
Après un recul d’environ 10 pour cent sur les marchés boursiers en décembre, les investisseurs peuvent enfin souffler alors que les marchés se stabilisent et récupèrent une partie de leurs pertes. Ce répit durera-t-il ou s’agit-il du calme avant la tempête? Kim Parlee s’entretient avec Bruce Cooper, chef de la direction et chef des placements à Gestion de Placements TD.
Bonjour et bienvenue à l’émission. Après la chute de près de 10 % des marchés boursiers survenue en décembre, les investisseurs constatent aujourd’hui avec soulagement que les marchés se stabilisent et regagnent une partie du terrain perdu. Qu’est-ce qui a changé en un mois qui explique ce retour au calme? Et ce calme relatif va-t-il durer? Ou la volatilité va-t-elle revenir?
Je reçois Bruce Cooper, chef de la direction et chef des placements, Gestion de Placements TD, l’un de nos invités préférés. Ravie de vous recevoir.
C’est un plaisir d’être ici.
Les choses changent rapidement. Avant Noël, on voyait beaucoup de mines sombres. Puis, après Noël, les choses ont commencé à mieux aller. Jetons un coup d’oœil à l’évolution du Dow depuis trois mois. Croyez-vous-- que s’est-il produit? Est-ce que le recul était exagéré et que l’on a juste regagné le terrain perdu?
Il y a eu beaucoup de mouvements boursiers spectaculaires pendant les vacances de Noël et du Jour de l’An. Le volume de transactions est très faible à cette époque de l’année, beaucoup de gens sont en vacances. Un déficit de liquidité peut favoriser des mouvements extrêmes, aussi faut-il interpréter prudemment les mouvements observés aux alentours de Noël.
Écoutez, il y a une foule de choses qui alimentent la volatilité, et nous allons sûrement en parler au cours de l’entretien.
Parlons-en. Vous avez publié une note. Vous avez aussi apporté des changements à ce que vous surveillez à propos des actions et des titres à revenu fixe. Nous allons parler de tout ça, mais commençons par un exercice auquel nous nous sommes déjà livrés : important ou secondaire? Je vais mentionner un thème—
Un de nos préférés.
Oui, un de nos préférés. Nous allons aborder un thème et vous jugerez si c’est important ou secondaire. Commençons par ce qui fait les gros titres. Le président Trump-- la progression de l’enquête Mueller. Important ou secondaire?
Secondaire du point de vue des marchés.
Pourquoi?
Je ne pense pas que ça aura un effet important sur l’économie ou les bénéfices. Il y a une foule de sujets d’inquiétude en ce qui concerne l’avenir à long terme. Sur le plan politique, il y a la polarisation, les sociétés-- ce sont des questions importantes, mais l’enquête Mueller, je ne pense pas qu’elle ait un impact direct sur les marchés.
La paralysie du gouvernement américain, la plus longue de l’histoire-- Important ou secondaire?
J’hésite un peu, mais je vais dire secondaire. À moins que-- si ça devait durer encore quelques mois, ça aurait certes un impact économique important. La bourse essaie de prendre en compte l’avenir de 6 à 12 mois à l’avance. L’hypothèse la plus plausible me semble celle d’une solution d’ici quelques semaines. Je dirais donc secondaire.
Je pense connaître la réponse au suivant. Le ralentissement économique en Chine. Important ou secondaire?
Important. Nous en avons parlé beaucoup. La croissance chinoise n’a probablement jamais été aussi faible depuis 10 ans. Ce n’est pas ce qu’indiquent les statistiques officielles, bien sûr, qui répètent toujours la même chose, à savoir que la croissance se situe aux alentours de 6,5 %. Nous avons un autre chiffre. Je pense que plus tôt cette semaine on a mentionné 6,4,
mais, si vous y regardez de plus près, des choses comme les ventes automobiles, l’immobilier, la consommation d’électricité, le transport ferroviaire, toutes ces choses que l’on peut prendre en compte indiquent, selon nous, que la croissance est nettement plus faible que ce qu’indiquent les chiffres officiels. Il est difficile d’avancer un chiffre précis, mais c’est probablement une croissance à un chiffre faible.
Quand vous parlez à des gens en Chine, ce que nous faisons à l’occasion, il apparaît que le ralentissement est beaucoup plus marqué qu’à tout autre moment depuis plusieurs années.
Le Brexit : important ou secondaire?
