Beaucoup de grands noms du secteur technologique accusent une baisse cette année, ce qui suscite un regain d’intérêt pour les sociétés de télécommunications traditionnelles. Greg Bonnell discute des perspectives du secteur avec Monica Yeung, analyste des services de communication mondiaux à Gestion de Placements TD.
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Les grands noms de la technologie, Netflix, Facebook et bien d’autres, ont fait fureur chez les investisseurs pendant la pandémie. Cette année, elles sont reléguées au second plan et les sociétés de télécommunications traditionnelles reviennent à la mode. Les investisseurs recherchent peut-être des placements plus défensifs.
Pour discuter de ce revirement de situation, j’accueille Monica Yeung, Analyste des services de communication mondiaux à Gestion de Placements TD. C’est un thème intéressant, Monica. Merci d’être là. Parlez-nous des sociétés de télécommunications traditionnelles, qui connaissent peut-être un regain d’intérêt.
Oui, on voit une évolution intéressante depuis le début de 2022. Je pense que c’est une bonne idée de prendre un peu de recul pour comprendre la structure du secteur des communications, celui que je couvre en tant qu’analyste. Il se compose d’un panier d’actions très intéressant.
D’un côté, il y a les modèles d’affaires très traditionnels et bien établis des sociétés de médias, de télévision et de télécommunications classiques et des câblo-opérateurs. Ces modèles d’affaires produisent en général une croissance à un chiffre faible, voire nulle ou en déclin. Et à l’autre extrémité, il y a les sociétés technologiques en forte croissance depuis longtemps, comme les services de diffusion en ligne de type Netflix ou les géants comme Facebook et Google.
Je dirais qu’on assiste à un revirement de situation, en quelque sorte. Au cours des dix dernières années, si vous aviez investi dans ce deuxième panier, vous auriez engrangé des gains bien supérieurs à l’indice. Cette stratégie n’a pas du tout fonctionné en 2022.
Par exemple, Netflix a reculé de 70 % depuis le début de l’année. Facebook a reculé de 50 % depuis le début de l’année. Et à l’autre extrémité, à l’inverse, on a des sociétés de télécommunications un peu ennuyeuses auxquelles les gens ne portent plus attention depuis longtemps, comme AT&T et Verizon aux États-Unis, ou Telus, Rogers et BCE au Canada. Ce sont les gagnants relatifs cette année. Leurs actions sont stables, même légèrement en hausse dans un marché baissier.
Vous vous intéressez aussi à la dispersion des rendements dans ce secteur. Expliquez-moi de quoi il s’agit et ce que ça révèle.
C’est important de comprendre pourquoi certains titres sont en baisse de 70 %, alors que d’autres sont stables ou légèrement en hausse. Pour moi, il y a deux raisons qui sautent vraiment aux yeux. La plus évidente, c’est un changement dans la façon dont les gens veulent passer leur temps après la COVID.
En mars 2020, on était tous enfermés à la maison. Il n’y avait pas grand-chose à faire, nulle part où aller. Logiquement, la demande en services en ligne a véritablement explosé. Beaucoup de gens ont ouvert un compte Netflix, ils ont passé plus de temps sur les médias sociaux comme Facebook, TikTok ou Instagram.
Deux ans plus tard, on s’éloigne du monde numérique pour revenir au monde réel, en quelque sorte. Les gens veulent vivre des expériences. Ils veulent sortir au cinéma, dîner avec des amis et voyager, ce qui écorne la forte croissance que l’on observait depuis longtemps.
Les gens ne regardent plus Netflix autant qu’avant. Ils passent moins de temps sur Instagram. Les yeux sont moins rivés sur les écrans, ce qui a vraiment nui à la valeur de certains titres.
L’autre facteur qui explique en partie cette dispersion, selon moi, c’est simplement le contexte macroéconomique. Cette année, tout a changé bien plus vite qu’on ne l’avait imaginé, ce qui a eu deux effets. D’abord, la baisse des évaluations des actions à croissance élevée. Ensuite, les gens cherchent désormais des placements défensifs. Il y a un énorme appétit pour ces titres, parce que l’on craint une récession. C’est ce qu’offrent les sociétés de télécommunications.
Tout à coup, ennuyant rime davantage avec attrayant.
Tout à fait. Les sociétés de télécommunications résistent assez bien aux récessions. Leur rentabilité et leurs revenus résistent plutôt bien. C’est pourquoi ces titres s’attirent les faveurs du marché depuis le début de l’année.
De toute évidence, le spectre d’une récession plane lourdement sur le marché. Vous dites que c’est à l’avantage des sociétés de télécommunications traditionnelles. Parlons de sociétés comme Facebook, Google, Snapchat et Twitter. Leur modèle repose sur la publicité. Qu’arrivera-t-il à ces sociétés en cas de récession?
C’est une question intéressante. Pour ces sociétés technologiques, la plupart des revenus proviennent de la publicité. Je dirais que la publicité en général, que ce soit en ligne ou sur les écrans, est extrêmement sensible à la conjoncture économique.
Par exemple, si le PIB diminue de 2 %, le total du budget publicitaire diminue proportionnellement. On peut tirer des enseignements de l’histoire. Si on examine les chiffres de 2008, avant la récession, Google affichait une croissance d’environ 40 % par an. Au deuxième trimestre 2008, elle est tombée à 5 %. On a donc observé un écart de 35 points, un ralentissement de la croissance.
Aujourd’hui, la croissance de Google tourne autour de 15 %. Il ne serait pas inconcevable, dans le cas d’une récession modérée, de voir une croissance nulle ou en léger recul. Ce sont d’excellents modèles d’affaires à long terme, mais ils ne sont certainement pas à l’abri d’une récession.
Les sociétés de télécommunications canadiennes s’en sortent relativement bien cette année. Que pensez-vous de ce secteur et des évaluations actuelles? Je crois que vous avez apporté un graphique pour répondre à cette question.
Oui. Je m’appuie sur plusieurs choses. On a dit que les investisseurs cherchent des titres défensifs, ce qui a certainement joué un rôle. Mais le contexte est assez favorable sur le plan fondamental. Qu’est-ce que j’entends par là?
Les opérateurs canadiens retrouvent un peu leur place avec la réouverture. Les gens se remettent à voyager, ce qui augmente les revenus d’itinérance. C’est bon pour la croissance du chiffre d’affaires. Et avec la réouverture des frontières, il y a plus d’étudiants qui viennent au Canada, plus d’immigration, et donc plus de nouveaux abonnements.
Enfin, j’aimerais souligner que le contexte concurrentiel est très favorable. Avant, on voyait une concurrence féroce en période de promotions. Rogers, Telus et BCE rivalisaient en cassant les prix des téléphones, par exemple. Ça n’a pas été le cas l’année dernière. Donc, une stratégie défensive et de bonnes données fondamentales. Le seul point faible, en réalité, c’est l’évaluation.
On va montrer de nouveau ce graphique à tout le monde. Il l’a vu à l’écran il y a quelques instants. On va expliquer exactement de quoi il s’agit, et ce que ça révèle sur certaines entreprises. Les évaluations des sociétés de télécommunications canadiennes... Que se passe-t-il?
MONICA YEUNG : Oui. Ce graphique montre le ratio VE/BAIIA sur les dix dernières années pour la moyenne des sociétés de télécommunications canadiennes. Ce que l’on voit ici, c’est un écart-type supérieur d’un point à la moyenne à long terme, et clairement en haut de la fourchette. Cette tendance incite à la prudence. Ceci dit, si les craintes d’une récession persistent et que le marché est baissier, ces actions bénéficieront assez durablement de la situation.
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