peut-être deux, pour que la pression soit suffisante pour réduire à zéro les dépenses en immobilisations auprès des producteurs de pétrole de schiste. On estime que 80 % d’entre eux ne pourront pas couvrir leur coût réel. Et ils ne seront pas tous en mesure de couvrir les coûts décaissés, le coût C1, et ça touchera peut-être autant que 50 % de l’industrie.
Mais il faudra du temps pour qu’ils réduisent réellement l’offre. Ils ne vont pas le faire volontairement. Ils vont vouloir obtenir autant d’argent que possible. Ils vont, en gros, manquer de ressources avec l’arrêt des dépenses d’immobilisations. Et ça peut prendre un certain temps. Et il est très peu probable que la Russie et l’Arabie saoudite le fassent, à moins qu’ils aient la preuve que la production des producteurs de pétrole de schiste entame une courbe descendante. Ça pourrait donc prendre quelques trimestres, j’imagine.
KIM PARLEE : Permettez-moi de vous demander, une seconde, par rapport au brut Western Canadian Select. J’ai mentionné hier que les prix ont atteint un plancher de 7 dollars et des poussières, ce qui était une baisse vertigineuse. L’Ouest canadien était déjà confronté à ses propres difficultés, évidemment, en matière de fixation des prix. Avez-vous une idée de ce qui pourrait se passer concernant la fixation des prix?
BART MELEK : Au moins à court terme, elle continuera à subir des pressions. Le problème est que ces marchés vont être inondés de brut. Et avec l’éloignement social généralisé auquel on assiste, il est peu probable qu’il y ait de la demande. Dans les raffineries qui l’utilisent, le produit sert à fabriquer du diesel et de l’essence. On a vu les marges de craquage s’effondrer, ce qui signifie qu’il n’y a peut-être pas de demande pour ce brut. Ce n’est plus une contrainte de capacité. Il s’agit désormais d’une contrainte de la demande et d’une surabondance des stocks aux États-Unis.
J’ai donc peur qu’il n’y ait pas beaucoup de raisons de penser que ça va rebondir. Il est fort possible que les gouvernements au Canada devront, encore une fois, restreindre l’offre de ce produit pour faire monter les prix, comme l’a fait l’Alberta il y a quelque temps, comme vous le savez.
KIM PARLEE : Parlez-moi des marchés eux-mêmes. Est-ce que les marchés manquent de liquidité, à l’heure actuelle? On constate une grande volatilité dans tous les domaines, et le pétrole ne fait pas exception. Que pensez-vous du négoce pétrolier?
BART MELEK : Eh bien, la volatilité est énorme. On a atteint des leviers records. Lorsqu’on rajuste le cours fixe en fonction des nouvelles méthodes, il est même plus élevé que pendant la crise financière. Et ça signifie que beaucoup de courtiers en marchandises, beaucoup d’autres fonds systématiques et de fonds algorithmiques pour lesquels la volatilité est un facteur déterminant de leur positionnement, réduiront leur exposition à toutes sortes de produits. C’est ce qu’on voit certainement dans le cas de l’or, qui est considéré comme une protection. Les gens le vendent, non pas parce qu’il n’est pas bien en soi, mais puisque la volatilité et des raisons de liquidité les y poussent. Donc, les marchés sont très erratiques. Et c’est un problème qui émane surtout de l’incertitude. On ne sait pas comment se terminera la partie. On n’est pas sûrs de ce que seront les retombées fiscales. On découvre que tous ces programmes de relance massifs des banques centrales de la Réserve fédérale, par exemple, ou le marché des pensions, soit 5,5 billions de dollars, offrent un soutien, mettent en place de nouvelles facilités de crédit, comme ils l’ont fait pendant la crise financière, pour s’assurer qu’il y a de la liquidité dans les marchés. Rien de tout ça n’a vraiment aidé.
Et fondamentalement, la raison en est, à mon avis, qu’on ne sait pas à quel point cette situation de la COVID-19 va s’aggraver, si on va s’en remettre, et s’il y aura suffisamment de solvabilité, du côté des entreprises et des particuliers, pour avoir un environnement sain qui nous permettra de croître une fois la crise du virus passée. Il y a donc beaucoup d’incertitude, qui relève en grande partie de la politique. C’est un problème de santé que les liquidités de la banque centrale ne pourront pas résoudre.
KIM PARLEE : Permettez-moi de vous poser une dernière question, Bart. J’apprécie vos observations. Personne n’a de boule de cristal. Mais quand on regarde d’ici un an ou deux - je ne sais pas si les gens ont la capacité de le faire, en ce moment - prévoyez-vous des changements structurels en raison de ce qui se passe aujourd’hui, qui pourraient se répercuter sur les marchés pétroliers à l’avenir?
BART MELEK : Je crois que oui. Je pense qu’un changement majeur sera le fait qu’une grande partie des producteurs d’appoint à coût élevé qui comptent sur des dépenses en immobilisations constantes pour continuer leurs affaires représenteront probablement une part de marché moins importante qu’aujourd’hui. On a déjà du mal à attirer le capital de risque vers les sociétés pétrolières de toutes sortes en raison des préoccupations environnementales, des problèmes et c’est déjà le cas.
Maintenant, avec cet autre ensemble massif de volatilité et de risque sur ce marché - souvenez-vous - les investisseurs vont devoir tenir compte du fait qu’on pourrait voir l’Arabie saoudite et d’autres acteurs étatiques, comme les Russes, s’attaquer au marché et leur causer du tort. Et aussi un petit problème : la sagesse de faire baisser le capital des producteurs à coût élevé, comme le sont beaucoup de producteurs de pétrole de schiste et d’autres acteurs non conventionnels, par exemple dans le secteur des sables bitumineux.
On aura donc probablement moins de croissance et probablement une plus petite part de marché que ce qu’on a aujourd’hui.
KIM PARLEE : Bart, excellentes observations, je vous remercie de votre temps. Et je suis sûre que vous êtes très occupé en ce moment. Merci beaucoup.
BART MELEK : Avec plaisir. Merci infiniment.
KIM PARLEE : M. Bart Melek, chef mondial, Stratégie relative aux produits de base de Valeurs Mobilières TD. Cela conclut notre bulletin quotidien d’aujourd’hui sur la COVID-19 de Parlons d’argent. Portez-vous bien.
[MUSIQUE]