Important, je pense. C’est une situation assez incroyable! Le premier vote est encore loin, et nous n’avons toujours pas la moindre idée de la façon dont tout ça va finir. Je pense qu’en soi c’est important. Pour les Canadiens, sur le plan des placements, un peu moins, car la plupart des Canadiens n’ont probablement pas beaucoup d’argent investi au Royaume-Uni, mais ça fait ressortir les clivages politiques qui prennent de l’ampleur partout dans le monde.
À cet égard, le cas du Royaume-Uni est une petite illustration de ce qui se joue sur une plus grande échelle.
La volatilité extrême-- les amples fluctuations intrajournalières. Il n’y en a pas eu autant ces derniers jours, mais pour l’investisseur individuel, les variations de 1 000 points sont plutôt éprouvantes, même dans les moments favorables. Important ou secondaire?
Secondaire. La volatilité a été plus forte en 2018 que l’année précédente, mais, selon nous, elle a été plus normale qu’en 2017. 2017 a été bizarre : il n’y a presque pas eu de volatilité. L’année dernière, elle est revenue aux niveaux généralement observés dans le passé. Quand vous achetez des actions, vous acceptez du coup un certain niveau de volatilité. Pas le niveau observé du 23 au 27 décembre ou quelque soit la date, mais le niveau observé l’an dernier-- qui est normal.
Et c’est pourquoi nous conseillons aux gens d’adopter une optique à long terme, de bien connaître leurs objectifs financiers, d’acheter des choses qu’ils comprennent, adaptées à leur niveau de tolérance au risque, de bien connaître leur horizon de placement, et ils seront en bonne position.
La crainte d’une récession.
C’est important, je pense, mais nous ne prévoyons pas de récession. Le débat concernant l’éventualité d’une récession, lui, est important sur les marchés en ce moment.
Vous parlez, et vous en parlez depuis longtemps, des taux d’intérêt, de leur évolution future. Au cours des conversations que nous eues, vous avez mentionné le fait qu’ils reviennent à des niveaux normaux. Croyez-vous que le relèvement est terminé?
Notre position bien arrêtée à cet égard est celle de taux plus bas plus longtemps depuis un long moment-- soit depuis la crise financière. Je veux dire par là que nous prévoyions que le taux de l’obligation à 10 ans resterait très bas. En même temps, depuis deux ans environ, les banques centrales ont opéré un lent retour à la normale, particulièrement la Fed.
Aujourd’hui, nous pensons que les banques centrales en Amérique du Nord sont près d’avoir achevé le relèvement des taux, ce à quoi ne s’attendaient pas les gens, il y a six mois, mettons, car on s’attendait généralement, alors, je pense, à plusieurs hausses de taux en 2019. Aujourd’hui, nous regardons ça, l’inflation demeure nettement maîtrisée
et les divers indicateurs des marchés en matière d’anticipations inflationnistes sont presque tous orientés à la baisse, non à la hausse. L’inflation est maîtrisée Nous pensons que ça tient pour une bonne part à la technologie, qui a un effet désinflationniste, et à la dette, qui est déflationniste, je pense. L’inflation est maîtrisée, la croissance mondiale ralentit, assurément,
les banques centrales... le président de la Fed, Powell, a déclaré avant le Nouvel An : nous n’avons pas de ligne de conduite fixée à l’avance, nous surveillons les données. Si vous surveillez les données, vous constatez un fléchissement. Ça vous incite à mettre la pédale douce plutôt qu’à forcer la note. Alors, oui, la séquence de hausses tire à sa fin probablement et les taux à long terme devraient demeurer près de leurs niveaux actuels.
Si la séquence de hausses tire à sa fin, la plupart des gens, en entendant ce qui se dit dans les médias, vont penser que la fin des hausses est une bonne chose pour les marchés. En même temps, la séquence de hausses tire à sa fin parce que la croissance ralentit. Le prochain thème est la croissance des bénéfices. Je dirais que, pour la première fois, on observe un tableau en demi-teinte au chapitre des bénéfices.
Tout à fait! Et ça nous amène à la question fondamentale : est-ce que l’économie se dirige vers le point mort? Ou vers une récession? Pour notre part, nous ne prévoyons pas de récession. Nous prévoyons un ralentissement. Deux ou trois choses que je mentionnerais-- quand je pense au risque de récession, je pense au risque de ce que je vois comme des déséquilibres.
Quelque chose de majeur se produit, qui cause d’énormes distorsions au sein de l’économie, auxquelles il faut remédier. Un bon exemple serait, avant la crise financière, l’immobilier aux États-Unis, l’énorme quantité de logements en construction, les emprunts incroyables contractés pour acheter ces logements, puis la liquidation générale qui a suivi.
