
Les marchés boursiers ont presque renoué avec leurs sommets records de février. Mais les taux d’intérêt sont encore faibles et pourraient le rester au moins jusqu’en 2022. Kim Parlee et Pryia Misra, chef, Stratégie mondiale liée aux taux à Valeurs Mobilières TD, discutent des répercussions des mesures de relance sans précédent sur les marchés et la politique monétaire.
Priya, j’aimerais qu’on commence par les marchés et les taux d’intérêt. Et pour quelqu’un qui regarde ça aujourd’hui, les marchés sont pratiquement revenus à leurs sommets de février. En revanche, les taux d’intérêt sont demeurés bas et le resteront pendant des années. À votre avis, lequel des deux est mal évalué?
Oui. En fait, je ne pense pas qu’il y ait un tel écart entre les deux marchés. Ici, la quadrature du cercle, c’est la Fed.
La Fed a donc envoyé un message très conciliant au cours des derniers mois, en partie, je crois, parce qu’elle s’inquiète de la résurgence du virus. Nous connaîtrons peut-être une deuxième vague. Elle est en partie extrêmement préoccupée par les dommages structuraux qui pourraient être causés. Pour ce qui est de la confiance des consommateurs, il est possible qu’il y ait eudes dommages structurels, mais il y en a surtout eu du côté des petites entreprises. Si un magasin met la clé dans la porte ou si des restaurants et des hôtels font faillite, ils ne réembaucheront pas ces gens-là.
Je pense donc que la Fed est préoccupée par ce risque à long terme et qu’elle nous dit qu’elle va faire croître son bilan pendant longtemps, ce qui permet en quelque sorte de contenir le long terme. Elle va conserver les taux au niveau actuel pendant très longtemps. Il y a donc une quête de rendement si les investisseurs ont des économies facilement investies, c’est la raison pour laquelle les marchés boursiers se portent bien. Si vous regardez les écarts de taux, c’est bien fait. Je pense donc que le marché nous indique essentiellement que la Fed maintient les taux d’intérêt peu élevés en ce moment.
Je m’inquiète pour les actifs à risque. Si les craintes de la Fed se matérialisent, si nous subissons une deuxième vague ou si nous adoptons cette nouvelle normalité, si les perspectives de croissance sont beaucoup plus faibles, je pense que certains des gains dans les actifs risqués pourraient être difficiles à réaliser. Mais il est trop tôt pour le dire. Je ne dirais pas que le moment est venu de se retirer des actifs à risque. Mais du point de vue des taux, je pense que ça veut dire que les banques centrales sont très expansionnistes à l’échelle mondiale. Je pense qu’elles ne veulent tout simplement pas de raison d’augmenter les dommages structurels en permettant une hausse des taux d’intérêt.
Vous avez dit qu’il était trop tôt pour se prononcer. Et je sais que vous passez probablement beaucoup de temps à examiner les données. Mais je suis certaine que les types de données que vous examinez sont différents de ceux que vous examiniez auparavant. Quelles données examinez-vous?
Oui. C’est un bon point. En fait, le marché ne réagit pas à un grand nombre de données économiques que nous avons examinées.
Nous avons eu des données horribles en avril. Mais je pense que le marché a dit, hé bien, regardons un peu plus à long terme. Cet impact sur les données en avril est attribuable aux mesures de confinement. Les données sont maintenant bien meilleures.
Mais, encore une fois, pouvez-vous extrapoler à partir des données que nous aurons à l’avenir? Avec ce que nous avons jusqu’à maintenant, je dirais que non, parce que nous assistons à la mise en branle de la réouverture. Donc, au lieu des données économiques habituelles, et, en tant que spécialiste des taux, je me dois de les examiner. Mais on regarde des facteurs comme la courbe du virus, le taux de positivité. Y a-t-il des signes d’une deuxième vague? Ou est-ce que différents pays, différents États des États-Unis, sont en mesure d’aplatir ces courbes? Nous examinons certainement la courbe du virus.
Ensuite, on examine des aspects comme les données sur la mobilité de Google et d’Apple. Ce que nous voulons comprendre, c’est si les gens ne font qu’aller dans les parcs, ce qui est le cas en ce moment? Ou bien vont-ils dépenser de l’argent?
Il est encore un peu tôt, car certaines parties du pays n’ont pas complètement rouvert. La ville de New York vient tout juste de rouvrir. Je pense que si on commence à voir des gens qui vont au restaurant, qui vont dans les magasins... les données sur les cartes de crédit, c’est un autre aspect que nous examinons.
Je pense que nous avons tous dû être plus créatifs à terme, parce que nous n’avons jamais vraiment fait face à une pandémie comme celle-ci depuis le début des années 1900. Pour voir comment les consommateurs et le secteur des affaires réagissent, je pense que nous devrons examiner ces données à part des données économiques habituelles jusqu’à ce que nous ayons une idée de l’impact sur la mentalité du consommateur américain.
Voyez-vous quoi que ce soit qui vous porte à croire que nous pourrions assister à une poussée de l’inflation? Je veux dire, il y a tellement de liquidités sur le marché.
La Fed a fait tellement de choses. Avez-vous des préoccupations à ce sujet?
Cette préoccupation-là existe du côté des investisseurs. C’est un peu comme ce que j’ai entendu en 2009, parce que le bilan de la Fed a beaucoup augmenté. À ce moment-là, nous avions aussi connu un déficit budgétaire très élevé. Donc, si vous pensez que le côté budgétaire injecte de l’argent dans le système, le côté monétaire fournit de l’argent... si vous êtes un étudiant en économie, vous savez qu’il y a plus d’argent à la recherche des mêmes biens, ce qui entraîne une inflation.