Autre exemple, fin des années 90, vous vous rappelez la bulle des technos/télécoms? Les entreprises dépensaient énormément pour des choses comme l’internet, le câble et l’équipement de télécommunications. Les deux bulles ont donné lieu à un énorme endettement. Cet endettement, c’est ce que je considère être un déséquilibre. Or, je n’observe rien de tel aujourd’hui.
Ça tient en partie au fait que la reprise économique, depuis 10 ans, s’est opérée très lentement. Les gens étaient inquiets, ils avaient tellement souffert de la crise financière. Les entreprises n’investissaient pas beaucoup. On n’empruntait pas beaucoup aux États-Unis. En fait, l’endettement des ménages a diminué.
Je pense que, pour cette raison, nous allons connaître un ralentissement, mais pas de récession catastrophique.
C’est drôle, quand j’entends ça-- je prends peut-être mes désirs pour des réalités-- ça semble être un scénario favorable. C’est assez lent pour nous épargner des hausses de taux d’intérêt, mais plutôt bien—
Ce ne sera certes pas sans difficulté. J’aurais dû enchaîner sur votre question à propos des bénéfices. La croissance des bénéfices va ralentir, ce qui n’est pas génial.
Non.
Je pense, personnellement, que c’est ce qui a fait baisser la bourse, l’an dernier. La baisse préfigurait le ralentissement de la croissance économique et de la croissance bénéficiaire de cette année, observable dans les chiffres du 4e trimestre. La publication des résultats du trimestre est en cours, les résultats sont bons, mais—
Les prévisions bénéficiaires le sont moins.
Les prévisions ne sont pas extraordinaires. Normalement, les entreprises avancent un chiffre, puis elles le surpassent. Généralement, le bénéfice réel surpasse de 3 %, 4 % l’indication prévisionnelle. Cette année, il est de 1 % plus élevé. La croissance bénéficiaire a faibli. Les prévisions bénéficiaires ont faibli. La croissance des bénéfices ralentit. Tout n’est pas génial,
mais c’est ce qui explique, je crois, le recul boursier de l’an dernier. N’oubliez pas que bourse est un mécanisme qui prend en compte l’avenir à l’avance, c’est-à-dire ce qui va se passer plus tard cette année ainsi que l’an prochain.
Quelqu’un nous écoute probablement en se en se disant : oui, oui, venez-en au fait. Dites-moi ce que vous conseillez maintenant. J’étais pour dire aux gens : nous allons y venir dans la troisième partie. Nous allons parler de ce que ça signifie pour les actions et les titres à revenu fixe. Un thème que nous n’avons pas abordé, toutefois, c’est les tensions commerciales, qui me semblent commencer à s’atténuer.
Oui, sûrement. C’est l’un des plus grands dangers. Nous écrivons sur ce sujet depuis le jour où Donald Trump a été élu. C’est un sérieux problème. Son administration-- ce n’est pas que Donald Trump, les membres de son administration, Robert Lighthizer, Peter Navarro-- sont très sérieux à ce sujet.
Le genre de scénario que nous envisageons en est un de collision avec le programme Fabriqué en Chine 2025, qui est un plan destiné à accélérer le développement dans des domaines comme la technologie. Vous avez ça d’un côté. De l’autre côté, les États-Unis, première puissance technologique mondiale actuellement, veulent conserver leur position dominante.
Le conflit se cristallise autour de questions comme la protection des brevets, la propriété intellectuelle—
L’espionnage.
Les droits, l’espionnage. Le fait que les entreprises étrangères sont obligées de constituer des coentreprises pour pouvoir pénétrer de façon importante le marché chinois-- beaucoup de récriminations sont légitimes, mais il n’y a pas de solution facile. Nous avons dit nous attendre à des tensions commerciales persistantes. C’est un petit mot euphémique qui veut dire qu’elles vont subsister longtemps.
Il y a l’échéance du 1er mars. La probabilité de régler l’ensemble des questions le 1er mars me semble-- plutôt mince. Il est possible, selon un scénario optimiste, que l’on réussisse à régler certaines questions et que l’on remette à plus tard les négociations sur les autres questions. C’est tout à fait possible. Il est également possible que ce soit un échec complet.
Même si l’on en arrive à un résultat relativement favorable, ça ne veut pas dire que tout sera réglé. Je pense ça va prendre beaucoup de temps.