Toutefois, cela ne s’est pas produit en 2009. En fait, l’une des choses que la Fed a dites, c’est que nous avions une très bonne croissance avant la COVID aux États-Unis, et l’inflation n’a même pas encore atteint sa cible. Il y a donc quelque chose de structurel qui se produit. Vous savez, beaucoup de gens ont parlé de cette pandémie comme d’une guerre ou d’une catastrophe naturelle.
Je pense qu’il y a une grande différence entre cette analogie et la COVID. Si vous regardez par la fenêtre, la capacité est toujours là. Nous n’utilisons pas cette capacité. Aucun extrant n’a été détruit. Quand nous retournerons dans le monde, il y aura des problèmes de capacité excédentaire. Je pense que ça va engloutir l’argent qui court après les actifs. Je pense que l’inflation des actifs financiers est possible.
Mais pour que l’inflation réelle se reflète dans l’économie, je crois que nous devons stimuler la demande globale. Et on vient de parler de l’effet du choc de confiance sur la demande. Je ne suis pas certaine que les mesures budgétaires aient permis de stimuler la demande de biens et de services réels. Nous sommes donc moins préoccupés par l’inflation.
Et je souligne que la Fed nous dit qu’elle est satisfaite que l’inflation dépasse la cible. En fait, c’est très différent de ce qu’elle nous a dit en 2015. En fait, la réaction de la Fed a été la même qu’aujourd’hui. Elle n’aurait même pas haussé les taux en 2015. Je pense donc qu’elle est satisfaite de laisser aller l’inflation. Mais d’un point de vue fondamental, je ne vois pas les forces de l’inflation en jeu.
Intéressant. Qu’en est-il de la Fed et, si je peux ajouter quelque chose, si vous regardez les bons du Trésor américain de 10 ans, ce que vous voyez, ce que nous avons entendu de la Fed, elle a l’intention de laisser les taux peu élevés pendant un certain temps.
Mais vous avez votre propre thèse sur la durée de cette période.
Oui, en effet. La Fed nous a dit qu’elle ne s’attendait pas à augmenter ses taux avant la fin de 2021. Elle ne fait aucune prévision au-delà de 2022. Mais nous, nous établissons des prévisions au-delà de cette échéance. En fait, nous ne pensons pas que la Fed hausse les taux d’ici 2024, en supposant qu’il n’y ait pas de deuxième vague du virus. Si nous subissons une deuxième vague du virus, je pense que le coup porté à la confiance sera beaucoup plus dur. Elle pourrait donc être maintenir les taux comme ils le sont encore plus longtemps.
Mais quand vous parlez des bons de 10 ans, j’ai pensé qu’il serait bien que je mentionne qu’ils sont touchés par ce que la Fed fait en amont. Mais ils sont aussi plus touchés par ce que la Fed fait sur le bilan. Elle a acheté pour 1,6 billion de dollars de titres du Trésor depuis la mi-mars. Tant qu’elle continuera d’acheter... et nous prévoyons qu’elle continuera d’acheter au même rythme jusqu’au milieu de l’année prochaine. Et elle achètera à un rythme inférieur jusqu’à la fin de l’année prochaine.
La Fed n’a pas fait cette prévision. Mais ce sont nos propres prévisions, qui ont été faites par nos économistes. Si la Fed achète autant de titres du Trésor, elle impose également un plafond sur 10 ans.
Je pense donc qu’il y a la force du bilan et ce qu’elle fait en amont qui peut garder les bons de 10 ans... je pense que si nous obtenons de meilleures données, nous pourrions probablement nous rapprocher du 1 %. Mais j’ai de la difficulté à voir les bons de 10 ans aux États-Unis passer au-dessus du 1 % cette année ou l’année prochaine.
Une dernière question rapide, si vous me le permettez. Les élections américaines s’en viennent. Toutes sortes de choses pourraient arriver. Je veux dire, comment le marché prend-il en compte quelque chose ou, selon vous, qu’est-ce qui est pris en compte en ce moment? Et qu’est-ce que vous vous attendez à voir, alors que la rhétorique commence à s’intensifier et que nous nous rapprochons de la date?
Oui. Excellente question. Parce que normalement, s’il n’y avait pas eu la COVID, j’aurais dit que le marché prendrait en compte les élections en ce moment. Je pense qu’il y a tellement de variables. Nous prenons en compte l’économie.
Est-ce qu’il y aura une deuxième vague pendant la saison de la grippe? Les élections ont lieu aux alentours de la saison de la grippe. Et, vous savez, cette élection est-elle un référendum sur le président Trump? Je pense donc que le marché ne sait pas vraiment comment... et n’aime pas prendre en compte le risque politique, parce qu’il obtient des résultats extrêmement binaires.
Mais je pense qu’à l’heure actuelle, le marché anticipe la réélection du président Trump, parce que cela maintient l’incertitude à un niveau peu élevé. Parce que nous savons quelles seront ses politiques. Si ça ressemble à... et il est certain qu’au cours du dernier mois, les chances du vice-président Biden se sont améliorées... je pense qu’on pourrait voir un certain recul du sentiment de risque. Vous savez, le spectre politique ne fait qu’accroître l’incertitude. Je pense donc que le marché va vouloir prendre du recul et voir exactement quelles sont ses politiques avant que cette remontée puisse se poursuivre.
Priya, ça a été très intéressant. Ce fut un plaisir. Merci beaucoup d’avoir été là.
Merci.
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